les-envahis-chapitre-32-recommencement

Les Envahis, 32 : Recommencement

Malgré la neige qui persistait sur les petites routes, le groupe fut rapidement au complet chez les Calligan. John, conscient que la température dans la grange devait avoisiner zéro degré, réunit tout le monde au salon en proposant à chacun une boisson chaude.

« Mon oncle vient de partir à Woodglades pour quelques heures, on va être tranquilles. »

Il ménageait le suspens. Lorsque tout le monde eut un mug entre les mains, John s’assit à son tour sur un fauteuil. Il restait muet et avait l’air désemparé. Ses amis ne l’avaient jamais vu comme ça. Maladroitement, Jade tenta de le faire parler :

« C’est grave, John ? Poltergeist, démon…? »

Sans parler, il secoua négativement la tête. Il semblait chercher ses mots. Enfin, il se lança :

« Bon, j’ai parlé avec madame Craig… On a retourné le problème dans tous les sens, on a étudié chaque détail, tous les trucs qu’il nous a dits… Il n’y a qu’une seule chose qui peut faire tout ça. »

Les autres buvaient ses paroles, impatients de connaître enfin la vérité. Enfin, après un long silence, alors que ses amis se retenaient de le presser de questions, il lâcha :

« La paranoïa. Je sais pas comment vous le dire autrement mais… Finn… n’a rien. Absolument rien. »

Pendant un moment, personne ne parla. Puis Chloe s’emporta :

« Mais John, c’est pas possible, avec tout ce qu’il a dit, il…

– Il n’a rien, Chloe, rien ! l’interrompit-il. On y a réfléchi, tout va dans ce sens, tout concorde! Pourquoi son aura est aussi bizarre ? Parce qu’il est perturbé, ou… traumatisé, elle a rien de paranormal ! Pourquoi aucun de ses amis ne le croit, pourquoi est-ce que même moi, je vois pas cette entité? Parce qu’elle n’existe pas! Pourquoi est-ce que tous ses proches s’éloignent de lui en disant qu’il devient fou? Parce que c’est le cas. Pourquoi ça a commencé, comment? Aucune idée… Peut-être… peut-être qu’il était… instable de base, et que toutes les drogues qu’il a prises à ses soirées l’ont pas arrangé… Peut-être qu’il s’est monté la tête un seul soir, et que c’est resté ensuite. Il déménageait dans un tout nouvel appartement, il l’a… il l’a imaginé hanté, et il s’est enfoncé dans son délire.. »

Ses amis demeurèrent sceptiques, mais ne répondirent rien. À part Chloe, qui ne voulait définitivement pas y croire :

« Mais non, John, il y a forcément une autre explication… Il y a autre chose…

– Chloe, il a rien. Il l’a dit lui-même…

– Quoi ? Comment ça ?

– Rappelle-toi, il a dit que quand il entendait un objet tomber ou une porte claquer, il retrouvait toujours tout dans la même position, non ? C’est parce qu’il imagine des bruits. »

Ses amis autour de la table devaient bien reconnaître que ça faisait beaucoup, que tout allait dans le sens de ce qu’affirmait John. Chloe tenta une dernière fois de défendre son ami :

« Non, non John, c’est obligé, y a autre chose…

– Écoute… Tu te rappelles ce qu’il a dit ? Il a mis des caméras dans son appartement, il a filmé toutes les pièces pendant des jours, il a entendu et vu plein de choses mais…?

– Mais il n’y avait rien, sur aucune des vidéos, compléta-t-elle tout bas. »

Elle réalisait enfin : John avait raison. Dans tous les cas connus de fantômes, de poltergeists et autres joyeuses entités, les caméras, les capteurs ou encore les microphones apportaient souvent la preuve qu’il manquait. Ils filmaient et enregistraient des choses là où parfois, personne ne voyait ou n’entendait rien. Et là, Finnley avait selon lui entendu et vu des choses, mais il n’y avait rien sur les caméras ? Tout devenait clair.

« Oh, bordel…, soupira-t-elle en s’affaissant dans le canapé. »

Plus personne ne parla. Chacun passait en revue dans sa tête les informations que Finnley leur avait fournies sur son « entité », et y collait naturellement l’explication de John. C’était logique. C’était affreusement difficile à admettre, mais c’était logique.

