Le mois d’août touchait à sa fin et le temps s’était éclairci. Comme ses parents étaient très occupés, Dean passait son temps à se balader dans le Havre Perdu et les environs en quête d’inspiration, trompant son ennui comme il le pouvait. Un de leurs voisins leur avait offert un vieux vélo et après l’avoir dérouillé, Dean l’avait adopté et ne le lâchait plus. Il explorait les alentours avec de la musique dans les oreilles, profitant sereinement de ses derniers jours de vacances.
Comme prévu, les touristes avaient déserté les plages de Wideshore et l’hôtel de Woodglades. Le Havre Perdu retrouvait enfin son calme… pour une dizaine de mois. Dean avait vite compris que c’était le moment idéal pour traîner à la plage : tout était tranquille mais il faisait encore assez chaud pour se prélasser dans le sable des heures durant et se baigner.
Il n’avait pas recroisé John. Ce dernier était apparemment parti chez des cousins dans une autre ville pour la dernière semaine de vacances. Cela arrangeait Dean qui n’était plus tout à fait sûr de vouloir lui parler de cette espèce d’ombre bizarre qu’il avait aperçue. Il appréhendait les réponses du jeune homme – si seulement il en avait – et se sentait rassuré d’avoir ce délai supplémentaire pour y réfléchir.
Adrian passait une dizaine d’heures par jour à la ferme et ne rentrait que vers dix-neuf heures. Il avait assuré à sa femme et à son fils que c’était uniquement le temps de la formation et que ses horaires changeraient ensuite. Cependant, même s’il revenait exténué chaque soir et passait le plus clair de son temps à la ferme, Dean le sentait revivre : il avait enfin retrouvé une activité. Pendant ce temps, Marlene finissait les corrections de son roman avec son éditeur. Tout était en train de s’arranger.
La vie à Stonevalley n’était pas désagréable. En tant que citadins, les Way ne s’attendaient à être si bien accueillis dans ce village de campagne, mais il n’en était rien. Les résidents étaient aimables avec eux, s’intéressaient à eux et beaucoup leur avaient offert des gâteaux ou les avaient invités à prendre le thé pour leur souhaiter la bienvenue. Certains avaient demandé à Marlene de leur prêter quelques exemplaires des romans qu’elle avait écrits et l’un d’eux, comme il connaissait bien le libraire d’Eganlake, avait même affirmé à la romancière qu’il s’arrangerait pour que la boutique propose ses livres à la vente.
Si la vie sociale de ses parents était plutôt épanouie, Dean, de son côté, ne faisait aucune rencontre. Il croisait assez peu de gens de son âge lorsqu’il déambulait dans les rues des quatre villages et, le plus souvent, ils étaient en groupe et il n’osait pas s’approcher d’eux. Il y avait bien John, mais… il ne l’avait vu qu’une fois et ne pouvait évidemment pas le considérer comme un ami. Puis, il y avait la gêne qu’il avait ressentie alors que celui-ci l’avait fixé sans rien dire, devant la grange… Il ne pouvait s’empêcher de se demander comment il réagirait si tous les autres élèves de Stonevalley et des villages voisins se comportaient comme lui. Tout ce qu’il espérait, c’était qu’ils ne feraient pas de lui le bouc émissaire de sa classe.
C’était pourquoi, le matin de la rentrée, il appréhendait plus que jamais son arrivée au lycée de Woodglades. Ce jour-là, il se leva de bonne heure. Ses parents lui avaient indiqué l’horaire et le lieu du passage de son bus scolaire, alors il s’y rendit avec dix minutes d’avance. Il aurait préféré se rendre à Woodglades à vélo, mais la pente et la chaleur l’avaient découragé. Il détestait attirer l’attention plus que tout. Et déjà qu’il appréhendait les regards intrigués des autres élèves lorsqu’il se pointerait à l’arrêt de bus, alors l’idée d’arriver au lycée complètement en nage dès son premier jour ne l’enchantait pas.
