Une nouvelle année commençait. Le groupe des envahis avait participé à la petite fête, donnée encore une fois à Stonevalley. Puis chacun était rentré chez soi, sauf Jade qui avait dormi chez Chloe. Cela avait rassuré tout le monde. En effet, en bonne compagnie, elle n’avait pas eu la moindre crise d’angoisse et avait renoncé à consommer de l’alcool pour effacer la présence fantôme qui la hantait. Les parents de Chloe étant plutôt conciliants, tant que c’était leur fille qui recevait et qu’elle n’avait pas à quitter la maison du moins, et les deux amies prévoyaient de refaire ça de temps en temps pour que Jade se sente un peu plus tranquille.
De son côté, Dean avait eu des notes plus que satisfaisantes pour le premier trimestre. Voilà pourquoi, pendant le reste des vacances de Noël, ses parents le laissèrent faire tout ce qu’il voulait sans lui poser de questions. Et comme ils ne s’immisçaient plus dans ses relations amicales, il en profita pour revoir la bande plusieurs fois.
Puis, un soir peu avant la rentrée, alors qu’il faisait un temps épouvantable et qu’il n’avait pas la moindre envie de sortir, gagné par l’ennui, il se mit à trier les affaires sur son bureau. Et c’est en soulevant un manuel scolaire qu’il utilisait rarement qu’il tomba sur quelque chose qu’il avait presque oublié.
Le petit carnet bleu de Jade.
Il s’en saisit et l’épousseta, curieux. Les expériences de Jade et Andrew sur les entités… Si la sienne n’avait pas continué à évoluer depuis la dernière fois, elle n’en restait pas moins angoissante. Au moins une fois par jour, Dean apercevait ce mouvement familier du coin de l’œil. Et même s’il se forçait à l’ignorer autant qu’il le pouvait, la peur persistait.
Alors comme il l’avait dit à Andrew… si cela n’avait pas fonctionné pour lui et Jade, ou encore pour Peter, peut-être cela pouvait-il marcher pour lui ? Il s’assit à son bureau et ouvrit le carnet. Sur la première page, Jade a tracé ces mots au stylo noir :
« Carnet d’expérimentation.
Ceci contient l’ensemble des expériences réalisées par les Envahis dans le but de se débarrasser des entités, ou au moins de les affaiblir. Le groupe est actuellement composé de :
→ Moi-même, Jade Wingstone. Entité : fantôme qui me suit depuis mes 11 ans. Très dérangée par sa présence.
→ John Calligan, entremetteur. Entité : toutes sortes. En général peu dérangé par leurs présences.
→ Andrew Marks Holme. Entité : créature de paralysie du sommeil qui a pris vie. Très dérangé par sa présence.
→ Chloe Wingstone. Entité : ami imaginaire devenu réel. Assez peu dérangée par sa présence.
→ Peter Denver. Entité : double maléfique. Très très dérangé par sa présence. »
En l’examinant, Dean constata que la ligne de Peter n’était pas écrite de la même façon que les autres, et en déduit qu’elle avait été ajoutée plus tard. Les prises de notes avaient donc commencé avant l’arrivée du jeune homme dans le groupe. Il remarqua également que Jade avait souligné les deux « très » sur sa ligne. C’était drôle de voir les choses résumées ainsi, aussi brièvement. Sur ces pensées, il tourna la page.
Sur la deuxième figurait le nom de Jade tout en haut. Tout d’abord, elle avait écrit quelques paragraphes sur ce qu’elle savait de son entité. Quand elle était arrivée dans sa vie, à quelle fréquence elle apparaissait, ce qu’elle faisait… Elle avait par ailleurs précisé qu’elle avait tenté d’en parler avec ses parents, sans succès, comme Dean le savait déjà. Sur les pages suivantes, elle avait répété le même procédé pour ses quatre amis. Même s’il le savait déjà avant de lire le carnet, Dean eut presque un pincement au cœur en réalisant à quel point ses amis avaient dû se sentir seuls, avant de rencontrer John. Les parents d’Andrew, qui ne l’avaient jamais écouté, ceux de Chloe, à qui elle n’avait plus osé parler de son ami imaginaire à cause de ces histoires de psychologues, et le père de Peter, qui avait réagi de la même façon que la mère de Jade lorsqu’il avait osé mentionner son double… Décidément, se retrouver tous ensemble et se sentir écoutés avaient dû leur faire énormément de bien.