« Maintenant, reprit ce dernier, il va falloir lui annoncer. Ça va pas être simple. »

Là-dessus, les autres ne purent qu’être d’accord avec lui. Il n’y avait aucune chance pour qu’il accepte la nouvelle sans broncher.

« Quand je pense que j’avais peur que son entité nous attaque, se souvint Chloe. C’est fou, j’aurais jamais cru que… qu’il n’y avait rien. »

John hocha la tête.

« Ouais, pareil. Même notre bonne vieille Craig n’y comprenait rien au début. Mais elle aussi, elle trouve que son aura est trop bizarre, qu’elle est très… différente, par rapport aux vôtres. Et finalement, c’est parce qu’il a un trouble mental, mais sans créature. Et il est à bout. »

Au bout de quelques minutes de discussion, le groupe décida d’appeler Finnley pour le lui annoncer. Ça n’allait vraiment pas être simple…


Et pourtant, l’étudiant les écouta attentivement sans mot dire, alors que John et Chloe tentaient de lui expliquer ce qu’ils avaient déduit. Eux qui s’attendaient à ce qu’il s’énerve, à ce qu’il proteste : rien. Il resta calme jusqu’au bout. Il attendit que John ait terminé de parler pour enfin se prononcer :

« Je vois, c’est parfaitement clair…

– Qu’est-ce qui est clair ? demanda Chloe, perplexe.

– La créature. Elle vous a manipulés. Vous dites la même chose que ma famille et que mes anciens amis. Je suis trop resté avec vous, elle a eu le temps de vous manipuler. C’est ma faute, je l’ai mise en contact avec vous. En plus, de ce que vous m’avez dit, il y a plein de mauvaises énergies dans vos villages. Ça lui a donné de la force, évidemment… J’ai été con, mais tant pis pour moi. »

Il n’avait même pas l’air en colère, il était las. Et il avait encore plus mauvaise mine que d’habitude.

« Non Finn, je t’assure, tenta John, madame Craig et moi on a étudié le problème et…

– Je te crois pas, John, l’interrompit l’autre d’une voix sèche. Si vous avez pas su la voir, c’est que vous êtes pas assez bons pour ça. Je sais ce que je vois et je sais ce que j’entends, je suis pas fou ! Écoutez, vous êtes sympa, mais visiblement ça vous dépasse. C’est pas grave si vous me croyez pas, au pire vous êtes pas les premiers à m’avoir fait le coup. Je vais partir, ça sert à rien de continuer cette conversation. Merci d’avoir essayé quand même. Salut.

– Finn, attends ! s’écria Chloe, en vain. »

Mais il n’attendit pas qu’elle prononce un mot de plus et coupa la communication. Et à cet instant précis, Chloe sut qu’elle n’aurait jamais plus de nouvelles de lui.

Un silence de plomb s’abattit sur le groupe. Personne ne savait comment réagir. Et alors que leur correspondant passait au statut hors-ligne et que John refermait machinalement son ordinateur, l’air abattu, Dean souffla d’une petite voix :

« Eh bah… ça c’est fait… »

« On a été cons, pesta John. On a été beaucoup trop cons. »

Ses amis redressèrent la tête et sortirent de leur léthargie, surpris par son ton exaspéré.

« Qu’est-ce que tu veux dire ? s’enquit Andrew. »

Il soupira et se mit à faire les cent pas.

« On s’est pris pour quoi? Des enquêteurs du paranormal? Des apprentis médiums? Pourquoi est-ce qu’on a… foncé tête baissée là-dedans, en se prenant pour des experts? Pourquoi est-ce qu’on n’a pas réfléchi un minimum ? »

Chloe hocha la tête.

« C’est vrai. Depuis le début, c’était une aide psychiatrique qu’il lui fallait. Mais on a préféré croire à l’histoire du pauvre Finnley harcelé par une horrible entité, que personne ne croit et qui est complètement seul. On s’est posé aucune question, on est juste… on est partis du principe qu’il nous disait la vérité.

