« Capitaine Vicky au rapport, nous avons reçu une réponse à 22h16, hier soir. Nous n’avons pas pu la lire à l’heure de la réception parce que nous étions au dodo. Nous allons donc la découvrir ici, en direct… »
Décidément, elle aimait beaucoup ce petit micro hors d’usage que lui avait refilé son père. Il pimentait ses jeux d’enfant à la perfection, s’ajoutant à la large collection de jouets étranges qu’elle possédait. Car mine de rien, elle avait accumulé un bel arsenal, entre les objets achetés d’occasion, les cadeaux d’amis et le matériel de récupération. Son père, même s’il ne roulait pas sur l’or, faisait de son mieux pour lui trouver de nouvelles choses de temps en temps. Et Victoria s’en contentait toujours, plus que ravie de recevoir des cadeaux. Elle n’avait pas les dernières baskets à la mode, ni les stylos et le cartable de marque de certains de ses camarades jalousés par les autres, mais elle s’en moquait. Elle avait sa Cabine.
Car depuis quelque temps, Victoria s’était mise en tête de communiquer avec les étoiles. C’était parti de rien. Un soir alors qu’elle observait le ciel nocturne, elle avait demandé à son père :
« Papa, il y a des gens qui vivent là-haut, dans les étoiles ? »
Celui-ci avait réfléchi un instant avant de répondre, du ton qu’il adoptait toujours lorsqu’il racontait des histoires :
« Oui, évidemment. On les appelle les Stellaires. C’est un peuple pacifique et très intelligent.
– C’est quoi pacifique ?
– Ça veut dire qu’ils sont en paix avec tout le monde. Il n’y a jamais de guerre chez les Stellaires. Il n’y a pas non plus de maladies, ni d’injustice. C’est un très beau peuple.
– Waouh ! Mais, on peut pas aller leur rendre visite aux Stélères ?
– Non, ma chérie. Déjà, l’espace n’est pas un endroit pour nous, tu sais. Et puis, ce serait méchant de notre part de briser leur petite bulle de paix, tu ne crois pas ?
– Oui peut-être mais… Et juste leur parler alors ?
– Oui, leur parler, peut-être. Mais il faudrait du matériel très difficile à fabriquer pour ça !
– Eh bien moi, je vais le faire ! avait fièrement clamé la petite fille en bombant le torse. »
Et c’était ce qu’elle avait fait. D’abord, elle s’était isolée dans une petite cabane fabriquée à partir du carton qui enveloppait autrefois le frigo. Puis à l’intérieur de son antre, aidée par son père, elle avait installé une lampe, un petit carnet et des stylos. Elle avait bricolé une sorte d’antenne, puis à son anniversaire, son père lui avait acheté un gadget supplémentaire, celui qu’elle affectionnait le plus à ce jour : c’était une petite machine à écrire électronique, une sorte d’écran avec un clavier qui proposait quelques jeux basiques ainsi qu’une petite zone de traitement de texte. L’écran n’était même pas rétroéclairé et il émettait des sons grésillants affreux lorsqu’on l’allumait et qu’on l’éteignait. Mais Victoria l’avait directement adopté, et avait déclaré que c’était à l’aide de ceci qu’elle communiquerait avec les Stélères, comme elle les appelait. Et depuis ce jour, elle passait la majeure partie de son temps libre dans cette cabane, au fond de la chambre d’amis inutilisée.
Cela faisait toujours sourire son père. Il l’élevait seul depuis deux ans et, à la mort de sa femme, l’une de ses plus grosses inquiétudes était que sa fille ne retrouve jamais le sourire. Fille unique, sans animaux de compagnie, il pensait que ses nombreuses absences dues à son travail la plongeraient dans une tristesse et un ennui accablants. Mais il s’était trompé : débordant d’imagination, jamais à court d’idées, sa fille trouvait toujours de nouveaux jeux auxquels il faisait de son mieux pour prendre part.
Lorsqu’elle avait écrit une lettre destinée à Chamazouk, l’esprit de la forêt, il y avait répondu. Lorsqu’elle avait laissé des offrandes pour les lutins de la rivière, il les avait déplacées dans la nuit et sous une pierre, avait laissé un petit mot de remerciement d’une écriture étrange. Victoria ne croyait ni au Père Noël, ni aux cloches de Pâques, ni à la petite souris. Elle croyait aux histoires qu’elle et son père inventaient, dur comme fer. Voir que sa fille, son unique fille, avait hérité de la créativité et de la joie de vivre de sa mère lui mettait du baume au cœur. Alors quoi de plus normal que de l’aider à installer son matériel pour communiquer avec les Stellaires ?
Ce petit jeu avait duré quelques mois. Victoria se rendait dans sa cabane chaque jour, écrivant des messages codés pour les Stellaires sur sa petite machine. Puis lorsqu’elle y retournait le lendemain, elle notait scrupuleusement les réponses qu’elle avait reçues, débordant de joie à chaque fois qu’elle revenait de sa cachette.
« Papa, ils m’ont encore répondu ! criait-elle lorsqu’elle se mettait à table. »
Et avec un sourire en coin, son père répondait invariablement :
« Et ils ont dit quoi ?
– Ils ont dit qu’ils aimeraient beaucoup me rencontrer moi aussi ! Et qu’ils enverraient des cadeaux s’ils le pouvaient ! Ils sont vraiment trop gentils ! »
Ensuite, sa fille passait les dix minutes suivantes à lui décrire ses idées pour les fois suivantes, comme par exemple son projet d’envoyer du fromage aux Stellaires afin de le leur faire goûter, ou encore de leur envoyer des chansons de son groupe préféré et leur demander ce qu’ils en pensaient. Elle regorgeait toujours d’idées, de stratagèmes. Et à chaque fois qu’elle repartait vers sa Cabine, son père la regardait d’un œil bienveillant.
