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Chrono Challenge : Au fin fond

Projet : Inktober 2023.

Objectif : publier une nouvelle tous les trois jours, rédigée en une heure maximum, en suivant la liste officielle du challenge Inktober 2023.

Ce texte se rattache à un ou plusieurs de ces thèmes : 4  Esquiver • 5 – Carte • 6 – Doré. / Temps : 52mn.

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Il lorgna au-dessus de son épaule, sceptique. L’autre poussa un soupir, excédé.

« Je te vois. T’es encore en train de regarder…

– C’est pas ma faute si tu sais pas lire une carte…

– Je sais très bien lire une carte ! J’ai juste eu… un contretemps.

– Oui, parce que t’as voulu couper par ce chemin chelou tout à l’heure. Et moi, je t’avais déconseillé de passer par là. Maintenant, regarde où on en est…

– Euh, excuse-moi? C’était ça ou passer devant un ours absolument énorme.

– Ça c’est toi qui le dis. J’ai rien vu, moi.

– Bien sûr, toi tu vois jamais rien…

– Contrairement à toi… »

Il ne prit pas la peine de répondre. Il soupira et étira encore une fois le bout de papier, concentré. L’autre donnait de petits coups de pied dans la terre, l’air de s’ennuyer profondément. Puis il relança la conversation:

« Dis… t’y crois vraiment?

– De quoi tu parles ?

– Bah, à tout ça. Cette histoire de trésor enfoui dans la forêt par un conte désargenté qui voulait cacher le reste de sa maigre fortune pour ne pas se la faire saisir, qui aurait laissé cette carte pour le retrouver avant sa mort… C’est quand même vachement cliché, non?

– À ton avis, si j’y croyais pas, est-ce que j’aurais fait toute cette route pour rien? Et je te retourne la question. Toi d’abord, si t’y crois pas, pourquoi t’es venu?

– Quelle question. Parce que tu t’ennuies, sans moi.

– Comme si j’avais aucun ami…

– Aucun qui aurait accepté de t’accompagner ici, en tout cas. »

Un zéro.

« Et puis, reprit-il, paye la tronche de tes amis. Tu leur sers à quoi, à part de phénomène de foire ? Tout ce qu’ils attendent, c’est que t’aies une nouvelle crise d’épilepsie pour se foutre de toi.

– C’est bon, là. Tu deviens blessant.

– Désolé. Mais au fond, tu sais qu’ils tiennent pas vraiment à toi. Tu devrais te tirer de ce village de merde pour de bon… Je suis sûr que tu pourrais faire plein de nouvelles rencontres, en ville. Des gens qui te mériteraient.

– Et te laisser derrière moi ?

– Je me débrouillerai. Fais pas ta vie en fonction de moi, Jonnah.»

Il soupira, d’agacement cette fois-ci, et replia la carte sans aucune délicatesse.

« De toute façon, j’aurai pas vraiment l’occasion de me casser de ce village si je sors jamais de cette forêt…»

Son ami acquiesça, visiblement inquiet.

« T’as pris combien de vivres?

– Trois grosses bouteilles d’eau, trois sandwichs, une grappe de bananes et quelques graines, pour le fer, le magnésium… tout ça…

– En comptant ce que t’as mangé…?

– Ouais… »

Silence.

« Bon, ben… t’es un minimum équipé, c’est déjà ça… Plus la lampe torche, la tente…

– Et la carte.

– Admets-le, elle te sert à rien cette carte. La forêt a trop changé, depuis le temps.

– Faudrait savoir, je croyais que c’était juste moi qui savais pas la lire…

– L’un n’empêche pas l’autre. Mais pourquoi t’en as pas pris une plus récente en plus de celle-là?

– J’en sais rien, je pensais pas que ce serait aussi compliqué… »

Jonnah posa à nouveau son regard sur la carte et, après une dernière hésitation, il se remit à marcher, son ami sur ses talons.

« Quand est-ce que tu vas faire demi-tour ?

– Lâche-moi…

– Eh, sérieusement. Je suis inquiet, là. Ça fait beaucoup trop longtemps que tu tournes en rond. Tu vas venir à bout de ta nourriture et de ton eau.

– Je chasserai un lapin…

– Arrête tes conneries! Ça règle pas le problème de l’eau, il faut que tu trouves une source, au lieu de chercher ton putain de trésor inexistant!

– Ça va, lâche-moi, j’ai pas bu grand-chose…

– Et c’est un problème, ça aussi. Il fait chaud en ce moment, tu peux pas te permettre de te déshydrater, pour… pour quoi, d’abord? Au nom de quoi tu fais tout ça?»

Jonnah haussa les épaules mais cette fois-ci, c’en était trop pour son ami, qui lui barra la route.

« Réponds-moi ! Pourquoi cette quête de trésor est plus importante que ta santé, que ta sécurité? Pourquoi tu risques ta vie pour cette connerie, tout seul dans la forêt?

– T’es avec moi…

– Arrête ! cria presque l’autre. Tu vois très bien ce que je veux dire! Alors Jonnah, dis-moi, pourquoi tu fais tout ça? Tu vas quand même pas me dire que c’est pour l’argent, alors que je t’ai dit que je pouvais te filer plein de tuyaux pour les paris sportifs, le poker, ou toutes les conneries que tu veux pour te faire de la thune facilement!

– Ça n’a rien à voir avec l’argent. Et même si c’était ça, j’ai pas envie de tricher en te demandant ton aide…

– Alors pourquoi, Jonah ?