Il n’y avait qu’une dizaine d’élèves à l’arrêt de bus. Comme prévu, ils dévisagèrent Dean, le seul inconnu dans ce petit attroupement. Le jeune homme se mit à écouter de la musique avec son casque et regarda ailleurs pour masquer sa gêne. Il détestait ce sentiment d’être une bête curieuse. Il ressentait la même chose lorsqu’en cours de français ses professeurs lisaient sa rédaction à voix haute, devant le reste de la classe. Ou pire : lorsqu’ils lui demandaient de la lire lui-même. Ses professeurs applaudissaient toujours son soi-disant génie, sans se douter que sa mère l’aidait grandement à chacun de ses devoirs. Le syndrome de l’imposteur venait donc s’additionner au reste, et il ne ressentait plus qu’un immense malaise jusqu’à ce que ce moment douloureux se termine enfin.
Le bus arriva enfin. Dean laissa les autres élèves monter avant lui, puis il alla s’installer à côté d’une fenêtre pour se replonger dans son monde, avec sa musique.
⁂
Le lycée n’était pas très grand et, comme Dean l’avait deviné, il ne comptait pas beaucoup d’élèves, du moins en comparaison à celui qu’il fréquentait à Leedsburgh. On y trouvait trois classes de premières années d’environ vingt élèves, et c’était à peu près la même chose pour les deux autres niveaux. C’était parfait pour Dean, qui s’était toujours senti à l’étroit dans ses anciennes classes de presque quarante élèves.
L’adolescent s’approcha d’un large tableau de liège pour chercher son nom sur la feuille qui listait les élèves ayant choisi les options littérature et langues étrangères. Lorsqu’il le trouva, il fut rassuré de constater que son inscription s’était déroulée sans encombre, et qu’il n’avait pas besoin d’aller déranger l’administration pour ça. Alors qu’il allait se désintéresser du tableau, ses yeux furent attirés par un petit détail. Il constata avec étonnement que pour la première fois de sa scolarité, il n’était pas le dernier sur la liste. En effet, un autre nom de famille commençant par W suivait le sien.
Puis, repensant à sa rencontre avec le neveu du fermier, il chercha le nom de John sur le tableau. Il le trouva dans la classe qui regroupait les élèves en options économique, histoire et géographie. Il leva un sourcil en lisant la mention « deuxième année ». Il lui semblait pourtant que John avait un an de plus que lui. Sans doute avait-il redoublé… Cela ne le regardait pas, de toute façon. Et comme les autres noms ne lui rappelaient évidemment rien, il tenta de se repérer grâce au petit plan de l’établissement à côté des listes pour se rendre devant sa salle. Quelques élèves du bus étaient là également, et Dean les entendaient murmurer en le désignant discrètement d’un geste.
« Il paraît que c’est le fils du nouvel associé du fermier Calligan… »
Le jeune homme était surpris de la façon dont les autres élèves prononçaient le nom « Calligan ». Comme s’ils le craignaient, en quelque sorte. Il devina sans peine que John faisait le même effet aux autres élèves qu’à lui. Ce garçon avait vraiment quelque chose de dérangeant sans que Dean parvienne à déterminer quoi.
Lorsque la sonnerie retentit, les autres élèves entrèrent dans la salle de classe qui leur était attribuée avant l’arrivée de leur professeur. Cela le surprit, car dans son ancien lycée toutes les portes étaient fermées à clé entre les cours, mais il suivit le mouvement. À Woodglades, cela ne venait sans doute pas à l’idée des élèves de mettre à sac les salles de classe et de dessiner n’importe quoi au marqueur indélébile sur le tableau en l’absence des professeurs.
Il s’installa à côté de la fenêtre au deuxième rang, seul. Les autres élèves se racontaient leurs vacances dans un joyeux brouhaha qui s’atténua lorsque leur professeur entra dans la pièce et ferma la porte. C’était un vieil homme barbu à lunettes qui donnait à Dean l’impression qu’il pouvait s’endormir sur place à tout moment. Sa voix était soporifique et l’adolescent se mit à bâiller au bout de quelques phrases. Mais ce que leur professeur annonça ensuite le tira immédiatement de sa torpeur.
« Et cette année, nous accueillons un nouvel élève… Dean si tu veux bien te présenter. »
Tous les élèves se tournèrent immédiatement vers lui. Il déglutit tandis que son cœur s’emballait. Évidemment, il ne pouvait pas se présenter assis sur sa chaise et retomber dans l’oubli tout de suite après. La tête de son professeur indiquait clairement qu’il devait se lever et parler de lui au tableau, devant toute la classe. Il s’y rendit à contrecœur et prit une grande inspiration avant de commencer, se forçant à ne pas regarder par terre.