Puis, après ces descriptions, venaient les expériences.
⁂
« Papa, est-ce que tu sais où t’as mis ta vieille caméra ? »
Adrian relève la tête de son livre, surpris.
« Pourquoi est-ce que tu me demandes ça ? »
Dean haussa les épaules, essayant d’avoir l’air naturel.
« J’ai un projet au lycée, j’ai besoin de filmer des trucs. Et avec mon téléphone ça rendrait pas très bien.
– Je vois, je vais essayer de te retrouver ça. On n’y a pas touché depuis le déménagement, elle doit encore être dans un carton. Tu veux que je cherche maintenant ?
– Euh, ouais, si tu peux ouais. »
Adrian se leva quelques secondes plus tard et se dirigea vers la petite pièce où se trouvait le lave-linge, derrière la salle de bains. Dean le suivit de près et le regarda déballer un carton posé près de leur grand congélateur. Son père ne s’était pas trompé, la caméra était bien là. Il en ressortit également un câble et lui tendit le tout.
« Tu devrais vérifier si elle est chargée, avant. Mais elle doit toujours fonctionner.
– Super, merci beaucoup ! »
Dean remonta rapidement les marches et s’enferma dans sa chambre.
« 23/06, Andrew m’a raconté qu’il a déjà tenté de capturer son entité avec une caméra. »
Il alluma la caméra pour vérifier le niveau de batterie, puis la brancha avant de réfléchir au meilleur endroit où la poser. Du haut d’une de ses étagères, il pourrait avoir un bon plan large sur sa chambre. Le plus important était d’avoir le lit, car c’était presque toujours de ce côté qu’il apercevait l’ombre lorsqu’il était assis à son bureau, la journée. Et le soir, il pourrait la déplacer pour qu’elle filme à l’opposée du lit. Mais cela signifiait laisser une lumière allumée toute la nuit… Il eut un rictus en songeant qu’il avait l’air d’un gamin incapable de dormir sans veilleuse. Enfin.. après tout, c’était nécessaire pour l’expérience.
Il n’avait pas la moindre idée de ce qu’il ferait des images, s’il parvenait à filmer ou ne serait-ce que photographier l’ombre. Andrew avait tenté d’avoir des preuves pour les montrer à ses parents afin qu’ils le croient, mais pour Dean, c’était différent. Il n’avait pas et n’avait jamais eu l’intention d’en parler avec eux, puisqu’il ne voyait tout simplement pas ce que cela pouvait lui apporter. Contrairement à Andrew, Jade ou encore Peter, Dean ne se sentait pas menacé en présence de son entité. Elle l’angoissait par moments, mais il n’avait pas le sentiment qu’elle pouvait physiquement agir contre lui ou détruire sa vie comme un doppelgänger. C’était pourquoi il ne voyait pas l’intérêt d’inquiéter ses parents avec cela. Il avait uniquement envie de voir s’il était possible d’avoir des images de l’ombre.
⁂
Il installa la caméra une heure plus tard, après l’avoir rechargée et testée plusieurs fois. Son père avait raison : elle fonctionnait parfaitement. Elle avait bien quinze ans et pourtant, elle était rapide et la qualité n’était pas mauvaise.
« Andrew a remarqué que les vieux appareils capturaient mieux les entités. Nos téléphones n’arrivent presque jamais à avoir quelque chose, contrairement à la vieille caméra de ses parents. On ne comprend pas vraiment pourquoi, mais Madame Craig dit que tout ce qui est plus ancien est plus sensible au paranormal. »
Après avoir posé la caméra sur son étagère, Dean s’assit dos à celle-ci, à quelques mètres. En général, l’ombre avait tendance à plus souvent apparaître lorsqu’il restait immobile un long moment, en particulier lorsqu’il était dans sa chambre. Mais rien n’était moins sûr. Peut-être qu’elle allait sentir qu’il préparait quelque chose…
« Les premières nuits, le croquemitaine n’est pas venu. Il a sûrement compris ce qu’Andrew faisait avec la caméra. »
Dean espérait que l’ombre ne le fuirait pas. Certes, la présence de l’entité le tendait et il ne se sentait jamais complètement tranquille tant qu’elle était là, pour autant, il souhaitait qu’elle se manifeste devant la caméra.