– Mais… parce que c’est tout ce que j’ai!»

Son cri résonna dans la forêt, un oiseau s’envola dans un arbre voisin.

« J’ai plus rien, tu comprends pas? Ma mère est devenue complètement amorphe depuis la mort de mon père l’an dernier, mon frère s’est tué sur son chantier, et tu peux pas savoir ce que ça me rend fou, je peux même pas les voir, tu m’entends ? Ils sont juste plus là! Alors… ces histoires, ces conneries comme tu dis, ben c’est ce qui me faisait rêver quand j’étais petit, et je me dis que… que si j’ai au moins ça, alors il me reste quelque chose. Un truc pour lequel me battre.»

Son ami resta silencieux un moment, l’air peiné.

« Jonnah… J’avais aucune idée que tu souffrais autant…

– Comme quoi, tu sais pas tout, souffla Jonnah d’un ton désabusé.»

Il s’assit sur un rocher, et son ami le rejoignit silencieusement.

« Mais tu t’es jamais dit que… même s’il a existé, ce trésor, quelqu’un l’a sans doute retrouvé depuis le temps?

– Tu sais pas si c’est le cas, c’est ça?

– Comme tu l’as dit… je sais pas tout. Déjà que j’arrive même pas à me souvenir mon propre nom…»

Le garçon le regarda tristement.

« Désolé…

– C’est rien. Mais alors… pour ton trésor, s’il existe pas…?

– Ce qui compte, c’est pas la destination, c’est le voyage.»

Son ami sourit.

« C’est peut-être une bonne façon de voir les choses.

– Bon… Je vais tenter de faire un feu. Tu me donnes froid.

– Très drôle.»

Perché presque tout au sommet d’un arbre, sur une branche plate, Jonnah regardait l’horizon. Le lever de soleil était magnifique, vu d’ici. Les rayons illuminaient les arbres, les branches, sous un panel de couleurs dorées et rougeoyantes.

« Jonnah ? »

Mais il fallait toujours quelque chose pour gâcher ces moments de contemplation, n’est-ce pas ? Avec un sourire malgré tout, Jonnah redescendit de l’arbre.

« C’est bon, panique pas. Je suis là.

– J’ai cru que tu t’étais fait bouffer par un ours.

– Jamais dans l’excès, toi. »

Il s’étira et entreprit de démonter sa tente.

« Alors, tu fais quoi?»

Sa question et son timbre de voix traduisaient son anxiété. Jonnah se tourna vers lui et haussa les épaules.

« J’arrête là.. »

La tension redescendit d’un cran. D’un seul.

« T’arrêtes là, mais… tu comptes recommencer plus tard?

– Non, non, c’est bon… Je crois que t’as raison. Si le trésor a bien existé… quelqu’un l’a sûrement déjà pris.»

Son ami hocha la tête, sans doute ravi qu’il ait retrouvé la raison.

« Bon, alors… c’est quoi, la suite du plan?

– Ben… je rentre. Parce que je suis pas con, alors j’ai pris une boussole, et je sais que le village est au sud. Aussi, pendant que t’étais occupé à shooter dans des cailloux en me traitant d’irresponsable, j’ai marqué quelques abres pour retrouver mon chemin.»

Son ami sourit, soulagé.

« Mea culpa, t’es mieux organisé que je le croyais…»

Ils reprirent leur marche, mais quelque chose n’allait pas. Il sentait que Jonnah ne lui avait pas tout dit.

« Et la suite…? Après être rentré?»

Jonnah s’arrêta net et se mit à fixer le sol, l’air embarrassé.

« Je… J’ai réfléchi à ce que tu m’as dit. Sur le fait de quitter le village…

– Ah oui ? »

T’es con, lui montre pas que ça t’affecte!

« Je pense que… avec l’argent que m’ont laissé mon père et mon frère, je peux partir, aller quelque part en ville, placer ma mère dans un hôpital pas loin de chez moi, où on s’occupera bien d’elle… Bref, prendre ma vie en main, quoi. Arrêter de courir après des chimères, comme tu le dis si bien… »

Il tenta un sourire mais le cœur n’y était pas.

« Quoi ? Me dis pas que tu vas essayer de me retenir? Après m’avoir dit de partir une bonne centaine de fois?

– C’était plus facile à dire quand tu m’écoutais pas… »

Jonnah eut un petit rire nerveux.

« Ouais, j’imagine…

– Mais t’as raison, hein, en soi… Fais ce qu’il y a de mieux pour toi…

– Mais… t’es sûr que tu pourrais pas me suivre?»

Il y avait peut-être encore un espoir…

« Après tout, tu me dis toujours que t’es une sorte de projection de mon esprit, et que tu peux apparaître que quand il y a quelqu’un comme moi dans les parages, alors… tu pourrais pas?

– C’est pas aussi simple… Je suis quand même relié au village, à l’endroit où j’ai grandi. Je peux pas aller n’importe où juste parce que j’en ai envie…

– Je vois… »

Ils reprirent leur marche, dans un silence entendu. Puis son ami sourit, essayant d’avoir l’air rassurant:

« Mais tu sais… Je t’en voudrai jamais de partir. Il est temps que tu vives avec les vivants, Jonnah.»

Jonnah ne répondit pas. Ses paroles l’avaient trop touché pour qu’il prenne le risque de parler, de pleurer. Alors il regarda droit devant lui, tandis qu’il refaisait le chemin en sens inverse. Il était temps.

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