« Euh… Bonjour, je suis Dean… comme vous savez. »
Son malaise était perceptible. Il passa sa main dans ses cheveux et poursuivit en tentant de contrôler ses tremblements.
« Je viens de Leedsburgh avec mes parents. Je suis fils unique. »
Leedsburgh n’était pas une ville très connue dans le pays, mais la plupart des élèves hochèrent la tête lorsque Dean prononça ce nom.
« Bon, évidemment, c’est plus grand qu’ici… J’aime bien composer de la musique, lire de la science-fiction et… les bouquins de ma mère, aussi. »
Dean était rassuré : son auditoire semblait compatir à sa détresse de nouvel élève forcé de se présenter devant des inconnus malgré sa timidité. Aussi, ils ne lui posèrent aucune question et le laissèrent retourner à sa place. Mais alors qu’il se rasseyait, il remarqua qu’une fille le regardait fixement, assise au deuxième rang en face du tableau. Il se demanda comment il n’avait pas pu la voir avant : ses longs et épais cheveux d’un roux flamboyant ne la faisaient pourtant pas passer inaperçue. Elle portait des vêtements plutôt amples et des lunettes à épaisses montures noires, et ses avant-bras et son visage étaient constellés de taches de rousseur. Il ne croyait pas l’avoir déjà rencontrée et pourtant, elle le regardait toujours, tout en tapotant ses doigts sur son cahier.
Elle n’avait pas l’air hostile envers lui, mais Dean se demanda pourquoi elle le fixait de cette façon : elle avait les sourcils froncés et se mordait la lèvre inférieure comme si elle réfléchissait à une chose importante le concernant.
Il détourna le regard avant elle, gêné. Comme son professeur commençait l’appel, il se mit à la surveiller discrètement afin de connaître son prénom. Son nom était le dernier nom de la liste, juste après celui de Dean : elle se nommait Jade Wingstone. Il enregistra ce nom dans un coin de sa tête dans le but de demander à ses parents s’ils avaient rencontré des Wingstone depuis leur arrivée.
Lorsque le professeur l’appela, elle se désintéressa enfin de Dean et se retourna vers sa table. Ce regard lui laissa une drôle d’impression, mais il la mit de côté pour se forcer à se concentrer sur le monologue soporifique de son professeur.
Celui-ci leur distribua un emploi du temps sur lequel il ne posa pas les yeux plus de dix secondes. Contrairement aux autres élèves, il ne connaissait pas les professeurs et ne pouvait partager ni leur enthousiasme ni leur déception en voyant les différents noms écrits sur la feuille. Mais comme le lycée n’était pas très grand, Dean supposa qu’il ne devait pas y avoir plus de deux professeurs différents par matière.
Le jeune homme rentra chez lui avec l’impression d’avoir été anesthésié pour une lourde opération chirurgicale. Il raconta sa journée à ses parents en bâillant. Lorsqu’il posa la question qui l’intéressait, Adrian et Marlene lui répondirent qu’ils n’avaient pas rencontré de Wingstone pour le moment. Dean haussa les épaules, trop fatigué pour se demander à nouveau pourquoi cette Jade l’avait fixé ainsi. Puis il monta faire une sieste avant de se remettre à composer de la musique.
⁂
Dean avait entamé sa deuxième semaine de cours, découvrant peu à peu ses professeurs et les élèves qui l’entouraient. Il ne savait pas s’il parviendrait à sympathiser avec eux, mais il ne se sentait pas rejeté pour autant. Il se contentait de leur dire bonjour le matin et de manger avec différentes bandes de sa classe à la cantine du lycée. Ils étaient plutôt accueillants, et c’étaient même eux qui lui faisaient signe de venir à leur table lorsqu’il errait dans la salle bondée avec son plateau. Pour autant, Dean ne pouvait pas s’empêcher d’avoir l’impression de s’incruster dans un groupe déjà soudé, et il détestait cela. Il ne se sentait pas à sa place, et ne parvenait même pas à retenir les prénoms de la plupart d’entre eux. Il se doutait que ces personnes ne deviendraient pas de véritables amies. Après tout, cela s’était toujours passé comme ça dans son ancien établissement. Pour autant, cela ne le déprimait pas. Il s’en accommodait même très bien, au grand dam de ses parents.