– Il mentait pas… C’était sa vérité, objecta Jade. Mais… mais je comprends ce que vous voulez dire… On aurait dû se poser la question, on n’aurait jamais dû se lancer là-dedans pour un parfait inconnu…

– Mais merde, pourquoi est-ce qu’il a fallu qu’on fasse ça ? s’emporta John en levant les yeux au ciel. On a été tellement cons !

– Vous êtes trop durs avec vous-mêmes, lança Rose d’une voix calme et assurée. »

Ils se tournèrent tous vers elle, curieux, mais le regard complètement éteint. Elle s’éclaircit la voix et décroisa les jambes :

« Vous êtes juste des ados. Tout ça, c’était pas votre responsabilité. C’était à ses proches, son père ou ses amis, de lui apporter une aide psychiatrique. À ceux qui le côtoient tous les jours et ont bien eu le temps de voir son état empirer. Pas à vous. Vous, vous avez fait comme vous pouviez avec votre vécu, vos connaissances… vous avez cru bien faire. Alors oui, c’était une erreur. Ça l’a conforté dans ses idées paranoïaques et maintenant, il y a plus aucune chance qu’il nous écoute. D’accord, mais est-ce que vous pouvez vraiment vous en vouloir ? »

Au début, personne ne prononça un mot. Médusés. Ils étaient médusés par son intervention. Puis John cligna plusieurs fois des yeux et souffla :

« Eh ben, je… je sais pas, peut-être. Désolé, je sais pas trop quoi dire… je m’attendais pas du tout à ce que tu parles… comme ça, aussi bien…

– Bah… Emily, vous savez, l’amie de ma mère ? Elle me dit tout le temps ça, parce qu’elle sait que je m’en veux pour ce qu’il s’est passé avec l’autre… l’autre ordure, là. Et ma mère voit un psy, on a fait quelques séances familiales avec lui et il disait exactement la même chose. Je pense que c’est vrai. »

John sourit faiblement. La tension dans la pièce retomba.

« T’as raison, soupira-t-il… Au moins, maintenant… on sait, et on se méfiera de ce que des inconnus peuvent bien nous raconter.

– Il faut le voir comme ça, le conforta Rose. Concernant Finn… tout ce qu’on peut faire, c’est espérer que quelqu’un lui vienne en aide là où il habite. »

Chloe resta muette. Malgré ce que pouvait bien dire Rose, elle se sentait coupable, et infiniment idiote. Et elle savait qu’au moindre mot, elle fondrait en larmes. Elle triturait son bracelet, nerveuse, quand Rose s’approcha d’elle sur le canapé pour poser une main sur son épaule. Jade la regarda faire, surprise, mais ne s’imposa pas.

« Tu peux pas te le reprocher, Chloe. T’as fait ce que tu pensais être bien. »

Chloe acquiesça, la gorge serrée, et se prit la tête entre les mains pour souffler un peu. Rose avait sûrement raison, il fallait faire avec. Apprendre de leurs erreurs, avancer…

Espérer que Finn irait mieux un jour.

Jusqu’au printemps, les six adolescents se concentrèrent autant qu’ils le pouvaient sur leurs cours et leurs projets d’avenir pour oublier l’affaire Finnley. Comme ils s’y attendaient, celui-ci avait coupé tout contact avec eux en bloquant leurs numéros. Malgré les paroles de Rose, Chloe fut vraiment peinée par ces événements. Et elle se confia beaucoup à Peter, qui se montra d’un grand soutien.

Les autres membres de la bande furent eux aussi très perturbés par cette histoire. L’idée de dédier des chapitres de son histoire à Finnley n’effleura même pas l’esprit de Jade. Elle commençait à délaisser son blog, se consacrant à écrire de petites histoires sur d’autres sujets pour s’entraîner à adopter le style journalistique le plus convaincant possible. John et Dean, eux, avaient presque terminé une de leurs premières histoires en collaboration. Il ne manquait plus que deux ou trois planches avant de pouvoir les envoyer à Peter. Et pour le moment, le résultat plaisait à tout leur entourage, y compris à l’oncle de John et aux parents de Dean, qui les encourageaient à continuer.

