Noir.
Je lisse doucement les plis de ma robe noire à corset. La dentelle est parfaite, toujours. Mes bottes longues à lacets, admirablement assorties, sont comme neuves. Les mitaines fleuries sont posées là, sur le rebord du lavabo. Mais j’attends d’avoir perfectionné mon maquillage avant de les enfiler. Elles ne doivent souffrir d’aucune tache. Mais je peux accrocher le pendentif autour de mon cou, minuscule rose sombre se balançant au bout d’une chaîne, prisonnière d’un petit écrin de verre. Délicat, parfait.
Violet.
Lentement, j’applique une deuxième et infime couche violine sur mes lèvres. Pulpeuses, attirantes, exactement le contraire de ce qu’elles étaient il y a quelques minutes à peine. Gracieuses, parfaites. Minutieusement, j’imprègne le petit pinceau d’une couche de fard à paupières de la même couleur. Un œil après l’autre, je me transforme. Je souligne mon regard d’un trait de crayon tout aussi sombre. Ça y est. Irrésistibles, parfaits.
Vert.
Je me lave consciencieusement les mains, prenant mon temps pour savonner entre chacun de mes doigts. Je me sèche méticuleusement, et je suis prête pour l’étape suivante. Doucement, je plonge mon doigt dans ce liquide étrange et en ressort la première lentille. Je la pose sur mon œil sans trembler, le ferme, et recommence avec l’autre. Le brun qui me caractérisait a complètement disparu sous une fine couche synthétique de vert. Mes yeux n’ont jamais été si beaux. Séduisants, parfaits.
Or.
Un dernier petit détail m’attend après avoir enfilé les mitaines. Il est posé là, sur l’étagère de la salle de bain. Une élégante bague en or, représentant un serpent qui se mord la queue. Adorable attention, offerte par un jeune homme dont je suis éperdument amoureuse. Je l’enfile à mon annulaire à mon tour. Distinguée, parfaite.
Brun.
Je relis une énième fois les instructions au dos de la bouteille de coloration permanente que j’ai utilisée. Mais j’ai effectué un travail d’orfèvre, très soigné. J’ai bouclé mes cheveux à la perfection. Ce blond fade et ces cheveux lisses m’ont trop collé à la peau. Je contemple ma nouvelle crinière, si fière d’avoir réussi à la dompter. Je ne l’attacherai pas, elle est très bien comme elle est, volant au vent. Soyeuse, parfaite.
Blanc.
Je me saisis du petit flacon de verre opaque sur l’étagère, et pulvérise une bouffée de parfum au creux de ma paume. Avec application, je tamponne mon cou pour y déposer l’odeur. Je prends un instant pour le humer, enchantée par cette fragrance. Du lys subtilement mélangé à d’autres senteurs. Envoûtant, parfait.
Bleu.
Je vérifie le contenu du petit sac marine posé sur l’étagère : téléphone, papiers, clés, tout y est. Il y a même des mouchoirs, un stylo et un carnet, un petit tube de crème hydratante. Tout est prêt. Ordonné, parfait.
Rouge.
J’ai bien appris mon texte pour ce soir, admirable comédienne que je suis. Je connais l’adresse, et je suis à l’heure. Dans dix minutes, l’homme que j’aime viendra me chercher au pied de l’immeuble, et nous partirons ensemble pour cette soirée mémorable. Je me retiens de pester alors que ma botte entre en contact avec un liquide pourpre. Je réglerai ce détail en rentrant, mais je ne dois pas me salir.
Je m’avance vers la porte, mais je ne peux m’empêcher de me retourner pour lui jeter un dernier regard. Dénudée, étendue sur le sol de sa propre chambre, ses yeux olive me fixent, dénués de vie mais toujours emprunts de ce regard de haine et de surprise mêlées. « Toi. », semblait-elle dire. Oui, moi. Moi, celle à qui tu as tout pris ; moi, celle dont tu as détruit la vie. Moi, qui vais tout te reprendre ce soir. Je regrette que tu n’aies rien vu venir, sincèrement. Mais je dois aller jusqu’au bout. Je franchis le seuil de la porte sans regret et la referme à clé. Le portable vibre : l’amour de ma vie est arrivé et m’attend en bas. Je prends une grande inspiration. Je ne suis même pas nerveuse. Ce soir, je reprends mes droits. D’un pas décidé, je descends les escaliers.
Métamorphosée, parfaite.