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Nouvelle de rêve : Elle m’a poussée à ouvrir

Elle est arrivée vers sept heures du matin.

C’est du moins ce que j’ai supposé lorsque, mal réveillée, je suis allée lui ouvrir la porte et que j’ai constaté que le jour se levait à peine. Une épaisse brume recouvrait les maisons environnantes, et la température devait avoisiner les cinq degrés. Dans mon pyjama de fortune, je frissonnai.

Qui pouvait bien nous rendre visite à une heure pareille ? Derrière la porte vitrée à moitié opaque, je devinai une silhouette sombre d’environ ma taille. Je suis méfiante envers les inconnus. Surtout ceux qui viennent frapper à ma porte, surtout lorsque le jour n’est même pas levé, et surtout lorsque je suis seule chez moi. Alors encore maintenant, je ne m’explique pas ce qui m’a poussée à ouvrir la porte.  

Une jeune femme se tenait là. Elle eut l’air à la fois soulagé et embarrassé de me voir – sûrement à cause du pyjama. Je la détaillai rapidement, l’esprit encore embrumé par le sommeil. Plutôt menue, elle avait de longs cheveux bruns qui lui tombaient en cascades sur les épaules et des vêtements simples, mais très sombres. Je ne me souviens pas avoir regardé ses yeux à ce moment-là. Peut-être que j’aurais dû.  

« Bonjour ?

– Bonjour, désolée de frapper à une heure pareille, en fait je… je viens voir ton père, je crois que c’est ici ? Le médecin… C’est assez urgent. »

Sa voix était hésitante, fluette. Je ne relevai pas le tutoiement. Après tout, on avait l’air d’avoir le même âge et je dois avouer que lorsque quelqu’un me tutoie directement, je me sens souvent plus à l’aise. Je pensais que cela nous permettrait de briser la glace plus rapidement.

Je me raclai la gorge:

« Je comprends, mais mes parents sont pas encore rentrés. Ils arrivent bientôt, mais je peux pas te dire d’heure exacte…  

– Ah…»

À bien y réfléchir, je ne comprends pas vraiment ce qui avait pu pousser mes parents à se balader à des heures pareilles. Je la détaillai, perplexe. Si elle restait à attendre là, elle allait vraiment se geler.

« Tu veux rentrer les attendre ?  

– Ce serait vraiment sympa de ta part, oui.»

J’ouvris largement la porte et la laissai entrer. Je me sentais immédiatement en confiance avec elle, rien, rien ne me faisait douter de sa bienveillance. Comment faisait-elle?

« Où est-ce que je peux m’asseoir ?  

– Oh, euh, je vais me poser sur mon lit, tu n’as qu’à venir dans ma chambre aussi. »

Peut-être que je n’avais pas perdu tout mon bon sens, après tout. Garder un œil sur une inconnue qu’on invite dans sa propre maison, ce n’est peut-être pas une mauvaise idée. Sans discuter, elle me suivit.


Ma chambre était sombre, je n’avais encore ouvert ni mes persiennes ni mon store. Mais elle ne fit aucun commentaire, et je n’ouvris rien. Après tout, on y voyait quand même assez pour ne pas se prendre les pieds dans quelque chose. Sans plus la consulter, je me remettais en position semi-allongée sur mon lit. Après une courte hésitation, elle s’assit sur le bord du matelas, juste à ma droite.

Je me souviens avoir engagé la discussion avec elle pour passer le temps, mais je serais incapable de vous raconter ce que l’on s’est dit. Tout est flou, à ce moment.

Cela devait faire dix minutes, peut-être quinze, qu’elle était là. Je me sentais engourdie. J’attribuai cela à la fatigue sans me poser plus de questions. Après tout, c’était peut-être normal si je ne pouvais plus bouger.

« Tu as ce livre, toi aussi, c’est drôle. »  

Elle lut le titre d’un ouvrage qui traînait au sol, à environ deux mètres d’elle. J’eus un rire nerveux. Il faisait presque nuit dans ma chambre, et elle l’avait lu comme en plein jour.

« Mais attends, comment tu fais pour boire…? »
Boire ? Je ne parvenais plus à parler. Quelque chose n’allait pas. Mais je fis semblant d’en rire, alors que j’articulai et poussai sur ma voix pour reposer ma question. Pour faire comme si tout allait bien.  
  « Comment tu fais pour voir ? »  

Elle ne répondit pas, pas tout de suite. Elle produisait des sons étranges que je ne parvenais pas à identifier. Puis d’une voix caverneuse, elle a répété:

« Pour voir… Pour voir, pour voir… »  

À mesure qu’elle le répétait, sa voix devenait plus grave, plus indistincte. Je ne pouvais pas tourner la tête. Mais est-ce que j’en avais vraiment envie ?

Son ombre grandissait sur le mur près de moi. Alors qu’elle continuait de murmurer ces deux mots et que je frissonnai de tout mon corps, immobile, son ombre grandissait. Ce n’était plus – pas une jeune fille. Ça ne l’avait jamais été. C’était quelque chose. Quelque chose d’immense, d’inhumain, quelque chose que j’avais fait rentrer chez moi.

Pétrifiée, j’assistai sans la voir à cette atroce métamorphose.

Et je ne pouvais rien y faire.

/Paralysie/

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