Très loin de Stonevalley et des préoccupations des adolescents, une jeune fille était de plus en plus angoissée par ce qui lui arrivait. Un double, ça ne pouvait pas exister. Et pourtant… et pourtant, elle l’avait encore aperçue. Et c’était fou ce qu’elle lui ressemblait. La même taille, la même corpulence, les mêmes vêtements au bracelet près…

Lena devait se rendre à l’évidence, elle était dépassée par les événements. Tout cela allait bien trop loin pour son esprit rationnel, elle ne savait ni quoi penser ni quoi faire. Elle n’en parlait même plus à Alex. Elle savait d’avance qu’il ne la croirait pas et qu’il lui dirait qu’il fallait qu’elle se repose, qu’elle se surmenait beaucoup trop et s’imaginait des choses. Quant à ses parents… elle n’avait même pas essayé. L’idée d’une sœur jumelle dont elle aurait été séparée à la naissance était vraiment improbable. Les parents de Lena avaient toujours voulu une famille nombreuse mais n’avaient réussi qu’à avoir une seule fille, et ce au prix de nombreux traitements très lourds à supporter pour sa mère. S’ils avaient eu la chance d’avoir des jumelles, jamais ils ne se seraient séparés de l’une des deux.

De toute façon, au fond d’elle… Lena sentait que cette chose n’était pas vraiment humaine. À chaque fois qu’elle croisait son regard, elle sentait presque comme une décharge électrique secouer son corps entier. Elle avait le cœur qui battait à tout rompre, le souffle court, tous ses sens en alerte.

Comme une proie traquée par un prédateur.

Alors, finalement, elle s’était résignée à envoyer un message de détresse à Jade, celle qui écrivait cette histoire paranormale captivante que Lena avait lue d’une traite quelques mois plus tôt. Malheureusement, l’auteure ne postait plus rien, et elle ne reçut aucune réponse. Puis comme aucun nouvel incident ne s’était produit, elle commença à se détendre peu à peu. Peu importe ce qu’était la chose, après tout, elle ne lui avait jamais fait de mal. Il ne fallait pas qu’elle s’arrête de vivre pour elle.

Jusqu’au jour où l’événement de trop se produisit.

C’était un samedi, et Lena s’apprêtait à se promener seule dans la forêt qui bordait la grande ville où elle habitait. Elle s’était préparée, avait bouclé son sac et… étrangement, elle s’était effondrée dans son lit sans prévenir et s’était endormie aussi sec, épuisée. Elle n’eut pas la moindre idée de combien de temps cette sieste inattendue dura. Tout ce qu’elle pouvait dire, c’était qu’elle avait été réveillée par le son de plusieurs notifications sur son téléphone.

« Mina a commenté votre photo.

Alex a commenté votre photo.

Paula a commenté votre photo. »

En lisant tout cela, elle fronça les sourcils, perplexe. Sur ce réseau social, elle n’avait qu’une seule photo qui datait d’au moins trois ans. Pourquoi est-ce que trois personnes viendraient la commenter d’un coup ? Elle s’installa sur son fauteuil de bureau et sortit son ordinateur de sa veille pour aller regarder ce qui se passait. Et elle eut le choc de sa vie.

Quelque chose, quelqu’un, avait posté une photo d’elle à sa place, sur son profil. Une photo qu’elle ne connaissait pas, qu’elle n’avait jamais vue, jamais prise. Et pourtant c’était bien elle dessus, et elle ressemblait à un selfie. Ce n’était donc pas un vieux cliché pris par une autre personne dont elle n’aurait pas eu connaissance. Non, elle était récente. La chose portait les mêmes vêtements qu’elle et posait au soleil, devant un cours d’eau de la forêt où Lena avait prévu de faire un tour.

Le cœur de la jeune fille se mit à battre violemment. Elle avait du mal à respirer. Mais qu’est-ce que c’était ? Perdue, elle examina le cliché dans les moindres détails : c’était sa jumelle, il n’y avait pas à dire. Le même sourire, le même regard… Mais en l’observant de plus près, Lena s’aperçut que quelque chose manquait : son tatouage. Il y avait deux ans de cela, Lena avait fait encrer une petite chaîne de montagnes enneigées aux couleurs pastel à son poignet gauche. Ça… c’était étrange. Et ça prouvait que la chose ne l’imitait pas à la perfection.

