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Chrono Challenge : Halloween

Projet : Inktober 2023.

Objectif : publier une nouvelle tous les trois jours, rédigée en une heure maximum, en suivant la liste officielle du challenge Inktober 2023.

Ce texte se rattache à un ou plusieurs de ces thèmes : 28  Étincelle • 29 – Massif • 30 – Précipitation • 31 – Feu. / Temps : 51mn.

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Il n’aimait pas prendre son service les soirs d’Halloween. En général, il faisait en sorte d’échanger ses jours avec des collègues. Il prenait même le nouvel an à la place, s’ils le voulaient. Ses collègues ne le comprenaient pas vraiment, sur ce point. Le nouvel an c’était l’enfer, comme ils disaient. Tapages nocturnes, jeunes complètement bourrés qui cassaient des vitres, dégradaient des rues, plus encore de cas de violences ou d’agressions sexuelles que d’ordinaire. Ils n’avaient pas tort, mais pour lui, c’était presque une partie de plaisir comparé à Halloween.

Parce que ces soirs-là, il y avait de tout. Des blagues qui allaient un peu trop loin, des maisons aspergées d’œufs ou de peinture dans le meilleur des cas. Beaucoup trop loin, dans d’autres cas. Des personnes déguisées en clown tueurs, ou en figures emblématiques de certains films d’horreur, qui s’amusaient à poursuivre de pauvres gens terrifiés dans les rues, des armes pleines de faux sang à la main. Bien sûr, beaucoup de ces gens appelaient la police, juste au cas où ce n’était pas un costume mais bien quelqu’un de complètement dérangé qui profiterait de la cohue générale pour assassiner une ou deux personnes. Alors il était obligé d’intervenir. Gyrophare, poursuite. Parfois, la personne parvenait à s’enfuir, ayant sûrement compris que sa blague était allée trop loin et lui risquait de gros ennuis. D’autres fois, elle résistait et partait en cellule de dégrisement pour la nuit, voire en garde à vue si elle se montrait violente.

Vraiment, il détestait ces nuits. Il y régnait une ambiance qu’il avait toujours trouvée malsaine. Il faut dire que même petit, il n’avait jamais aimé cette fête. Ce n’était pas son truc, en partie parce que les tours que lui avaient joués son grand frère l’avaient traumatisé. C’était du passé, mais c’était resté.

Mais voilà, ce soir, il n’avait pas réussi à éviter cette corvée. Le collègue avec qui il s’arrangeait d’habitude venait de devenir père et n’allait pas venir de toute la semaine. Ça se comprenait. Il aurait fait pareil à sa place, s’il avait eu des enfants. Il avait pris sur lui et accepté de patrouiller avec une jeune collègue tout juste embauchée.

« T’as pas de bol de commencer avec cette nuit, s’était-il désolé pour elle. Tu vas voir, c’est du sport. »

Il ne croyait pas si bien dire. En dehors de quelques appels canulars, qui n’étaient pas inhabituels, ils avaient eu à intervenir déjà trois fois cette nuit. Une fois pour arrêter des lycéens qui étaient en train de dégrader la voiture de leur proviseur, une fois pour des personnes complètement alcoolisées qui essayaient de casser la vitrine d’un magasin pour se procurer plus d’alcool. Un avertissement et un appel aux parents pour les premiers, qui écoperont probablement d’une belle amende pour la voiture si le proviseur décidait de porter plainte. Une cellule de dégrisement pour les deuxièmes, le temps qu’ils se calment.

Puis la troisième intervention.

Il jette un œil à l’arrière de la voiture depuis le rétroviseur, le cœur lourd. Le gosse n’a pas prononcé un mot depuis dix minutes, les yeux rivés devant lui, ses mains attachées dans le dos. Il s’est débattu comme un diable lorsque lui et Diane l’ont interpellé. Il détestait se montrer ferme avec les ados, mais il n’avait pas eu le choix. Le bidon d’essence renversé à côté de lui et les allumettes à la main, il ne cessait de crier qu’ils devaient le laisser terminer ce qu’il était en train de faire.

