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Autres nouvelles : Hiver

Liya se frotta les mains et souffla dedans pour les réchauffer. Elle avait presque terminé sa tâche et avait plus que hâte de rentrer chez elle. Il faisait un peu moins de zéro degré mais heureusement pour elle, le vent avait cessé de souffler. Elle jeta un coup d’œil rapide à son chat, un majestueux angora roux et blanc, qui l’attendait perché sur une branche, assis sur ses quatre pattes et la queue enroulée autour de lui-même.

« Je comprends vraiment pas pourquoi tu rentres pas te réchauffer, lança-t-elle. Toi, t’es pas obligé de ramasser du bois. »

L’animal ne réagit pas, et continua de la fixer en ronronnant paisiblement. Le félin ne la lâchait plus depuis qu’elle l’avait secouru d’une bande d’idiots qui s’amusaient à le martyriser. Alors peu importait l’heure et la météo, il la suivait partout où elle allait. Cela plaisait bien à Liya, qui admettait volontiers que sans lui, elle se sentirait terriblement seule. Elle vivait pourtant avec sa famille : ses parents, son frère… Mais elle ne trouvait pas sa place parmi eux. Elle était si différente d’eux qu’elle se sentait toujours exclue. Son chat Dhaxan était la seule compagnie qui lui faisait vraiment du bien.

Elle lâcha deux dernières bûches dans sa brouette pleine à ras bord et s’estima satisfaite. Tout en se frottant à nouveau les mains, elle se dit qu’enfin, elle allait pouvoir rentrer et se réchauffer à côté du feu, un bon chocolat chaud à la main. Soudain, son téléphone se mit à vibrer dans sa poche. Liya sursauta, surprise : elle se demandait sincèrement comment l’engin avait pu débusquer du réseau ici. Elle était si loin du vrai monde

La cheminée et le chocolat chaud passèrent au second plan : il fallait qu’elle sache pourquoi il avait vibré. Elle sortit son téléphone de sa poche arrière d’une main transie par le froid. L’appareil était vieux, usé, l’écran à moitié brisé, mais elle le vénérait presque. Il était une sorte d’échappatoire. Elle se souvenait encore de la tête que son père avait faite lorsqu’il l’avait vu ramener la chose à la maison.

« Un téléphone ? avait-il crié, comme si ce mot était une insulte. Pourquoi tu es encore allée chercher quelque chose là-bas ? »

Mais Liya n’avait pas laissé à ses parents le loisir de le lui confisquer. Elle le conservait, comme un trésor. Au moins, elle avait l’électricité pour le recharger. C’était toujours ça. Elle l’alluma, les doigts tremblants. La notification stipulait :

« Attention ! Risque de fortes neiges par chez vous, village de #!¤æ^x. »

Elle lâcha un petit rire en voyant le nom de son village ainsi écrit. À chaque fois, le bug était différent, mais invariablement, le nom était écrit avec des caractères étranges. Puis elle relut la notification : de la neige… le rêve ! Elle adorait ça.

« Dhaxan, il va sûrement neiger ! »

Elle rit en remettant le téléphone dans sa poche arrière, tandis que l’animal se levait, devinant qu’il était l’heure de rentrer.

« Allez viens ! On va se réchauffer. »

Pleine d’entrain, elle se mit à pousser la brouette, direction la maison.

Dix minutes plus tard, elle poussa la porte de la grange de la ferme de ses parents. Ses frères et son père étaient là, en train de tenter de réparer un vieux chariot. Son père leva la tête en l’entendant arriver.

« Ah, tu en as ramené pas mal, constata-t-il en tâtant les bûches du dessus. Excellent, merci Liya.

– De rien. Je vais me réchauffer si t’as plus besoin de moi.

– Va donc, va donc. Merci ! »

Liya remonta vers la ferme et retira ses bottes dans l’entrée. Sa mère, qui était en train d’éplucher des pommes de terre, la regarda d’un œil torve.