Elle s’empressa de lire les trois commentaires pour voir si quelqu’un avait déjà soulevé ce détail. Et en effet, c’était le cas de son amie Paula.

« Super jolie ! Mais où est passé ton tatouage ? »

Mais bien vite, Lena s’aperçut avec horreur que son propre compte y avait déjà répondu :

« Merci ! J’ai essayé de le couvrir au fond de teint, juste pour voir. »

Lena n’y comprenait rien. La chose ne s’était pas contentée de la narguer en postant une photo à sa place, elle répondait à ses propres amis comme s’il s’agissait des siens. Mais comment, et avec quel ordinateur, ou quel téléphone ? Avec un horrible pressentiment, Lena ouvrit l’historique de son navigateur et constata que quelqu’un s’en était servi avant elle. Plus précisément, vingt minutes plus tôt, alors qu’elle dormait encore. Elle en eut des sueurs froides. La chose s’était tenue ici, à quelques mètres d’elle, et elle avait osé utiliser son ordinateur et son téléphone. C’était inconcevable, et surtout… c’était récent. Très récent.

Elle se leva d’un bond, terrorisée. Et si elle était toujours là, quelque part, cachée dans son appartement ? Lena se précipita dans sa cuisine et s’arma d’un long couteau. Puis elle souffla un grand coup et commença par ouvrir la porte du cagibi. Personne.

Elle se rendit ensuite dans le couloir pour ouvrir la porte du placard dans l’entrée. Rien. Elle en profita pour s’assurer que la porte était bien verrouillée, avant de se diriger prudemment vers la salle de bains. La porte en était grande ouverte, et elle constata d’un coup d’œil qu’elle était vide.

Pour finir, elle retourna dans la pièce qui lui servait à la fois de chambre et de salon, et, serrant le couteau aussi fort qu’elle le pouvait, elle se mit à avancer dans la pièce. À chaque fois qu’elle vérifiait une potentielle cachette, elle devait se contenir pour ne pas hurler ou faire demi-tour en courant pour s’enfuir de l’appartement.

Rien sous le lit. Rien derrière le canapé. Et dans la penderie… rien.

Elle poussa un soupir de soulagement et se passa la main dans les cheveux, en sueur. Eh bien, c’était au moins ça… Elle s’assit lourdement à son bureau, sans pour autant se débarrasser du couteau, avant de relire les commentaires et de regarder à nouveau cette photo. Elle ne put réprimer un frisson d’horreur, comme à chaque fois qu’elle apercevait la chose.

Lena était presque au bord du malaise. Tout en respirant bruyamment, elle se couvrit d’un plaid et ferma les yeux. Puis elle se prit la tête entre les mains et résuma la situation à toute vitesse à voix haute :

« OK, alors. Ce truc me ressemble. Il prend ma place en m’endormant, je sais pas comment il fait mais il peut faire ça. Il vit ma vie comme si c’était la sienne. J’ai un double… »

Elle ouvrit de grands yeux, terrifiée. Elle regrettait presque la période où elle refusait d’y croire, profondément enfoncée dans son déni.

« Personne me croira jamais, souffla-t-elle d’un ton désespéré. Personne, sauf… quelqu’un qui aurait déjà vu ça. »

Elle se redressa, une lueur d’espoir dans le regard. L’histoire de Peter, celle de Jade… Le bédéiste avait bien dit que cette jeune fille et lui avaient eu l’idée en même temps, ensemble, et qu’ils l’avaient tournée chacun à sa façon ? Depuis quelque temps, Lena en était convaincue : ils avaient vraiment vécu ce qu’ils racontaient. Oui, une partie de leurs récits était sûrement romancée, mais les doppelgängers existaient bien.

Eux, ils la croiraient. Le problème… c’était que Peter devait recevoir des tas et des tas de messages, il était très peu probable qu’il voie le sien, et encore moins probable qu’il y réponde. Quant à Jade… elle n’avait jamais ouvert celui qu’elle lui avait envoyé.

