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Chrono Challenge : Mettre les voiles

C’est une chaîne, une boucle, un recommencement, peu importe la façon dont vous appelez cela. C’est un cycle infernal qui a commencé il y a bien longtemps. Mais j’ai commencé à voir les choses autrement, comme si j’étais enfin parvenue à prendre du recul sur la situation.


C’est comme un carrousel. 

Tu arrives, tu prends ma main, tu enfiles la belle casquette de capitaine. Le carrousel démarre. Tu choisis ce petit bateau pour nous deux, un peu à l’écart, ce bateau que personne ne regarde jamais, sur lequel personne ne monte jamais. Ce n’est pas le plus beau ni le plus confortable des bateaux, mais il tient le coup.


Tu montes avec moi, nous voilà assis l’un contre l’autre. Le carrousel prend de la vitesse, le navire brave la tempête. Depuis mon embarcation, notre embarcation, tout me paraît magnifique. Ce n’est pas le plus majestueux ni le plus onéreux des bateaux, mais il tient le coup.


Tu me prends le bras, tu me fais danser sur le pont. Le carrousel est parti pour un énième tour. Au milieu de cette douceur, je sens une ardeur que je ne te connaissais pas au début. Je ne m’en inquiète pas. Je t’aime, tu m’aimes, et nous affronterons d’autres ouragans tous les deux. Même s’il faut tenir les rames à bout de bras, nous sommes dans le même bateau. Ce n’est pas le plus robuste ni le plus solide des bateaux, mais il tient le coup.


Tu n’affrontes plus la tempête, tu deviens la tempête. Le carrousel ralentit, emporté pour un dernier tour. L’ultime, n’est-ce pas ? C’est toujours ce que je me dis alors que je m’efforce de maintenir le cap encore une fois, avec ma boussole brisée et mon gouvernail usé par le temps. La coque est percée, l’eau entre sans cesse, il faut écoper sans relâche mais je suis seule à le faire. Les voiles sont mal fixées, se froissent et se détachent régulièrement, et je suis la seule à les tendre et à les remettre droites.

Tu n’es jamais satisfait, mais j’essuie la tempête. Épuisée, essoufflée, désorientée. Ce n’est pas le plus accueillant ni le plus agréable des bateaux, finalement. Et il ne tient plus le coup.


Tu t’apprêtes à recommencer, à mener cette danse infernale à nouveau, mais le carrousel s’est arrêté. Je descends sur la terre ferme, libre un court instant, et te regarde encore une fois. Nous sommes dans l’œil du cyclone, le seul moment de calme au milieu de la tempête.

Ce moment où tu deviens un autre, celui où tu me supplies de reprendre la mer avec toi, celui où tu me promets que tu reconstruiras et répareras notre embarcation avec moi, celui où tu me jures que la prochaine fois, nous tiendrons la barre à deux, où tu m’assures que cette fois, ma peau ne se teintera pas des nuances bleutées de l’océan.

Et je te crois, encore une fois. Je te rejoins sur la jetée : le carrousel redémarre. Au loin sur le rivage, j’entends ma famille qui m’appelle, qui me supplie de rester à ses côtés, de ne plus jamais naviguer avec toi. Mais je ne les écoute pas.

Nous sommes repartis en mer, prêts à affronter d’autres tempêtes.


Aujourd’hui, j’ai enfin cessé de me voiler la face. Nous n’étions pas dans le même bateau, c’était moi qui étais dans le tien. Et un jour alors que le carrousel n’avait même pas encore terminé son manège, j’ai jeté l’ancre. Je suis partie à la nage, seule. Les femmes et les enfants d’abord, comme on dit. Avant de quitter le navire, j’ai emporté ta casquette de capitaine : tu ne la mérites pas, après tout. Tu m’as répété que ce n’était pas prudent, que j’allais me noyer, partir à la dérive, tomber sur des loups de mer malintentionnés.

Mais je ne t’ai pas écouté. J’ai atteint le rivage saine et sauve.

En vie.


Armée d’une toute nouvelle confiance en moi, j’ai inspiré profondément. La mer est vaste. Demain, je mettrai les voiles. Chaque jour, j’irai plus loin encore. On dit qu’il y a plus d’un poisson dans l’océan, et j’ajouterais aussi qu’il y a plus d’un marin, et plus d’un navire. Il existe des bateaux somptueux, inébranlables et bien plus admirables que le rafiot que je viens de quitter. Sans une once d’hésitation.

L’océan s’étend devant moi, vaste, aux possibilités infinies. Je peux trouver un autre acolyte, ou choisir de mener la barre seule. J’enfile la casquette de capitaine.

Le carrousel est tombé en panne, irréparable. Mais moi, je souris.

Tant pis pour lui.

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