« Tu ne t’habilles vraiment pas chaudement pour sortir, commenta-t-elle. Ah, et tu traînes encore avec ce stupide chat, évidemment. »

Liya ne prêtait plus attention à ces reproches constants. Sa façon de s’habiller, son intérêt pour les nouvelles technologies, son rêve de voyager partout dans le vrai monde et de devenir une dessinatrice reconnue, rien ne plaisait à sa famille. Elle se contentait, en attendant de pouvoir partir, d’aider ses parents autant qu’elle le pouvait pour qu’ils lui fichent la paix.

Mais ce soir, après cette journée intensive d’allers-retours entre le petit bois et la maison, elle comptait bien se reposer.

Elle resta une bonne demi-heure à somnoler devant la cheminée, Dhaxan ronronnant sur ses genoux. Et après un dîner qui se déroula dans une ambiance morose et silencieuse, elle remonta dans sa chambre, le chat sur ses talons.

Elle se mit à dessiner sous la couette, un carnet posé sur ses genoux. Elle rêvait de s’offrir un ordinateur et une tablette pour dessiner numériquement et poster ses créations sur Internet, tenter de se faire connaître… mais encore faudrait-il accéder à Internet, ce qui n’était pas gagné dans ce village.

Avant de dormir, elle ouvrit ses épais rideaux et se mit à scruter dehors. Selon son téléphone, il faisait moins deux degrés. Mais il ne neigeait pas. Elle soupira en contemplant le paysage désespérément blanc qui s’étalait devant elle.

« Ce serait bien qu’il neige cette année, hein, Dhaxan ? C’est tellement beau, la neige… »

Le chat se mit à ronronner en guise de réponse. Liya referma les rideaux, dépitée. Elle ne comprenait pas pourquoi tout le monde au village détestait tant la neige. C’était si beau… Elle se demanda un instant à quoi pouvait ressembler une chute de neige dans le vrai monde, mais abandonna l’idée. Penser à tout ce qui s’étendait autour du village lui fichait la migraine.

Elle retira ses chaussons, son jean et son soutien-gorge, puis se glissa sous la couette. Le chat vint immédiatement se blottir contre elle et lorsqu’elle éteignit la lumière, elle souriait. Elle avait bon espoir qu’il se mette à neiger le lendemain. C’était le téléphone du vrai monde qui l’avait dit, alors ça devait être vrai.

Le lendemain, une ambiance encore plus morne que la veille l’attendait au petit-déjeuner. Son père grommelait dans sa barbe, visiblement très énervé. Liya comprit rapidement que la réparation de la veille ne se déroulait pas comme prévu.

« Il va falloir aller de l’autre côté, grogna-t-il. Pas la moindre envie de voir ces crétins, mais il me manque des pièces, et ils les auront. Il faut vraiment qu’on se ravitaille. »

Son frère aîné hocha la tête.

« Je vais venir avec toi. »

Vous allez aller dans le vrai monde ?

La question brûla les lèvres de Liya, mais ne les franchit pas. S’ils l’entendaient prononcer cette expression encore une fois, ses parents allaient la démolir sur place.

« Le vrai monde c’est ici, Liya ! Que ça te plaise ou non ! »

Elle l’entendait déjà venir… Elle se contenta de touiller dans sa tasse de thé sans rien dire. Elle avait envie d’accompagner son père elle aussi, de revoir ces belles rues, ces belles maisons de toutes les couleurs, cette herbe bien verte et ces montagnes au loin, marrons, blanches et noires. Tant de choses à voir, là-bas. Mais elle se tut. Si elle venait avec lui, elle ne pourrait pas empêcher un sourire béat de venir illuminer son visage. Et si son père le voyait, ce serait sa fête. Il fallait aimer le village. Il fallait l’aimer et y rester. Il fallait détester la neige et détester le vrai monde. Il fallait être le plus banal possible et se fondre dans la masse. 

