Quoi qu’il arrive, ne les laisse pas t’avoir.
Un mois, deux, peut-être trois, je ne suis pas capable de me souvenir à quel moment exactement ma vie a pris ce tournant. Quand on survit et qu’on fuit sans cesse, le temps n’a plus vraiment d’importance. On bénit les nuits pour la discrétion qu’elle nous offre, mais on ne les compte plus. On collecte la pluie qui tombe du ciel sans se soucier des saisons. Comment est-ce que ça a commencé ? On n’en sait rien. Pourquoi ? Pas plus de réponse. C’est arrivé, c’est tout. Ça a été fulgurant et presque personne n’en a réchappé. Le mot virus était à peine prononcé dans les médias qu’il était trop tard. Ils avaient déjà quasiment eu tout le monde.
On fuit, espérant trouver d’autres personnes qui, comme nous, ne se sont pas laissées avoir par eux. Là où on a de la chance, c’est qu’il reste toujours de l’essence dans les stations où l’on s’arrête, et de la nourriture dans les magasins. Il faut dire qu’ils n’en ont pas besoin, et que les gens encore humains comme nous se font rares. Des fois, l’idée que nous sommes les derniers m’effleure l’esprit. Mais il ne faut pas y penser. La seule chose à laquelle il faut penser, c’est de ne pas les laisser nous avoir.
« Regardez, ça nous fera un abri pour la nuit.
– S’ils ne sont pas dans le coin, oui.
– Ils vont rarement dans les maisons… à moins qu’ils nous repèrent. Mais on n’a pas le choix. »
Je tourne la tête vers la maison dont mes compagnons de fortune sont en train de parler. Au milieu d’un petit jardin souffrant visiblement d’un grand manque d’entretien se dresse une maison toute droite, haute et étroite, délabrée et recouverte de lierre. Clairement pas un palace…
« Y a vraiment rien de mieux dans les environs ?
– À mon avis, y’a rien tout court, me répondit l’homme en coinçant le frein à main. Allez, on descend. Il faut pas traîner. »
Je ne discute pas plus. Il a raison, c’est mieux que rien. Et ces nuits à dormir en position assise dans la voiture commencent sérieusement à me peser. À côté de moi, Anastasia s’étire et s’extirpe hors de la voiture. De mon ancienne vie, c’est la seule personne qui me reste. Une amie très chère, de longue date. Ensemble, nous avons trouvé trois autres personnes qui ne se sont pas fait avoir par eux et nous sommes restés ensemble : une femme, son compagnon et un autre homme. L’essentiel, c’est de toujours être en mouvement.
Elle détaille la maison, perplexe. Puis elle hausse les épaules :
« Bon, tant qu’on est en sécurité… »
Je ne peux qu’être d’accord. Nous refermons les portières et sans un mot, nous nous dirigeons vers la vieille porte d’entrée rongée par les termites et usée par le temps. Ça, ça doit pas bien isoler.
L’intérieur n’a pas l’air plus entretenu et fait très vieillot. Murs de pierres, meubles d’un autre siècle, et un long escalier de bois que j’imagine aisément grincer à chaque pas. Nous terminons rapidement notre visite : tout est vide. Nous ne prenons pas la peine de verrouiller la porte, ils se fichent bien de ça.
Épuisés, nous choisissons nos chambres un peu au hasard, au premier étage. Les lits ne détonnent pas avec le reste : sommier en fer, vieux matelas et literie vieillotte. Ça fera l’affaire pour un jour ou deux.
⁂
Je suis brusquement tirée du sommeil par un bruit sourd. Je me lève précipitamment, angoissée. Ils nous ont trouvés. Ana et les autres sont déjà dans le couloir, aussi paniqués que moi. En bas, on en voit un. Un homme assez grand, pâle, il nous fixe de ces yeux vitreux qu’ils ont tous. Mais il y a d’autres bruits au rez-de-chaussée. Il n’est pas seul.
« On voudrait juste vous parler.
– Partez ! hurle la femme de notre groupe, la voix déformée par la peur. »
Je n’en mène pas large. J’essaie de me remémorer le plan de la maison. Si on sortait par là où on est entrés, ils nous attraperaient. Mais il y a une porte derrière, à laquelle nous pouvons accéder. En espérant qu’aucun d’entre eux ne nous guette derrière. Je crois que tout mon groupe pense à la même chose. Nous échangeons un regard entendu. L’homme, pendant ce temps, commence à monter lentement les marches, sans aucun bruit. Ses pieds ne touchent même pas le bois alors qu’il se dirige vers nous.
