On disait qu’il s’y cachait des choses plus folles les unes que les autres. Tout l’argent imaginable, le secret de la jeunesse éternelle, ou encore l’âme sœur de chaque personne. Ce que l’on prétendait savoir de l’Autre Côté dépendait de l’endroit où l’on avait été élevé. Les rumeurs n’étaient pas les mêmes d’une ville à l’autre, d’un pays à l’autre.
À l’endroit où Michaël vivait, on racontait que l’on y trouvait ce dont on avait besoin, peu importe ce que c’était. Objet matériel, richesse, amour ou célébrité, on en revenait avec ce qui nous faisait le plus rêver. Soit la chose en question se trouvait directement dans sa poche, soit dans son foyer, soit elle s’installait progressivement dans sa vie.
Mais ce n’étaient que des rumeurs. En réalité, les personnes qui s’y aventuraient n’en revenaient jamais pour témoigner précisément de ce qu’il s’y trouvait. Elles disparaissaient dans la nature, tout simplement. La police concluait toujours les dossiers en tamponnant un simple « affaire classée sans suite ». Personne ne cherchait les Disparus. Les chercher, cela signifiait s’aventurer soi-même de l’Autre Côté. Et ça, c’était hors de question.
Plusieurs théories tentaient d’expliquer les disparitions. La mort, bien évidemment. Mais pour d’autres, cela allait bien plus loin que ça. Certains pensaient que le chemin était si ardu et complexe que les Disparus s’étaient simplement perdus, sans jamais réussir à parvenir de l’Autre Côté ou à revenir sur leurs pas. D’autres pensaient que ce qu’il y avait de l’Autre Côté était si inimaginablement beau que les Disparus choisissaient tout simplement de ne jamais rentrer chez eux, peu importe à quel point ils tenaient à leurs proches et à leur terre natale.
Malgré tout, il y avait toujours du monde pour se lancer dans l’aventure. Parce que la seule chose que l’on pouvait prédire avec certitude, c’était l’endroit précis où le Passage ferait sa prochaine apparition. Et lorsqu’il avait appris que cela se trouverait à environ trois cents de kilomètres seulement de chez lui, Michaël n’avait pas hésité une seconde. Le Passage allait et venait à sa guise sur la planète, et une telle occasion ne se présenterait sûrement jamais plus.
Le jeune homme n’en avait pas cru ses oreilles lorsque les scientifiques de sa région avaient annoncé que le Passage se situerait près de chez lui. Ils l’avaient su car en pleine ville, de la poussière d’or avait fait son apparition près d’un bâtiment désaffecté. La poussière d’or était le signe que le Passage serait bientôt là. Sous quelle forme, nul ne le savait, et d’ailleurs personne ne le voyait jamais apparaître au moment fatidique. Généralement, il s’adaptait suffisamment à son environnement pour passer inaperçu. Un passage un peu caché au milieu de la forêt, une crevasse qui n’était pas là la veille près d’une montagne, une nouvelle porte dans un bâtiment… Tout ce que l’on savait, c’était qu’il ne restait que quelques jours avant de s’évanouir comme il était venu. Et il pouvait mettre des mois avant d’être aperçu de nouveau près de la civilisation humaine.
C’était pourquoi Michaël, dont la famille croulait sous les problèmes financiers, n’avait pas hésité une seconde lorsque l’on avait annoncé la venue du Passage dans sa région. Et malgré les protestations de sa famille qui refusait catégoriquement qu’il rejoigne la longue liste des Disparus, il était parti dans la nuit. Il avait laissé une lettre sur sa table de chevet, promettant qu’il reviendrait avec autant d’argent que nécessaire pour que sa famille puisse enfin sortir la tête de l’eau.
Et il avait foncé à l’endroit où le Passage avait été repéré, principalement en autostop. Sur la banquette arrière des différentes voitures dans lesquelles il avait embarqué, il avait vérifié maintes et maintes fois son équipement. Gourde, nourriture, couvertures, lampe de poche, téléphone et chargeur portable… Mais son téléphone, il avait préféré l’éteindre pour le moment, le cœur serré à l’idée de voir tous les messages et appels manqués qu’il aurait de sa famille. Il leur avait promis de revenir, et il le ferait.
Il était arrivé dans la nuit. Malgré toutes les photos qui avaient été prises et partagées en ligne – et qui deviendraient mystérieusement floues ou noires une fois le Passage disparu, comme toutes les autres, il avait failli ne pas le voir.
Cette fois-ci, c’était un escalier descendant. Un large escalier de pierre étrangement bien entretenu, avec de belles rampes de chaque côté. Comme souvent, il ne détonnait pas dans le paysage, cette fois-ci urbain, dans lequel il se trouvait. Michaël avait dégluti lorsqu’il s’était retrouvé en face de la construction. Il s’était attendu à ressentir quelque chose de profond, de fort et d’innommable, mais rien. L’escalier ne lui procurait aucune émotion particulière, et peut-être que c’était encore pire comme ça.
Il avait également été étonné d’être complètement seul. D’ordinaire lorsqu’un Passage apparaissait, on disait qu’il y avait jour et nuit des attroupements tout autour, et qu’il y avait même des personnes assez peu scrupuleuses pour parier sur le retour ou la Disparition des rares aventuriers. Mais Michaël était seul, complètement seul.
Puis se souvenant de sa promesse, il avait commencé à descendre. Sa boule au ventre s’estompait un peu plus à chaque pas, alors qu’il imaginait toutes les richesses qu’il apporterait à sa famille et combien ils seraient heureux ensuite, libres de leurs dettes et de leurs problèmes.
Et il avait descendu ces satanées marches, des heures et des heures durant, éclairé par des ampoules au plafond qui s’allumaient sur son passage. Il s’hydratait de temps à autre, ou faisait une pause pour manger. Sa montre s’était complètement déréglée, les aiguilles tournant et tournant parfois à toute vitesse, parfois à l’envers. Il avait complètement perdu la notion du temps.
Puis au bout d’un moment qui lui avait semblé être une éternité, il y avait eu cette porte. Cette immense porte noire de sous laquelle s’échappait une lumière blanche. Une lumière qui devint vive à en faire mal aux yeux lorsqu’il tourna la poignée sans une once d’hésitation. Et alors que cette pensée envahissait sa tête :
« Point de non-retour. »
Et il avait vu l’Autre Côté.
⁂
La petite maison vétuste était réparée, agrandie. Enfin, les deux frères cadets de Michaël avaient une chambre chacun. La voiture ne faisait plus un bruit à réveiller les morts lorsque l’on démarrait le moteur. Le père et la mère de Michaël avaient pu démissionner de leur travail éreintant, et se consacrer pleinement à leurs passions.
C’était la vie dont il avait toujours rêvé. Mais il n’était pas à sa place. Il n’était pas chez lui, mais il ne pouvait pas partir.
« Point de non-retour. »
Cette pensée trottait toujours dans sa tête. Il repassait sans cesse dans sa tête ce moment où elle s’était imposée à lui comme une évidence, et où il avait choisi de l’ignorer et d’ouvrir cette foutue porte malgré tout. Où était le Passage à présent ? Qui allait s’y aventurer, et se retrouver coincé comme lui ? Le jeune homme l’ignorait car ici, le Passage n’apparaîtrait jamais.
Avec nostalgie, il repensait à sa vraie famille, restée chez lui, cette famille qu’il avait laissée dans la misère et qui allait maintenant devoir faire son deuil. Lui, il était coincé ici, dans cette sorte de dimension parallèle idyllique qui avait créé son rêve à la perfection. Une illusion.
Mais aux yeux de sa vraie famille, il n’était rien d’autre qu’un Disparu de plus.
« Point de non-retour. »
Bravo Louise ! J’adore cette nouvelle. Etonnant, cette idée de l’escalier que l’on descend des heures durant… sans inquiétude. La fin sonne comme un couperet. C’est super, vraiment.
Coucou ! Merci beaucoup c’est très gentil ♪
Au plaisir de te recroiser par ici ! 🙂