La seule personne de sa classe qui ne traînait jamais avec les élèves de leur classe était Jade. Lorsque Dean la croisait à la pause, elle était toujours seule, à écrire inlassablement sur des feuilles constellées de gribouillages, mordillant son stylo avec un air pensif de temps à autre. Certains midis cependant, elle mangeait avec quelques filles que Dean ne connaissait pas. Celles-ci étaient apparemment en troisième année, et l’une d’elles ressemblait à Jade si elle avait été brune. Mais la jeune fille agissait comme Dean lorsqu’il partageait la table de ces groupes qu’il ne faisait que côtoyer : elle semblait exclue, et pas à sa place.
L’adolescent ne pouvait s’empêcher de se demander si Jade avait des amis. Il aurait bien aimé aller lui parler et sympathiser avec elle, mais il ne pouvait s’empêcher de repenser au drôle de regard qu’elle lui avait adressé le jour de la rentrée, et cela le perturbait. Il ne savait pas comment interpréter ce qui s’était passé ce jour-là et trop habitué à être rejeté par les autres élèves, il s’était imaginé que la jeune fille le considérait avec mépris ou pitié. Il savait pourtant pertinemment que cela n’avait aucun sens, mais il était si peu doué en contacts sociaux qu’il s’imaginait toujours le pire lorsqu’il ne comprenait pas quelque chose.
⁂
Trop occupé à se prendre la tête avec ses différentes péripéties au lycée, Dean en avait presque oublié son échange avec John devant la grange des Calligan ainsi que la drôle d’ombre, qu’il n’avait pas revue depuis. Ce mardi, il avait fait l’effort d’aller jusqu’à son lycée à vélo malgré la côte, car la météo s’y prêtait. Alors que les élèves étaient déjà presque tous partis pour prendre le bus, il traînait encore dans les couloirs vides. Il avait toujours aimé se balader dans de grands bâtiments lorsque ceux-ci étaient complètement déserts. Le silence qui y régnait lui donnait un profond sentiment d’apaisement et le détendait.
Au moment où il s’approchait de l’entrée principale, il tomba sur Jade qui courait vers la porte, un cahier sous le bras. Elle était probablement très en retard pour le bus, mais alors qu’elle n’était plus qu’à un mètre de la porte, elle dérapa. Elle laissa échapper un petit cri de stupeur et se rattrapa de justesse à la poignée, mais son cahier s’entrouvrit et quelques feuilles s’en échappèrent.
Dean accourut pour l’aider alors qu’elle les ramassait en pestant. Il en saisit deux et ne put s’empêcher d’y jeter un coup d’œil. Elles étaient ornées d’un gros titre écrit en italique : « Les Envahis ».
« Jolie calligraphie, songea Dean. »
Puis il eut un sursaut : au milieu de la feuille était écrit son nom, Dean Way, suivi d’une flèche et d’un point d’interrogation. Il y avait également quelques prénoms masculins à côté, qui étaient tous rayés au stylo. Troublé, il lui tendit ses feuilles sans faire de commentaire. D’une petite voix et tout en réajustant ses lunettes, elle souffla :
« Merci beaucoup. »
Alors elle reprit ses feuilles, les fourra dans son cahier et s’enfuit dehors sans plus de cérémonie. Dean la regarda partir sans savoir quoi en penser. Il trouvait que ces feuilles gribouillées ressemblaient fortement aux brouillons que sa mère laissait traîner partout lorsqu’elle commençait un nouveau roman. Mais pourquoi Jade avait-elle écrit son prénom dessus ? Il sortit du lycée, complètement perdu. La jeune fille était déjà loin et de toute façon, et il ne saurait pas comment aborder la question avec elle. Il essaya de ne plus y penser et enfourcha son vélo.
Il était seul lorsqu’il rentra chez lui. Son père était toujours à la ferme et sa mère était probablement partie faire des courses, car Dean s’aperçut en l’ouvrant que le frigo était presque totalement vide.