Elle passa sa matinée à nourrir les bêtes de l’étable et à nettoyer la cuisine avec ses frères et sœurs. Épuisée, elle mangea en silence, sans écouter son père qui pestait contre le vrai monde, sans écouter sa mère qui se plaignait de la neige à venir. Cette mauvaise ambiance lui pesait. Il lui tardait de s’éloigner un peu, Dhaxan sur les talons.

Une fois la table débarrassée et la vaisselle faite, Liya sortit à nouveau dans le froid. Gants, écharpes, bonnets, collants sous son jean et grosse veste fourrée, pas question de se geler cette fois-ci. Le chat la suivit immédiatement, miaulant presque de protestation en la voyant se hâter.

« Mais non, je pars pas sans toi. De toute façon, tu me rattrapes en dix secondes à chaque fois, le charria-t-elle comme s’il la comprenait. »

Puis elle gravit à nouveau la côte qui menait à la petite clairière dans laquelle elle s’affairait la veille. Une fois arrivée, elle s’assit sur une vieille souche et se détendit. Le froid lui paraissait moins insupportable que la veille. Peut-être parce qu’elle s’était mieux couverte. Ou peut-être parce que l’annonce de la neige imminente lui faisait oublier le froid. Dhaxan s’assit à ses côtés, et elle aurait juré que comme elle, il contemplait le paysage. Et que comme elle, il était las de ces vastes étendues blanches et monotones. Arbres, herbe, rochers, fleurs, blancs.

Elle soupira en tentant de consulter son téléphone. Si la veille, elle avait eu du réseau, peut-être qu’aujourd’hui…? Bingo. Son téléphone affichait une petite barre qui résistait tant bien que mal. Elle chercha la météo : neige. Elle se mit à sourire et attendit, posée sur sa souche.

« Tu vas voir, Dhaxan, ça va être beau. »

Mais en attendant… Comme elle s’ennuyait, elle se mit à ramasser des galets tout aussi blancs, et tenta de les faire ricocher dans la rivière. Ce fut plus difficile que prévu, avec ce courant et ces petits rochers qui dépassaient, et elle abandonna bien vite. Elle tourna en rond, désœuvrée, sous l’œil presque amusé de son compagnon.

Puis sans prévenir, elle s’étala sur le dos, à même l’herbe froide. Elle ferma les yeux, n’écouta que sa respiration et le bruit du vent dans les feuilles. Elle se mit à rêver à sa vie future dans le vrai monde. Elle y serait tellement bien… Elle passerait son temps à voyager, de villes en villages, de forêts en montagnes, de plages en campagne, accompagnée de Dhaxan… Elle se ferait des amis partout où elle irait, avec qui elle pourrait garder contact grâce au téléphone, et peut-être même qu’elle finirait par se sédentariser, très loin du village. Elle sourit à cette pensée. Elle et Dhaxan, à la conquête du vrai monde.

Elle tressaillit en sentant quelque chose de froid contre sa joue. Elle ouvrit les yeux, face au ciel. Des milliers de petits flocons nacrés tombaient tout autour d’elle en tourbillonnant, s’écrasant partout, aléatoirement.

« Oh, ça faisait si longtemps que je voulais revoir ça… »

Elle se redressa, plus heureuse que jamais. La neige tombait sur ce triste paysage blanc. Lentement, les arbres et leurs fleurs se teintèrent de vert, de violet, de rouge, de rose. La neige passa à travers l’eau de la rivière et colora ses galets en bleu, gris, noir, beige. C’était un spectacle magnifique. Le bois derrière elle prit une teinte marron, et l’herbe tout autour d’elle devint bien verte. Liya se leva et la neige vint fondre sur la place qu’elle occupait, la colorant à son tour. Ravie, la jeune fille reprit sa place sur la souche, qui était à présent d’un beau marron crème. Le chat courait tout autour d’elle, excité par les chutes de flocons.

Liya posa ses coudes sur ses genoux et sa tête sur ses mains. Un large sourire illuminait son visage tandis qu’elle regardait la neige virevolter, colorant tout sur son passage.

« Tu as vu ça, Dhaxan, murmura-t-elle, émerveillée. Il neige enfin. C’est l’hiver… »

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