Ainsi était l’enfance de Victoria, baignant dans l’innocence et les jeux d’enfants.
⁂
Ce jour-là, son père l’avait appelée pour lui demander de passer dans la semaine lorsqu’elle le pourrait. Vivant seul depuis quelques années déjà, il avait l’intention de déménager dans un logement plus petit. Il avait besoin que sa fille vienne trier les affaires de son enfance et de son adolescence qu’elle souhaitait garder ou jeter. Avec un pincement au cœur de nostalgie, Victoria avait réservé son week-end pour s’atteler à la tâche.
Elle gara sa voiture dans l’allée de gravier et observa la maison quelques secondes avant de sortir. Son père apparut sur le seuil, souriant. Ils s’étreignirent longuement, ne s’étant pas vus depuis quelques mois.
« Ma petite Vicky ! J’ai l’impression que tu grandis toujours !
– À vingt-deux ans ? Non, c’est juste toi qui rétrécis, le taquina la jeune femme.
– Ne charrie pas ton vieux père ! »
En rigolant ensemble, ils entrèrent dans la maison. Et après un petit café, ils commencèrent le tri.
Deux heures plus tard, on ne pouvait pas vraiment dire qu’ils avaient avancé. Victoria se perdait dans la contemplation de ses jouets d’enfant, le sourire aux lèvres.
« Je dessinais si mal que ça ? soupira-t-elle en levant une feuille sur laquelle étaient grossièrement tracés des bonshommes bâtons.
– Tu avais huit ans, tempéra son père. Ne sois pas si dure avec toi-même !
– Oh mon dieu, la relique ! Tu ne jetais vraiment rien ! Un vrai vieux atteint du syndrome de Diogène ! »
Elle rit et réajusta ses lunettes en sortant une petite pierre peinte en doré d’un carton.
« La pierre d’or offerte par les trolls du bois pour me remercier de leur avoir cueilli un bouquet de pâquerettes, hein ? Vraiment, tu manquais pas d’imagination, papa.
– Et toi, tu ne manques pas de mémoire, je suis étonné.
– Oh, et ça ! C’était la réponse à la lettre de l’esprit de la forêt… Camouk ? Cazouk ?
– Chamazouk, corrigea son père.
– Ouh, ta mémoire est encore fraîche toi aussi ! »
Son père rit avec elle en déplaçant un autre carton.
« Tiens, ton appareil pour communiquer avec les Stellaires. Sans accents.
– Eh, te moque pas du sens de l’orthographe que j’avais à huit ans, hein, répliqua-t-elle en jetant un coup d’oeil dans le carton. Oh, oui, le micro ! C’est vrai, ça m’avait occupée des mois, ce petit jeu-là !
– Ah ça oui, tu ne t’arrêtais plus. Bon, je vais nous rechercher un café ?
– Pourquoi pas… »
Pensivement, elle attira le carton à elle, le sourire aux lèvres. Les Stellaires. Elle qui pensait qu’elle n’oublierait jamais ce jeu, il resurgissait dans son esprit seulement maintenant. La Cabine, l’écran, le micro…
« C’était le meilleur jeu ! cria-t-elle pour que son père, qui s’éloignait dans le couloir, l’entende aussi. »
Une petite boule d’émotions dans la gorge, elle actionna l’appareil, se demandant s’il y avait encore des piles. Gagné. L’affreux son grésillant retentit.
« Tu l’as dit ! cria son père depuis le salon. En plus, je n’ai jamais rien eu à faire ! Tu t’occupais toute seule.
– Toute seule ? Ouais, ouais ! Comme pour Chamazouk ! »
Elle rigola tout en actionnant de mémoire le bouton jaune, qui affichait le traitement de texte. Tous ses souvenirs remontèrent d’un coup. Les heures qu’elle avait passées à s’émerveiller sur des messages écrits par son propre père. Ça s’amusait vraiment de rien, un enfant.
« Bah oui, toute seule ! J’avais pas le temps d’écrire des fausses réponses tous les soirs non plus, rit son père. C’était toi qui les inventais. J’imagine que tu écrivais ce que tu aurais aimé recevoir. Enfin, faudrait demander à ton toi du passé pour ça. »
Victoria se figea. Pas seulement à cause de ce que venait de dire son père, non. Mais parce qu’à l’écran, il était écrit sous ses yeux :
« 2017-07-14 : Vicky, où es-tu ? »
Oooh qu’elle est chouette cette nouvelle, un brin d’innocence, d’imagination et de nostalgie! Néanmoins, il est vrai que la fin a tranché avec toutes ces émotions ahah. La petite peur qui s’immisce de manière inattendue, pépite.
Serait-ce sa mère… ou un autre être venu d’ailleurs…
Ah alors désolée de répondre si tard encore une fois !
Merci beaucoup pour ton commentaire, et oui c’est vrai que d’un coup ça donne une toute autre vibe…
et là retwist : elle avait un dédoublement de la personnalité
J’avais pas pensé à cette éventualité, mais on peut tout imaginer…
Ton pseudo me laisse penser que tu apprécieras un certain personnage qui sera présent dans Point de rupture huhuhu (et potentiellement un des personnages principaux dans Tombée du ciel)
Je veux la suite sur Chamazouk l’esprit de la forêt 🙏
Ah là là tu m’étonnes, il a l’air très sympathique !
La chute de l’histoire est géniale. On attend les suivantes avec impatience…
Merciii ♥ Ça ne saurait tarder ! 😀