« Pauvre gosse… »

Il reporte son attention sur la route lorsque le feu passe au vert. Diane s’agite sur le siège passager, nerveuse. C’est la première fois qu’elle assiste à une interpellation aussi déchirante. Le gamin pleurait, hurlait, les yeux cernés et le regard fou. Elle vient d’arriver dans cette ville et ne connaît pas son histoire. Lui, il sait. Ce gosse a eu une année de merde et, s’il ne l’avait pas surpris à vouloir déclencher un incendie, il ne l’aurait même pas arrêté. Il n’avait pas besoin de ça en plus.

Ils arrivent au poste et il lâche un soupir en fermant sa portière. Le gamin ne se débat plus. Il les suit mollement à l’intérieur, l’air abattu, et ne proteste même pas lorsqu’ils l’enferment dans une cellule. Il soupire en faisant un tour de clé.

« Écoute… je vais aller te chercher quelque chose à manger, un truc à boire et une couverture, OK ? »

Pas de réponse.

« T’aimes bien les sodas ? Les jeunes de ton âge… ils aiment bien. »

Pas de réponse. Il va se débrouiller avec ça.

Il lui dépose une canette de soda, une bouteille d’eau, un sandwich et une petite couverture avant de retourner à son bureau pour écrire son rapport. Diane le suit, l’air encore déboussolé, et s’assoit lourdement au sien.

« C’est une nuit normale ça, pour Halloween ? »

Il hausse les épaules.

« Pas pour ce gosse-là, non… Il a complètement vrillé. Mais n’importe qui à sa place aurait déraillé.

– Il lui est arrivé quoi ?

– Son père est mort peu après Halloween l’an dernier. Un accident de la route.

– Le pauvre… »

Il soupire et boit une gorgée de son café dans son thermos.

« Deux mois après, c’était son frère qui mourait. Poignardé en pleine rue, de jour, par un mec qui avait aucun casier, aucun antécédent. Une histoire incompréhensible.

– Mon Dieu…

– Encore deux mois plus tard, c’était sa sœur. Elle s’est jetée du haut d’un immeuble. J’ai été appelé sur place ce jour-là et crois-moi, c’est pas une vision que t’oublies. Il restait presque plus rien. »

Diane frissonne de dégoût.

« Mais ça s’arrête jamais ?

– Non. En mai, c’est sa mère qui y est passée dans un accident domestique. Il était là en plus, ce jour-là. À peu de choses près, c’est sur lui que ça tombait. Une horreur là aussi il paraît, mais cette fois c’est les pompiers qui ont dû voir ça. Le gosse a été placé chez son oncle et sa tante depuis, en ville. Il arrive plus à suivre ses cours, plus rien… Qui pourrait lui en vouloir ?

– Bien sûr…

– Et là… il revient ici pour essayer de cramer son ancienne baraque.

– Trop de mauvais souvenirs ?

– Ouais, qui sait ce qu’il se passe dans sa tête. J’avais même pas envie de l’arrêter, mais si on le laissait faire, le feu aurait pu se propager aux maisons voisines…

– C’est clair. »

Ils ne disent rien pendant un moment, les yeux éteints. Il est désolé qu’elle voie tout ça dès sa semaine de prise de poste. La sienne avait été bien plus tranquille que ça, mais il faut dire qu’il y avait moins de criminalité à l’époque. Le monde est devenu fou, comme on dit.

Et soudain, alors qu’ils sont toujours plongés dans ce silence méditatif, Diane sursaute alors que les plombs sautent. Il ne reste plus que la faible lueur des rayons de lune pour les éclairer, à travers la fenêtre.

« Putain ! C’est normal ça ?

– Bienvenue dans le service public… Si on a du bol, c’est une coupure normale. Si on en a moins, c’est des gosses qui nous ont fait une blague.