⁂
C’est une heure plus tard, alors que Dean faisait mine de se concentrer sur l’écran de son ordinateur, qu’il aperçut ce mouvement familier du coin de l’œil. Même s’il n’attendait que ça, il ne put s’empêcher de sursauter et se tourna vivement vers son lit.
Elle était toujours là.
Sans forme particulière, immobile, mais très imposante. Des pieds à la tête, elle devait bien mesurer deux mètres de haut. Dean la regarda quelques secondes, incapable de réagir, avant qu’elle ne disparaisse le temps d’un clignement d’œil.
Il resta un moment sur sa chaise, la main posée sur son bureau, les battements de son cœur affolés. Il était rare qu’elle reste aussi longtemps en place, sans bouger, et Dean se demanda si cela avait un rapport avec l’installation de la caméra.
La caméra.
Comme s’il se rappelait soudainement sa présence, il se leva d’un bond et s’empressa de la récupérer. Afin d’avoir une meilleure qualité d’images, il transféra le fichier sur son ordinateur et l’ouvrit avec appréhension.
Il sauta tout le début de la vidéo pour arriver au moment qui l’intéressait, juste avant la fin de l’enregistrement. Là, précisément. Il avait trouvé l’instant où il avait sursauté. Et sur l’image… Il ralentit la vitesse de lecture et repassa les cinq dernières secondes. La caméra avait bien quelque chose…
« Puis elle a fini par revenir. Au début, il n’y avait que des points flous sur l’image, comme des formes noires ou grises indistinctes. Ses parents n’ont considéré ça comme une preuve. »
Dean regarda l’espèce de point noir qui apparaissait devant son lit. Jade avait raison… Personne ne pourrait considérer ça comme une preuve. En soupirant, il repassa le passage encore une fois, plus lentement encore, puis attendit la suite. Le moment où il s’était retourné et où il avait vu l’ombre allait sûrement être plus intéressant. Mais alors que le Dean de la vidéo se retournait vers son lit, la vidéo cessa soudainement de tourner. Il resta interdit devant l’image figée avant de tenter de revenir une seconde en arrière.
Même chose.
Il soupira de frustration et retenta deux ou trois fois. Il en était certain : ce n’était pas un bug ordinaire. Tout le reste de la vidéo fonctionnait parfaitement et comme par hasard, le seul passage intéressant plantait ?
Il réajusta ses lunettes anti-lumière bleue et tenta une dernière fois de le visionner mais cette fois-ci, ce fut l’ordinateur entier qui planta.
« Merde ! »
Il tenta par tous les moyens de le débloquer, avec toutes les manipulations qu’il connaissait, mais rien n’y fit. Il finit par le débrancher et en retirer la batterie, résignée. Puis une fois rebranché, il s’empressa de le rallumer pour vérifier s’il fonctionnait correctement.
Il soupira, cette fois-ci de soulagement, en constatant que tout semblait revenu à la normale. Il put taper le mot de passe de sa session et accéder à ses dossiers. Quant à la vidéo…
Fichier corrompu.
« Échec : le croque-mitaine a fini par faire planter la caméra. Depuis quelques jours, Andrew n’arrive plus à lire les vidéos sur son PC, elles sont toutes corrompues. On pense tous les deux que c’est lui qui a fait ça, mais je tenterai aussi l’expérience pour vérifier. »
Résigné, il éteignit la caméra et plus tard, il la rangea dans un tiroir d’un meuble au rez-de-chaussée. C’était un échec, mais… il restait encore d’autres choses à tester.
⁂
« Dean, je peux savoir ce que c’est que cette odeur horrible qui vient de ta chambre ? »
Le jeune homme fit la grimace et affronta le regard de sa mère, embarrassé.
« C’est… euh…
– T’as fait cramer un truc ou quoi ? C’est arrivé jusque dans mon bureau ! »
Il resta muet un moment, gêné. Lorsqu’il avait procédé à sa petite expérience le samedi midi dans sa chambre, il n’avait jamais imaginé que l’odeur qui s’en dégagerait serait aussi forte, ni qu’elle ne partirait pas avant le retour de week-end de ses parents ce dimanche en fin d’après-midi. Il avait bien tenté d’aérer mais, au mois de mars à Stonevalley, c’était un coup à perdre dix degrés dans toutes les pièces. Résigné, il avait passé le week-end au milieu de cette senteur et, maintenant habitué, il ne se rendait même plus compte qu’elle était toujours présente.
« Eh beeen, c’est un encens que la dame de la confiserie m’a donné, je pensais que ça sentirait bon mais… »
Il ne mentait pas tout à fait. Sa mère soupira et leva les yeux au ciel. Elle n’avait pas l’air si en colère, plutôt désabusé.
« OK, je vois. Elle aura tout fait, celle-là… Bon, j’espère que tu t’en es débarrassé de cet encens, parce que j’ai pas l’intention de me farcir ça une nouvelle fois.
– Oh, oui, t’inquiète pas pour ça…
– Au moins, ça me rassure. Tant que t’es pas en train de tester une espèce de drogue ou je ne sais quoi… »
Dean devina sans peine qu’elle faisait allusion à la fois où elle l’avait vu revenir complètement groggy, lorsque John avait forcé la dose de thé aromatisé aux calmants. Il n’osa pas répondre à cela et la regarda quitter la pièce. Il poussa un bref soupir de soulagement quand la porte se ferma.
« 2/7 : On dit qu’il faut brûler de la sauge pour faire partir les esprits. Madame Craig en a, alors j’imagine que ça ne coûte rien d’essayer. »
Dean se saisit du carnet et recommença à le feuilleter distraitement. Encore un échec.
« Échec : ça n’a pas suffi à l’éloigner, même pas un tout petit peu. Et mes parents et SURTOUT Olivia se sont plaints de l’odeur quand ils sont rentrés. »
Au fil de sa lecture du carnet, il avait remarqué un schéma qui se dessinait et qui était assez révélateur de la personnalité de ses deux amis. Toutes les expériences de Jade étaient issus de croyances populaires, de légendes urbaines ou de superstitions. Brûler de la sauge, déposer du sel devant les portes et fenêtre de la pièce pour empêcher les esprits d’y entrer, réciter des incantations, purifier la pièce dite hantée en la nettoyant de fond en comble… Tandis que du côté d’Andrew, les expériences portaient plutôt sur la technologie : filmer la pièce, essayer de prendre l’entité en photo, laisser un microphone… Impressionné, Dean avait même lu un passage où il expliquait avoir mis du sable de la plage de Wideshore à même le sol, près de son lit, et filmé cet endroit précisément en espérant qu’une empreinte de pas quelconque y apparaisse.
Et un détail l’amusait : ses parents et ceux de ses amis avaient tendance à réagir de la même façon lorsqu’ils se rendaient compte de leurs petites expériences, en particulier s’ils n’avaient pas nettoyé correctement derrière eux.
Dean, pourquoi la salière était dans ta chambre ? Je l’ai cherchée partout ! Et qu’est-ce que t’as fabriqué pour la vider comme ça ?
Eh bien, c’est le grand ménage de printemps, dis-moi !
Qu’est-ce que tu fais avec ton téléphone tendu comme ça devant toi ? Tu filmes ta journée pour Internet ?
Dean, t’as traîné à Wideshore ? Il y a du sable dans ta chambre, tu devrais passer l’aspirateur !
Il eut un petit rire en jouant avec le carnet entre ses mains. Puis son visage s’assombrit légèrement. Il y avait un autre point commun. Entre les expériences de Jade, celles d’Andrew et les siennes, qu’il calquait sur les leurs.
Elles avaient toutes échoué.
Dès que ça touchait à l’électronique, soit les preuves récoltées ne suffisaient pas, soit les fichiers finissaient corrompus, inutilisables. Quant aux expériences plus… ésotériques, de Jade, elles ne parvenaient pas à chasser les entités. Au mieux, elles ne faisaient rien. Au pire, elle les agaçait. Et dans ces cas-là, mieux valait ne pas rester seul pendant les jours qui suivaient… Là-dessus, Dean avait de la chance. Si son entité le rendait nerveux, elle ne l’attaquait jamais frontalement. Il ne pouvait qu’imaginer le calvaire que devaient endurer ses deux amis.
Son pouce s’arrêta sur la page de la dernière expérience de Jade. Tristement, il relut ces lignes pour la énième fois :
« 1/1 : J’ai l’impression que lorsque j’ai consommé de l’alcool, la chose s’en va. C’est temporaire et c’est vraiment une solution de merde, mais c’est la seule que j’aie trouvée. »
Il souffla tristement.