Elle se mit à réfléchir à toute allure. Peter… de ce qu’elle savait, il habitait loin, très, très loin d’elle. Il vivait à Deltown, il y en avait pour des heures d’avion et plusieurs changements de fuseaux horaires. Mais Jade… peut-être qu’elle était plus proche. Après tout, dans son histoire, il était dit que le personnage qui représentait Peter avait changé de continent pour échapper à son double. Il y avait donc une probabilité qu’elle et Jade habitent sur le même…

Sans plus réfléchir, elle tira son clavier vers elle. Même si l’auteure avait modifié tous les noms dans son histoire, y compris ceux des villages, ils devaient exister. Et elle devait les trouver.

Le mois d’avril était arrivé, et le petit groupe des Envahis commença à se réunir plus souvent à l’extérieur. Ils se posaient dans le no man’s land pour lancer un après-midi révisions, ou partaient pour un tour des villages du Havre Perdu, les habitués faisant découvrir des lieux magnifiques à Rose et à Dean. Ils profitaient de ce temps passé tous ensemble avant la fin de l’année scolaire et du départ de plusieurs d’entre eux.

Un dimanche après-midi, il faisait suffisamment beau pour que Dean et John se retrouvent dans le verger de la ferme pour dessiner. Ils étaient en train de terminer la dernière planche de leur première petite bande dessinée. John dessinait souvent sur papier et une fois scanné, il modifiait le dessin avec divers logiciels. Aujourd’hui, Dean faisait de même puisqu’il était dehors, mais il avait de plus en plus de mal à dessiner à la main maintenant qu’il s’était habitué à la tablette que ses parents lui avaient offerte pour son anniversaire.

Subitement, John se redressa. Dean, très absorbé par son dessin, ne le vit même pas faire.

« Mais qu’est-ce qu’elle fait là, celle-là ? »

Dean releva finalement la tête, surpris.

« Qui ? s’enquit-il.

– La fille là-bas, devant la grange. »

En suivant son regard, il l’aperçut à son tour. Ils étaient trop loin pour la voir précisément, mais elle paraissait assez grande et était toute vêtue de noir. Elle restait figée là, comme Dean la première fois qu’il était venu à la ferme. John, curieux, finit par se lever pour de bon et partit à sa rencontre. Dean le suivit, et ils arrivèrent au moment où la jeune femme semblait sur le point de frapper à la porte.

John l’interrompit dans son geste :

« Bonjour, vous… vous cherchez quelqu’un ? »

La jeune femme sursauta, tourna la tête et Dean la détailla. Elle avait une peau très pâle, qui contrastait avec ses cheveux. Son jean était un peu déchiré, et quelques chaînes en pendaient ainsi que de son sac. Ce qui était sûr, c’était qu’ils ne l’avaient jamais vue dans le coin. Les personnes aux styles vestimentaires atypiques ne passaient jamais inaperçues, au Havre Perdu. Sans les regarder dans les yeux, elle s’éclaircit la gorge et répondit :

« Bonjour, je… je cherche une certaine Jade. Et son groupe d’amis. Je crois que je suis devant la bonne grange. Mais elle doit être vide… j’avais pas vu le cadenas, je… Tant pis, je reviendrai plus tard…

– Attendez, comment ça, la bonne grange ? demanda John, interloqué. Oui, on connaît Jade, c’est une amie à nous, mais… vous êtes qui ? »

Elle releva enfin les yeux, la bouche entrouverte.

« Oh, attends… On peut se tutoyer, non ? Si vous êtes des amis de Jade, alors… vous êtes peut-être les personnes que je cherche. Les personnes dont elle parle dans son histoire. »

Les deux garçons eurent un mouvement de recul. Puis John secoua la tête, troublé.

« Attends… tu nous as retrouvés à cause de son blog ? Mais pourquoi ? »

Elle tourna le dos à la grange pour leur faire face et soupira.

« Oui, c’est ça… Je suis Lena, Lena Ellis. Et je suis venue parce que je savais plus vers qui me tourner… Je crois que… je crois que j’ai un doppelgänger. »

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *