Projet : Inktober 2023.
Objectif : publier une nouvelle tous les trois jours, rédigée en une heure maximum, en suivant la liste officielle du challenge Inktober 2023.
Ce texte se rattache à un ou plusieurs de ces thèmes : 13 – (S)’élever • 14 – Château • 15 – Poignard. / Temps : 36mn.
Il a élevé des remparts, protégé son royaume.
Plus rien ne l’atteint aujourd’hui. Du moins, c’est ce qu’il laisse transparaître. Il se laisse faire, attend que cela passe, stoïque, le plus immobile possible.
Et ils continuent. Eh bien oui, en même temps, qui va les arrêter ? Personne. Personne n’en a quoi que ce soit à faire. On ferme les yeux, on tourne le dos, on se racle nerveusement la gorge en faisant comme si ça n’était pas en train d’arriver. On passe rapidement à autre chose.
Les élèves ne font rien. Il sait ce que ça fait, d’avoir peur d’être la prochaine cible si on intervient, si on prend partie pour le bouc émissaire. Il l’a déjà vécu à l’école primaire, à l’époque où il croyait encore, naïvement, que l’on pouvait vraiment se dresser contre ce système. Les forts attaquent les faibles en groupe. Les autres suivent ou se taisent.
Les professeurs ne font rien. Ils font leur travail, dispensent le cours, rentrent chez eux le soir. Ils ne voient pas ces choses-là, ou plutôt… ils les voient, quand le bouc émissaire se défend. C’est ce qui lui était arrivé, une fois, quand il avait fini par craquer en plein cours d’histoire. Il s’était retourné pour envoyer sa meilleure droite dans la mâchoire d’un de ces garçons, qui s’amusait à lui envoyer des bouts de gomme sur la tête depuis le début du cours. Oui, il avait bien tenté de se défendre devant la direction. Ce sont eux qui ont commencé, et ça fait des mois, monsieur, je vous jure. Ils s’en prennent à moi, ils sont bien dix à le faire, est-ce que vous allez faire quelque chose ? Mais oui, bien sûr. Une exclusion, mais juste pour vous. Peut-être qu’il vaut mieux une exclusion que dix, pour ne pas ternir la réputation de l’établissement. Peut-être qu’on ne vous croit pas, tout simplement.
Il a bien compris qu’il devait élever ses remparts et protéger son royaume, seul.
L’exclusion lui avait fait du bien, finalement. C’était comme des vacances. Et ses parents n’avaient pas l’air d’en avoir grand-chose à faire, qu’il soit ici ou au lycée. Ils lui avaient vaguement fait la morale concernant son exclusion puis avaient replongé le nez dans leurs affaires. Ne t’avise plus de te battre, mon fils. Pourtant, c’est bien toi qui m’as dit que je devais me défendre contre les garçons qui me harcelaient, si j’étais un homme ? Oui, mais pas comme ça. Mais comment alors ? Silence.
Ah, bon. Alors tant pis. Il avait profité de l’exclusion pour élever ses remparts, protéger son royaume.
Profil bas. Voilà comment il avait fait. Dès qu’il arrivait dans le périmètre du lycée, il mettait sa capuche et baissait la tête. Beaucoup d’élèves en portaient dans les couloirs et son sac de cours n’avait rien d’exceptionnel. Cela suffisait donc pour passer inaperçu la plupart du temps, du moins jusqu’à ce qu’il atteigne son casier ou sa salle de classe. Là, il était repéré.
Et il encaissait. Il encaissait les insultes, les taquineries constantes, les affaires dégradées, salies ou détruites, les cours de sport où on le faisait trébucher, tentait de lui retirer son pantalon. Plus rarement, il encaissait les coups. Non, ils étaient cruels et ne manquaient jamais d’imagination, mais ils n’aimaient pas s’abîmer les mains pour rien. Les coups, il les encaissait surtout à l’époque où il se défendait. C’était terminé, ça.
Le soir venu, une fois qu’il était suffisamment loin du lycée, il se mettait à marcher plus vite pour rentrer chez lui, en sécurité.
Derrière les remparts, dans son royaume.
Il retirait sa capuche, ses chaussures et courait se réfugier dans sa chambre à l’étage. Il bâclait ses devoirs au prix de ce qui lui semblait être un immense effort, puis il tentait d’oublier sa journée en regardant des vidéos, une série, n’importe quoi tant que cela l’aidait à mettre son calvaire derrière lui.
Et, sur son calendrier accroché au mur, il rayait un jour de plus.
Plus que trente.
⁂
Trente jours.
Trente jours de plus pour élever les remparts plus hauts que jamais, protéger son royaume à tout prix.
Ce dernier mois avait été difficile. Il avait peu dormi, mal mangé, il en avait presque raté ses examens. Il n’en pouvait plus de les voir, de les entendre, de les sentir, et si son mutisme lui avait quelque peu épargné leur hargne au début, ce temps était terminé. Ils s’amassaient autour de lui, s’acharnaient, les uns après les autres. Chacun d’entre eux voulait être celui qui allait le faire craquer. Mais il avait tenu bon comme il pouvait, et ne leur avait jamais donné la satisfaction de verser la moindre larme devant eux. Tout sauf ça.
Il en est venu à bout, de cette année. Il vide son casier pour la dernière fois, détache son cadenas et pousse un bref soupir. Personne ne fait attention à lui. Après tout, les vacances sont enfin là, qui va se soucier du bouc émissaire aujourd’hui ? Personne. Tout le monde est bien trop occupé à discuter de la soirée de fin d’année. De la tenue qu’ils porteront, de l’alcool qu’ils essaieront d’introduire en douce, de qui vient dans la voiture de qui, qui a la permission de rester jusqu’à minuit…
Ça n’a aucune importante, tout ça. C’est presque comme s’ils parlaient une langue étrangère à ses oreilles. Il rentre chez lui.
⁂
Avec des yeux vides, froids, il jette un dernier regard au sac de sport noir ouvert sur son lit. Ça avait été comme des vacances, cette exclusion. Des vacances pendant lesquelles il avait eu une révélation, pendant lesquelles la solution lui était apparue clairement. Il avait eu le temps de se renseigner, de passer quelques coups de téléphone, d’effectuer quelques transactions en douce. Toutes ses économies y étaient passées, mais est-ce que ça avait la moindre importance ? Il n’y aura plus rien après ce soir.
Il les compte encore une fois. Automatique, semi-automatique, chargeur, munitions.
Il ferme le sac et le lance sur son épaule. Il met son casque, sa playlist préférée. Il a élevé des remparts, aiguisé son poignard.
Il part de chez lui.
✨️USA✨️🎶
Fuck yeah