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Chrono Challenge : Pour la bonne cause

Projet : Inktober 2023.

Objectif : publier une nouvelle tous les trois jours, rédigée en une heure maximum, en suivant la liste officielle du challenge Inktober 2023.

Ce texte se rattache à un ou plusieurs de ces thèmes : 25  Dangereux • 26 – Retirer • 27 – Bête. / Temps : 53mn.

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Elle avait toujours rêvé de le faire, quand elle était petite. À chaque fois qu’elle passait devant un zoo, devant un parc aquatique ou une autre quelconque aberration qui visait à enfermer des animaux qui n’avaient rien demandé juste pour le plaisir de divertir des badauds agglutinés devant leur cage, elle y pensait. Ces gosses qui se pressaient autour des clôtures, criaient ou tapaient sur les vitres pour attirer l’attention de ces pauvres bêtes. Oui, parfois, les employés les rappelaient à l’ordre, ou bien les rares parents qui avaient du bon sens. Et certains de ces enfants étaient bien élevés, mais cela la faisait bouillir de rage. Pourtant, elle n’y avait mis les pieds qu’une seule fois, à l’occasion d’une sortie scolaire. Et tout cela l’avait mise profondément mal à l’aise.

Elle avait de la peine devant ces félins qui faisaient le tour de leur cage en quelques pas, l’air las. Elle se sentait infiniment triste pour tous ces oiseaux qui ne pouvaient plus voler, dont les plumes multicolores semblaient presque perdre leur éclat. Elle avait le ventre qui se tordait en pensant aux orques, ces créatures magnifiques, forcées de sauter dans des cerceaux pour un public stupide, au lieu de parcourir librement les océans. Ils mouraient tous à petit feu.

Elle n’y avait plus jamais remis les pieds. Et lorsqu’elle entendait des personnes de son entourage qui parlaient de s’y rendre, elle tentait le dialogue avec eux. Bon, ça ne marchait pas toujours. Surtout au début, quand elle prenait ça trop à cœur et s’énervait rapidement. Elle avait appris à être plus calme depuis le temps, et avait réussi à convaincre plusieurs personnes que les animaux n’avaient pas leur place là-bas, et que cela représentait juste une énorme machine à fric. Encore, certains zoos versaient quelques bénéfices à la sauvegarde des espèces en danger, et certains animaux qui y étaient enfermés se seraient éteints à l’extérieur. Oui, elle savait que tout n’était pas tout noir ou tout blanc, maintenant. Elle était capable de discerner les choses, de débattre calmement. Et au lieu de passer son temps à s’énerver sur ces choses, eh bien, elle se battait dans son coin, à sa façon. Elle manifestait, faisait des dons à des associations quand elle en avait les moyens, ce genre de choses.

Et… elle avait une activité secrète. Pas tout à fait secrète, puisqu’elle avait un complice.

« Si on se fait choper, on est morts, disait-il quelquefois. »

Comme si elle ne le savait pas. Voilà comment étaient les choses : puisqu’elle ne pouvait pas en permanence s’en prendre aux zoos ou aux parcs aquatiques, elle s’était rabattu sur quelque chose de bien plus attrayant. Les cirques. Les cirques, en voilà un business qui exploitait les animaux. Oui, certains d’entre eux se défendaient, de soi-disant bien les traiter, de ne pas employer d’animaux sauvages… Alors elle surveillait. Des heures entières, de nuit, elle se cachait à proximité pour observer les animaux, la façon dont on les traitait. Si elle jugeait que c’était satisfaisant, elle repartait, bien que toujours agacée de savoir qu’un animal était obligé de marcher sur des plots ou de faire du vélo pour distraire « une bande d’abrutis ». Mais si elle remarquait des signes de maltraitance, en revanche… Si elle constatait que la nourriture n’était qu’une récompense en cas de spectacle réussi, si elle voyait des coups, des cages trop petites, des chaînes inutiles et douloureuses, elle mettait au point un plan d’attaque, sur plusieurs jours.

Le complice faisait diversion à ses risques et ses périls, et elle partait ouvrir les cages. À ses risques et périls aussi, bien sûr. Heureusement qu’ils agissaient masqués, qu’ils couraient vite et qu’ils avaient une voiture nerveuse. Une ou deux fois, l’animal n’avait pas pu aller bien loin avant d’être rattrapé. Mais la plupart du temps, ils y parvenaient. Surtout les oiseaux, en réalité. Et elle espérait qu’ils retrouveraient leurs instincts sauvages, ceux qu’ils avaient avant d’être capturés, pour vivre à nouveau dans la nature.

Leur plus grande réussite, c’était cet ours brun. Il s’était enfui en trombe, en grognant d’une façon impressionnante qui lui avait hérissé le poil, avant d’aller se cacher dans la forêt à proximité. Une véritable traque des autorités s’en était suivie et, une fois attrapé et mis sous sédatif, les vétérinaires avaient constaté les marques de maltraitance. Les chaînes trop serrées autour du cou, des pattes, des marques de coups et de brûlures… Le cirque n’avait pas eu le droit de le récupérer, et il avait été placé dans une grande réserve naturelle, dans laquelle on le nourrissait et surtout, on lui fichait la paix. Elle était fière d’elle, mais un peu amère. S’il fallait en arriver là pour que les autorités s’inquiètent du sort de ces animaux… alors elle devait continuer. Elle ne les laisserait pas comme ça.

« T’es sûre de ton coup ?»

Elle hocha la tête tout en vérifiant son matériel. Antoine était inquiet et ça pouvait se comprendre. Ce coup-ci n’était pas comme les autres. Ils le savaient tous les deux, et c’était pour cela qu’il était aussi nerveux. Pourtant il la suivrait partout, et elle le savait. Elle lui soupçonnait un léger crush pour elle, mais elle n’avait pas vraiment envie d’en parler. Quand elle était avec lui, sa priorité, c’étaient les animaux.

« Tu sais que là… ça pourrait carrément être considéré comme un acte terroriste?

– Oui, on dit souvent ça des gens qui se bougent pour leur cause, oui.

– Non mais, Sarah, une bombe ?

– Des explosifs localisés, c’est très différent. C’est pas tuer qui que ce soit, tu le sais très bien.

– Ouais mais quand même! C’est sérieux!

– Je t’ai dit, j’ai fait tous les tests possibles dans l’ancienne décharge, répliqua-t-elle d’un ton agacé. Ça pète vraiment pas fort. T’aurais dû venir, tu serais rassuré.

– Hm…

– De toute façon, ils sont déjà posés. Alors il y a plus qu’à profiter du spectacle.»

Elle s’attacha les cheveux. Tout était prêt. Ils s’étaient faufilés à l’extérieur des caravanes et des tentes, avaient repéré les fourgons qui transportaient les animaux, avaient placé de petits dispositifs discrets et s’étaient éclipsés aussi vite qu’ils étaient venus. Ça avait l’air simple, dit comme ça, mais ça ne l’avait pas été. Ce cirque était spécial. Les animaux étaient transportés dans de gros fourgons blindés, il y avait des caméras, des tours de garde… Tout un système qu’ils avaient dû déjouer ensemble. Il avait fait tourner les caméras en boucle sur des images factices, ils avaient dû se faufiler au milieu des gardes, elle en avait endormi un sur sa chaise grâce à une fléchette de sédatif… Puis ils étaient revenus à leur voiture, s’étaient éloignés, garés sur les hauteurs. Et à pied, ils s’étaient rapprochés de la falaise pour observer le cirque en contrebas, allongés dans les fourrés. Invisibles. Dans quelques minutes, ce serait le chaos à cause d’eux, et personne n’en saurait rien.

La barrière de l’illégalité avait été franchie de très nombreuses fois, ce soir. Mais elle n’était plus à ça près, et c’est aussi ce que disait Antoine. Cela l’arrangeait bien.

Elle sortit ses jumelles pour observer le campement. Quelqu’un venait vers le garde endormi, et allait bientôt s’en apercevoir et essayer de le réveiller. S’il n’y parvenait pas et qu’il comprenait qu’il avait été drogué, il donnerait l’alerte. Il n’y avait plus de temps à perdre.

« Bon, faut le faire. Lance-les.

– T’es sûre ? On y est allés fort, quand même…

– Je suis sûre ! »

Il avait raison, mais elle ne voulait pas reculer. Toutes ces précautions, ces fourgons blindés, c’était dû à une chose: ce cirque se vantait d’avoir des animaux très dangereux. Ils ne s’étaient pas encore produits dans la région, mais on parlait d’animaux tous plus terrifiants les uns que les autres. Alors non, ils n’avaient pas respecté leur protocole. Ils n’avaient pas passé des nuits à surveiller l’état des bêtes ni à prendre des notes, mais à mettre au point leur plan d’attaque. Des animaux «dangereux», cela signifiait avant tout des animaux sauvages. Des loups, des grizzlis, des tigres, que savait-elle encore? Rien qui n’ait sa place au milieu des humains. C’était absurde, et ils méritaient ce qu’ils allaient leur faire. Démanteler tout ça la veille de leur première représentation dans la région enverrait un message puissant. Ils ne pouvaient pas reculer.

« OK. Let’s go. »

Antoine appuya sur un bouton et quelques secondes plus tard, une série de petites explosions se firent entendre. C’était léger, comme les petits pétards que les enfants jetaient avant les feux d’artifices. Puis le fracas des portes métalliques qui se répandaient sur le sol, les cris alertés des employés du cirque…

« T’avais raison, c’était pas trop fort.

– Je te l’avais dit, fabrication maison. Bon, ils vont peut-être réussir à en rattraper quelques-uns, mais j’espère que…»

Elle s’interrompit net en entendant un grognement sourd. Elle en eut immédiatement la chair de poule, et se tourna vers Antoine comme pour s’assurer qu’elle n’avait pas rêvé.

« C’était quoi, ça…? »

Il ne semblait pas plus rassuré qu’elle. Là-bas, au campement, alors qu’elle s’attendait à voir les hommes se précipiter sur leur matériel, leurs cordes, leurs fusils à sédatifs, ils… s’enfuyaient?

Un claquement sec la fit sursauter. Puis il y en eut un autre, et encore un autre, tandis que les fourgons bougeaient dans tous les sens. Quelques chaînes se mirent à pendre lamentablement en dehors des cages. Elle sentit un nœud se former dans son estomac. Des chaînes de cette taille, brisées aussi facilement? Ses yeux s’écarquillèrent alors qu’elle vit un premier animal qui sortait d’une des cages. Son cœur s’arrêta de battre un instant pour recommencer à une vitesse soutenue. Elle avait peur, parce que ça ne ressemblait à rien de ce qu’elle connaissait.

« Sarah… »

Antoine parla d’une voix blanche, les yeux exorbités, le teint plus pâle que jamais.

« Qu’est-ce qu’on vient de libérer?»

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