D’ordinaire, lorsque ses parents s’absentaient tous les deux en même temps – ce qui était plutôt rare, puisque sa mère écrivait beaucoup et que son père épiait autrefois régulièrement les petites annonces de boulot sur Internet, Dean était ravi. Il adorait avoir l’appartement rien que pour lui. Il pouvait mettre de la musique très fort, rester avachi dans le salon pendant des heures…
Mais l’adolescent ne s’était jamais retrouvé seul dans sa nouvelle maison à Stonevalley. C’était différent à Leedsburgh, car l’appartement dans lequel il habitait n’était jamais totalement silencieux. Il était relativement bien isolé, mais les éclats de voix des voisins leur parvenaient de temps à autre, ou encore le bruit de la circulation au-dehors durant les heures de pointe.
À Stonevalley, le calme régnait, mais ce n’était pas comme dans ces petits gîtes de campagne que ses parents louaient quelques fois pour les vacances. Il y avait dans le coin, à Eganlake et dans ce village en particulier, cette lourde ambiance qui rendait sa solitude plus pesante que dans son ancien chez lui. Dean s’avança jusqu’au milieu du salon et se figea. Le tic-tac incessant de l’horloge et le ronronnement du frigo dans la cuisine le rassuraient un peu, mais il se sentait oppressé. Il avait une boule au ventre, comme la veille d’un examen oral. Il resta un moment debout à regarder autour de lui, comme s’il s’attendait à voir quelque chose surgir d’un coin de la pièce. Puis il reprit ses esprits et chassa ces idées absurdes de sa tête. Il posa son sac de cours sur la table de la cuisine et s’installa dos à celle-ci dans son canapé, un verre de jus de fruit posé sur la table basse devant lui.
Il commençait à se détendre. Il était en train de lire une fiction sur Internet depuis son téléphone et captivé par le récit, il en oubliait totalement le monde extérieur. Après avoir lu le dernier chapitre, il détacha son regard de son téléphone et commença à somnoler sur le canapé.
« Finalement, ce n’est pas si mal d’être seul ici… »
Alors qu’il bâillait à s’en décrocher la mâchoire, il entendit un bruit sourd derrière lui. Il se retourna vivement. C’était son sac qui était tombé de la table et gisait par terre, au milieu des livres scolaires qui s’en étaient échappés. Dans le coin de la pièce, il aperçut la même ombre que l’autre fois qui fuyait dans le couloir. Le cœur de Dean battait à tout rompre. Il n’avait pas envie de la suivre, il ne voulait pas se comporter comme ces personnages de films d’horreur qui se dirigent sans hésiter vers le monstre ou le fantôme, courant sciemment à leur perte.
Voilà pourquoi après avoir rapidement ramassé ses livres, il monta dans sa chambre et s’y enferma. Il se mit au piano pour essayer de se calmer, mais rien ne lui venait. Il se sentait terriblement anxieux et avait envie de pleurer pour une raison inexplicable. Lui qui cinq minutes plus tôt se complaisait dans sa solitude n’avait qu’une envie : être avec quelqu’un, n’importe qui. Il ne comprenait pas ce qui se passait à Stonevalley. Il ne savait pas ce qu’étaient cette ombre ni cette aura, et il avait peur de devenir fou.
« Dean ? »
Il sursauta, les nerfs tendus à bloc, mais ce n’était que la voix de sa mère qui l’appelait depuis le rez-de-chaussée. Il se précipita à sa rencontre, ravi de ne plus être seul à la maison. Marlene avait besoin d’aide pour ranger ses courses, et Dean s’exécuta tout en lui racontant distraitement sa journée. Il s’efforçait d’oublier l’incident mais au fond, il se sentait toujours aussi mal. Il n’avait jamais osé parler à ses parents de ses visions de peur de ne pas être pris au sérieux. Sa mère avait beau être une romancière de renom, cela ne l’empêchait pas pour autant d’avoir les pieds sur terre, et elle ne croyait pas du tout aux histoires paranormales. Enfin, s’il s’agissait bien de paranormal…
Dean aurait tout de même aimé passer un peu de temps avec elle au salon histoire de ne pas se retrouver seul, mais sa mère retourna travailler à peine quelques minutes plus tard. Il remonta à contrecœur dans sa chambre, seul.
Il s’allongea sur son lit sur le dos, pensif. Plus que jamais, il avait besoin de se confier à quelqu’un. Et il n’y avait qu’une personne à qui il pouvait parler : Jonathan Calligan. Il devait lui demander ce qu’il savait au sujet de cette ombre et de l’atmosphère qui régnait sur les quatre villages.