Projet : Inktober 2023.
Objectif : publier une nouvelle tous les trois jours, rédigée en une heure maximum, en suivant la liste officielle du challenge Inktober 2023.
Ce texte se rattache à un ou plusieurs de ces thèmes : 1 – Rêve • 2 – Araignées • 3 – Chemin. / Temps : 30mn.
Un pas après l’autre.
Allez, encore un effort. Tu peux le faire, ce n’est pas si difficile. Éteins ton cerveau, ne pense à rien, progresse.
Oui, on fera une pause bientôt… En attendant, marche. Quoi, tu veux t’arrêter maintenant ? Non, allez, encore un pas… Puis un autre… Si on arrive bientôt ? Oui, sans doute. Ce n’est plus très loin.
Tu vois ? Quand tu ne réfléchis pas, ça va tout seul. Ne regarde pas tes pieds, ça te fera oublier à quel point ils te semblent lourds. D’ailleurs, ne regarde nulle part…
Oh, non… trop tard.
⁂
Mais où est-ce qu’on est ?
Cet endroit ne ressemble à aucun autre. Oui, à première vue, c’est une forêt. Cela ne l’avance pas tellement. Des forêts, il y en a des tas dans le monde, sur des millions et des millions d’hectares.
OK. Procédons par étapes. Ce ne sont pas des conifères, alors elle n’est probablement pas en altitude. Le sol semble relativement humide, et les arbres en bonne santé. Leurs feuilles sont vertes et ne retombent pas. Est-ce que ça pourrait ressembler à une forêt près de chez elle ?
Près de chez elle…
Elle voudrait se stopper net mais s’en sent incapable, comme forcée à marcher, encore et encore. Pourtant, la question est venue. Chez elle… Mais c’est où, chez elle ?
La tête lui tourne. Elle reconnaît sans peine cette montée d’angoisse dans les battements de son cœur qui s’emballent, sa respiration saccadée, mais elle ne peut s’arrêter de marcher. Quand est-ce qu’elle arrivera enfin ? Et quand est-ce que… quand est-ce qu’elle est partie ?
Elle lève la tête, les yeux grand ouverts. Les feuilles sont vertes, le ciel est… bleu, légèrement couvert. La température est douce… En quelle saison est-ce qu’on est ? Ça pourrait être n’importe quoi. Un printemps ordinaire, une accalmie en été entre deux canicules, un début d’automne, un hiver doux… Ça pourrait être n’importe quand, en particulier puisque ça peut être n’importe où.
Elle ne sait pas. Tout ce qu’elle sait, c’est que ses pieds continuent d’avancer, contre sa volonté, contre toute raison. Mais où est-ce qu’elle va comme ça ? Et qu’est-ce qui lui prend, de marcher autant ? Ce n’est plus de son âge, pourtant, ce…
Son âge ?
Elle tend les mains devant elle, tandis que ses pieds continuent à avancer l’un après l’autre, comme s’il n’y avait que ça à faire. C’est quoi, son âge ? C’est dur à dire. Ses mains ne sont pas ridées, mais elles ne font pas toutes jeunes non plus.
Mais qui est-elle ?
Avant même qu’elle ne formule dans sa tête l’idée de détailler sa couleur de peau, ses bras se sont rabattus le long de son corps d’eux-mêmes, comme s’il lui était interdit de connaître cette information. Et sa marche continue, obstinée, insensée.
Elle ne parvient même plus à évacuer son stress en soufflant. C’est comme si la vague d’angoisse reculait de force, comme si une force intérieure lui avait intimé de se calmer. Pour autant, elle est toujours un peu alerte, quelque part. Ce qui se passe n’est pas normal.
Elle essaie de réfléchir. On n’entend que le bruit de ses pas, à des kilomètres à la ronde. Est-ce qu’elle devrait appeler à l’aide ? Elle aimerait le faire mais, sans pouvoir se l’expliquer, elle a l’intime conviction qu’elle est seule ici. Et elle en est incapable, comme si sa voix était bloquée dans sa gorge. Sa voix… à quoi ressemble-t-elle, déjà ? Était-elle un peu grave, traînante, chantante, aiguë…? Était-elle seulement une voix féminine ? Est-ce qu’elle est seulement une femme ?
Ses mains ne bougent plus, alors elle tente de baisser les yeux vers ses pieds. Peut-être y a-t-il un indice quelconque, n’importe lequel, dans sa pointure ou même la forme de ses chaussures ? Comme si elle avait entendu ses interrogations, la forêt se pare presque aussitôt d’une petite brume, entre le blanc et le gris. Elle ne voit plus rien au sol. Trop tard. Tant pis, ça restera elle.
Et déjà, elle sent sa tête se relever, ses yeux sont rivés droits devant elle, comme si rien n’avait plus d’importance à part ce chemin, ce chemin qui la mène elle ne sait où.
Et c’est vrai. Plus rien n’a d’importance, et plus elle avance, plus elle s’en aperçoit. À quoi bon lutter, se poser des questions, ou même essayer de résister ? Ce qui compte, c’est d’avancer. La petite alerte s’est éteinte. Doucement.
Ne pas se poser de questions, avancer. Ses pieds ne lui font plus mal. Elle peut continuer, encore un peu. Elle est bientôt arrivée, de toute façon, elle le sent, au plus profond d’elle-…
« Je perds qui je suis »
Alerte.
Elle parvient à tourner la tête pour relire ces cinq mots encore une fois. Puis deux. Qui a bien pu venir graver ça sur cet arbre ? Qu’est-ce que ça signifie ? La tension est remontée dans son corps, mais la marche se poursuit. Bientôt le message est hors de sa vue.
Mais qu’est-ce qu’il se passe ?
« Est-ce que c’est moi qui ai fait ça ? »
Elle ne sait pas. Elle ne sait plus rien, là où elle en est.
Le soubresaut de conscience s’éloigne, l’alerte s’éteint.
Elle continue sa route.