Projet : Inktober 2023.
Objectif : publier une nouvelle tous les trois jours, rédigée en une heure maximum, en suivant la liste officielle du challenge Inktober 2023.
Ce texte se rattache à un ou plusieurs de ces thèmes : 22 – Ça gratte • 23 – Céleste • 24 – Peu profond. / Temps : 29mn.
Elle laisse aller ses bras à la surface de l’eau, les yeux mi-clos, les jambes battant doucement dans l’eau. C’est peu profond par ici, juste assez pour engloutir ses jambes, son ventre, juste assez pour qu’elle puisse se laisser aller dans le courant, paisiblement, sans revenir vers le rivage.
La température est idéale. Non seulement celle de l’air, chaude sans être étouffante, mais aussi celle de l’eau. Elle n’a même pas eu de mal à rentrer, pour une fois, elle qui d’ordinaire est toujours un peu réticente. Les cuisses, l’entre-jambe, le ventre, la poitrine et enfin la nuque, tout un tas d’étapes plutôt difficiles à passer lorsqu’elle se met à l’eau d’ordinaire. Mais pas de ça aujourd’hui. Peut-être que c’est parce qu’elle commence à y être habituée, à force de se rendre ici tous les jours depuis le début de l’été. Déménager sur cette ville côtière avait été la meilleure décision de sa vie.
Depuis qu’elle habite dans le coin, depuis qu’elle vient tous les jours observer l’immense étendue d’eau à cinq minutes à pied de chez elle, elle se sent revivre. Elle a comme l’impression de se reconnecter à elle-même, à sa nature profonde. Elle ne se baignait pas avant l’arrivée des beaux jours, mais rien que de s’asseoir sur les galets et de regarder les vagues lui provoquait un bien-être immense. Elle est à sa place, ici.
Et maintenant que la météo lui permet ces baignades quotidiennes, elle se demande comment elle va pouvoir faire lorsque la pluie et le vent reviendront. Mais il ne faut pas penser à ça tout de suite.
Là, tout de suite, elle y est encore. Elle lève la tête pour observer le ciel. Ses couleurs crépusculaires, ces nuages, pas trop encombrants, qui tracent des formes magnifiques… Cet endroit est fait pour elle.
« Maman, la dame elle est dans l’eau depuis super longtemps ! »
Elle retint un rire mais se mit à frissonner. C’était vrai, elle est là depuis un long moment. Elle en a vu, des familles, des couples, des promeneurs solitaires défiler le long de la plage. Elle est venue ici après sa journée de travail, le temps de poser ses affaires et de se changer, et elle était partie. Et là, à en juger par l’obscurité et la nuit qui commence à tomber, la lune et les étoiles qui apparaissent, il doit être… Elle grimace. Plus de vingt heures.
Son estomac se met à gargouiller et elle peste, agacée. Elle commence à avoir sérieusement froid.
« Pourquoi elle reste aussi longtemps ? »
La mère hausse les épaules, surveillant de près l’enfant qui barbote avec ses brassards.
« Je sais pas, mais nous on va rentrer. Il est tard, il faut manger. »
Manger…
L’enfant et sa mère passent non loin d’elle et elle se recule légèrement. Avec un sourire, elle lance :
« J’attends que tout le monde soit parti pour reprendre ma forme de monstre marin discrètement. »
L’enfant ouvre de grands yeux, l’air de ne pas savoir s’il doit la croire ou non, et sa mère laisse échapper un rire avant de l’entraîner avec elle. Et encore deux de moins.
Elle parcourt la plage des yeux furtivement. Par chance, il n’y a plus grand-monde. Encore un couple qui roucoule sur les galets, une baigneuse qui fait ses longueurs, un homme qui marche en solitaire. Tout ce beau monde est là depuis un moment. Pas aussi long qu’elle, mais tout de même. Ils devraient bientôt quitter les lieux.
Elle soupire presque de soulagement en se tournant vers le rivage. Ses affaires sont là, intacts, avec sa serviette étendue à côté de son sac. Bientôt, elle pourra sortir de l’eau. Elle passe une main sur son haut de maillot de bain, complètement sec depuis le temps, et soupire de frustration. Ça fait trop longtemps que ça dure.
⁂
La nuit est tombée et, même si la vue de la voûte céleste l’a subjuguée durant quelques minutes, elle n’a pas perdu son objectif de vue. Tout le monde est parti et elle pourrait presque dire qu’elle a de la chance, car aucun groupe de jeunes ne s’est installé là pour prendre un pique-nique, allumer un feu ou quoi que ce soit. Il fait nuit, et tout est désert.
Enfin.
Frissonnant plus que jamais, elle se décide enfin à revenir sur ses pas. L’eau se fait de moins en moins profonde, et elle éprouve une certaine gêne en se découvrant. Mais tout est désert, il n’y a plus lieu de s’inquiéter. Lorsqu’elle atteint enfin le rivage, elle se met à marcher plus vite encore et se précipite sur sa serviette pour s’enrouler dedans. Un coup d’œil furtif à gauche, à droite… personne ne semble l’avoir vue. Ouf.
Elle remet sa veste et se frictionne pour se sécher au plus vite. Sa peau en est devenue bleue, ses doigts sont fripés et elle a la chair de poule sur tout le bas du corps. Mais c’est comme ça. Elle ne se voyait vraiment pas faire autrement.
Aujourd’hui, dès qu’elle est entrée dans l’eau, la première grosse vague a presque arraché les nœuds qui retenaient son bas, à gauche et à droite. Elle le savait pourtant, qu’il était trop vieux et plus très solide. Qu’elle aurait dû en racheter un dès le début de l’été, quand elle l’a sorti de sa commode et qu’elle a constaté à quel point il était effiloché. Mais voilà, à force de reporter…
Elle ne consulte même pas son téléphone. Elle n’a pas envie de savoir combien d’heures elle a passées là à attendre que la plage se vide, trop pudique pour ressortir de là sans maillot. La honte !
Elle grommelle tout en enfilant sa culotte et son pantalon, grelottante. Elle a mérité une douche bien chaude après ça. Et il faut qu’elle rachète un maillot, bien solide. Elle remballe ses affaires tout en considérant sérieusement l’achat d’un une pièce, désabusée. Cette sortie à la plage, elle s’en rappellera longtemps.