« Mise à jour : malgré ses réticences, Andrew a essayé aussi, juste pour voir. Ça ne change rien pour lui, il ne réessaiera pas. »
Et ces derniers mots, qui lui faisaient mal au cœur à chaque fois :
« Je suis incapable de dire qui de nous deux a le moins de chance, pour le coup. »
Dean s’assit sur le tabouret de son piano électronique, le carnet toujours à la main. Il effleura le clavier du bout des doigts, plongé dans ses pensées. C’était terminé. Il avait réalisé toutes les expériences.
S’il ne s’était jamais vraiment fait d’illusion sur les idées de Jade pour se débarrasser de l’ombre, il était contrarié que celles d’Andrew n’aient pas fonctionné. Il aurait aimé avoir une preuve. Une photo, une vidéo… Il en était même venu à espérer capturer un son alors même que l’entité était toujours silencieuse.
Il fit défiler les pages entre ses doigts à toute vitesse, l’air morne. Comme il l’avait déjà vu, la double-page suivant les expériences de Jade et Andrew était de noms et de numéros de soi-disant médiums ou… exorcistes, ou Dean ne savait quel était le bon mot, que Jade avait trouvés en ligne. Mais elle avait fini par abandonner ses recherches, résignée. Trop cher. Trop loin. Ressemblait bien trop à un escroc pour ne pas en être un.
Puis le carnet se terminait sur les quelques expériences que ses amis avaient menées, ou du moins tenter de mener, avec le double de Peter. Bien entendu, Dean connaissant maintenant la fin de l’histoire, il n’avait pas été surpris de constater qu’elles s’étaient elles aussi soldées par des échecs.
Au début, comme pour Jade et Andrew les expérimentations étaient plutôt innocentes. Dean avait l’impression de lire les aventures d’un groupe de chasseurs de fantômes amateurs. Il n’était pas dans le groupe à cette période, mais il savait que c’était la meilleure qu’ils aient vécue. Jade ne buvait pas encore d’alcool, Andrew tenait encore à peu près le coup et le double de Peter n’avait pas encore tenté de tuer John. Cela expliquait le ton du début de chaque partie que Jade avait rédigée, que ce soit la sienne ou celle de ses deux amis.
« Il faudrait essayer de demander frontalement à Peter s’il est le vrai ou le faux à chaque fois qu’on le voit. Peut-être que, comme les démons qui ne peuvent pas mentir quand on leur demande de révéler leur nom, ça marcherait aussi ?
Mise à jour : impossible. Quand c’est le faux, on n’arrive jamais à douter de lui pour lui poser la question. »
Puis… le ton du carnet s’était assombri. Plus de flèches, plus de petits schémas, plus de jolies couleurs, parfois même plus de dates.
Comme sur ces cours qu’elle lui avait prêtés.
« Peter m’a demandé de ne pas parler de ceci à Chloe pour ne pas l’inquiéter. Hier, il a essayé de frapper son double à la tête aussi fort qu’il le pouvait avec un marteau. Il dit qu’il n’a pas réussi à porter le coup, le double s’est immédiatement rendu impalpable. Il doit avoir un sixième sens. »
Ce passage l’avait énormément marqué. En ce moment, il ne s’écoulait pas une journée sans qu’il ne lui revienne en tête au moins deux ou trois fois. Et cela parce qu’il soulevait énormément de questions auxquelles Dean n’avait pas trouvé de réponse en ligne.
Si le double n’avait pas su se rendre immatériel à temps, aurait-il saigné ? Lorsqu’il côtoyait Chloe et les autres dans le but de les duper, son corps était-il composé… de la même façon que celui d’un humain normal ? Aurait-il pu mourir ? Et si ça s’était produit, est-ce qu’il se serait immédiatement désintégré, ou aurait-il laissé un pseudo-cadavre derrière lui, dont le groupe des Envahis aurait dû se débarrasser pour ne pas se retrouver au milieu de l’enquête policière la plus étrange de l’histoire du Havre Perdu ?
Puis d’autres fois, il pensait à Peter. À ce garçon que toute la bande avait qualifié d’adorable, d’une gentillesse infinie… poussé à bout au point de tenter de tuer son propre jumeau maléfique. Ces entités avaient l’effroyable pouvoir de faire ressortir ce qu’il y avait de pire chez les gens.
Le regard de quelqu’un capable de tuer. Ou qui l’a déjà fait.