« On veut juste vous parler, vous allez comprendre… »
Nous ne l’écoutons pas. Sans nous concerter, nous nous mettons à courir vers l’autre porte. Lui, il ne court pas. Il avance lentement, le regard fixe, comme s’il avait la certitude qu’il nous rattraperait quoi qu’il arrive.
Nous dévalons l’escalier, haletant. Il faut aller à la voiture et partir loin d’ici. Mais si même cette campagne profonde n’est pas sûre, où aller ? En quelques secondes, nous sommes au jardin. La lune est pleine ce soir, et il y a si peu de nuages qu’on y voit presque comme en plein jour.
Ils sont six, et je sais qu’il est déjà difficile d’échapper à un seul d’entre eux. Ils sont relativement rapides et surtout, jamais épuisés. C’est pour cela qu’on ne peut jamais traîner en ville : on ne verrait rien venir, et ils y sont bien plus nombreux.
En attendant, nous sommes dans une impasse. Ils sont en surnombre, et ils bloquent l’accès à la voiture. Celui qui nous parlait dans l’entrée de la maison s’approche à nouveau de nous et reprend, d’une voix calme :
« On veut juste vous parler. Vous comprendrez pourquoi on a choisi de devenir comme ça, et vous aussi vous voudrez le devenir. »
On les regarde un instant, sans savoir quoi faire. Leurs peaux translucides, leurs yeux vides, leur air absent en permanence… Pourquoi voudrait-on devenir comme eux ? Pourquoi voudrait-on les laisser nous avoir ? Sans un bruit, ils nous encerclent.
« Ça ne vous intéresse vraiment pas, de ne plus jamais avoir besoin ni envie de dormir, de boire ou de manger ? De ne plus jamais avoir à travailler ou à acheter quoi que ce soit, de pouvoir vous balader librement et à la vitesse que vous voulez ? De pouvoir vous rendre immatériels si vous le souhaitez ? Vous pourriez parcourir le monde, observer les plus belles choses de la nature sans jamais avoir l’impression d’être de trop, nulle part. Être complètement libres de tout. Et le jour où vous en avez assez, choisir de disparaître pour toujours. Choisir le moment où l’on meurt, et sans aucune douleur, ce n’est pas mieux que passer votre vie à dépendre des besoins de votre corps pour finir par une mort parfois prématurée et souvent douloureuse ? »
Personne ne dit plus rien. C’était évident. C’était ce qu’on nous avait dit : une fois qu’ils se mettent à parler, c’est trop tard. Ils peuvent convaincre n’importe qui. Nous les laissons venir à nous, sans rien dire. Nous avons déjà accepté.
Ils nous ont eus.
C’est trop tard, mais ce n’est pas si grave.
Celui qui a parlé se penche à mon oreille et d’une voix étrange, cryptée et qui m’aurait terrifiée dans d’autres circonstances, il me fait devenir comme lui.
Libre.
Pour info…
Le bruit que faisait la créature quand elle murmurait à mon oreille ressemblait très fortement à celui d’une creepypasta de Pokemon, staticmesh.wav.
Mais je vous rassure, ça n’avait rien d’effrayant (pour une fois dans un de ces rêves), j’étais même plutôt détendue à l’idée de devenir comme lui.
Je crois que je l’ai déjà lu ce rêve…
En tout cas, c’est toujours très bien raconté. J’aime bien comme au début il y a un soupçon d’espoir, mais ça devient très rapidement inutile. Puis une impression qu’il s’adresse vraiment à toi? Je pense que c’est le plus dérangeant pour moi.
Oui tu l’as déjà là parce qu’à l’époque je l’avais mis sur Facebook et que Anastasia, c’est toi, c’est le prénom que tu avais voulu que je te mette 😉
Mais c’est vrai qu’il est très dérangeant… J’en ai fait un récemment qu’il faut aussi que j’écrive avec un principe un peu similaire sur une apocalypse surnaturelle comme ça ♥
Merci d’être passée !
Très très cool !
Merciii !