– Bon, bah je vais vérifier ça. »

Sa lampe torche à la main, elle se lève.

« Tu sais où est le compteur ?

– Oui, t’inquiète. Je le faisais tout le temps quand j’étais gosse. Reste là, va. T’as mérité ta pause.

– Merci. »

Il allume sa propre lampe et se met à bâiller. Il recule son siège et pose ses pieds sur son bureau. Plus que deux petites heures et les collègues du matin prendront la relève. Il a hâte. Cette nuit l’a vraiment épuisé.

Il repense au gamin, et se demande ce que ses collègues feront de lui lorsqu’ils prendront leur service. Qu’est-ce qu’il va devenir ?

Il se fige net. Un hurlement déchirant résonne dans les couloirs, lui glace le sang dans les veines. Diane.

Aussitôt, il bondit sur ses pieds. Il brandit sa torche d’une main, son arme de service dans l’autre.

« Diane ? »

Il court vers la source du bruit. Un coup sourd, puis plus rien.

« Diane ! »

Il éclaire le couloir comme il peut, tendu. Elle sait qu’il déteste Halloween, elle ne lui ferait quand même pas une blague de si mauvais goût ?

« Diane, t’es où putain ? »

Aucune réponse.

Il s’avance lentement, quand il perçoit un mouvement à sa droite. Il sursaute et braque son arme, avant d’identifier le visage du gosse, dans sa cellule. Bien sûr.

« Écoute petit, je sais pas ce qu’il se passe mais fais pas de bruit, OK ?

– Vous auriez dû me laisser la brûler. »

Il s’arrête, en alerte. Pourquoi est-ce qu’il dit ça ? Pourquoi, dans une situation pareille, est-ce que c’est la première chose qu’il dit ?

« Qu’est-ce que tu dis ?

– Ça aurait dû être moi ce jour-là, pas ma mère. Comme ça ma mère serait restée vivre dans la maison et elle aurait eu ce qu’elle voulait. Mais elle s’est mise devant moi et elle a pris le feu à ma place. »

Il cligne plusieurs fois des yeux, perdu. Le gosse est assis, les yeux baissés, l’air éteint, mais d’un calme olympien. Il n’y a plus aucun bruit dans le couloir. Diane ne lui fait pas une blague.

« Écoute, je sais pas de quoi tu parles mais ma collègue est peut-être en danger et…

– C’est trop tard pour elle. Pour vous, pour moi.

– Qu’est-ce que tu dis ?

– Si j’avais pu brûler la maison, je serais mort, et elle avec. Mais c’est trop tard. Elle est en colère parce qu’il y a plus personne là-bas. Alors elle va se répandre sur la ville.

– Mais de quoi tu parles, putain ? »

Les mains tremblantes malgré lui, il se tourne et se retourne plusieurs fois dans le couloir, son arme dressée. Il entend des coups sourds, mais la voix de Diane s’est éteinte après ce cri glaçant. Et cette foutue lampe qui éclaire à peine !

« Votre arme vous servira à rien contre elle… »

Il déglutit. Son cœur bat si fort qu’il a l’impression de l’entendre. Aussi calmement que possible, il demande, en détachant chaque syllabe :

« C’est qui, elle ? »

Le gosse croise les bras, frissonnant lui aussi.

« La chose. Celle qui s’est réveillée à Halloween dernier. »

Il le croit. Il n’a pas d’autres choix que de le croire. Au bout du couloir, sous le faisceau de sa torche, quelque chose de sombre se détache. Comme une ombre. Massive, immense, elle vient vers lui, marchant lentement de ses jambes démesurément grandes.

Le gosse ne bouge pas, l’air terrifié mais résigné. Et lui, il ne parvient pas à partir, ni à parler, se contentant de la fixer tandis qu’elle avance, traînant ses bras derrière elle. Il n’y a rien à faire.

Il baisse son arme.

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