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Point de Rupture, 13 : L’éclaircie

À l’abri dans la caverne, il observe la pluie qui tombe au-dehors, pensif. Cette quête, même si elle a un sens, est lourde et difficile. Cette solitude devient pesante et le village lui manque, par moments. « Mais tu es là, toi, tout proche. Alors je n’abandonnerai pas. »

 – Chapitre XXX

Lyla reste un moment en suspens, happée par le récit de Nathan. Mais celui-ci fait une pause et elle en profite pour intervenir:

— Wow, ça a dû être… tellement satisfaisant, de détruire son vernissage.

— Ça l’était, c’est clair, répond-il en retrouvant le sourire. Les quelques minutes les plus satisfaisantes de cette histoire… En plus, ça a fait la une de la presse locale à l’époque. Faudrait que je retrouve la coupure, je l’avais gardée.

— Ah bah oui, carrément!

Un silence s’ensuit, et Lyla se prépare pour la suite. Il faut qu’elle sache:

— Mais donc… quand il est rentré, est-ce qu’il t’a…?

— Peut-être qu’il aurait pu le faire, je le saurai jamais. En fait comme je t’ai dit, on venait de débloquer l’appartement avec Quentin. Et j’avais déjà commencé à faire mes affaires secrètement, j’en avais même déjà laissé là-bas. Donc j’ai foncé à la maison, j’ai pris les sacs qui restaient en vitesse et je suis parti. Je leur ai laissé mes clés dans la boîte aux lettres, j’ai bloqué leurs numéros et j’ai commencé à marcher vers l’appartement. Depuis chez mes parents, ça faisait une sacrée distance… Mais j’ai réussi, j’ai fait du stop et tout. Alors je suis arrivé dans mon nouveau chez moi et je suis plus jamais retourné là-bas.

— D’accord, alors… T’as essayé de mettre tout ça derrière toi, quoi.

— C’est ça. Et on pourrait penser que j’ai commencé à aller mieux une fois loin d’eux, mais ça a été complètement l’inverse. En vérité, c’est là que ça a empiré. J’ai pris le contrecoup de dix-neuf années à souffrir et à tout encaisser sans rien dire dans la gueule, d’un seul coup. Je me mettais à pleurer à peu près n’importe quand pour aucune raison, je faisais des crises d’angoisse… Ça m’a terrifié parce que ça m’était jamais arrivé avant, et parce que j’avais peur que Quentin s’en rende compte. Et surtout, j’avais peur d’affronter ce que je ressentais. Alors j’ai commencé à sortir tout le temps. À boire beaucoup, à fumer aussi, à prendre plein de drogues différentes… À m’accrocher à… à tous les plans cul et relations courts termes que je trouvais… J’ai un peu honte de te le dire, mais j’ai envie d’être honnête avec toi.

Lyla hoche la tête, compréhensive. Elle ne peut pas savoir ce qu’elle aurait fait à sa place.

— Quentin… il était pas dupe. Il voyait bien que je partais complètement en vrille et il a essayé de me confronter plusieurs fois, mais je faisais que de nier. Je restais seul avec ça, j’avais juste envie de tout enterrer et de passer à autre chose.

Lyla se redresse. Elle connaît bien, ça…

— Et ensuite… J’ai continué de m’enfoncer. J’étais… à bout. À bout de ce que je pouvais supporter, à bout de force, alors j’ai… j’ai complètement craqué, un soir.

Sa voix se casse et il secoue doucement la tête. Puis, sans dire un mot, il retire son bracelet et le pose à côté de lui. Il s’éclaircit la gorge et tourne son poignet, la paume de main vers le haut. Lyla comprend en une fraction de seconde.

— J’ai juste… j’ai voulu que tout s’arrête. J’arrivais plus à tenir.

Elle observe un moment cette cicatrice toute droite, d’un blanc qui détonne sur sa peau. Elle n’a plus les mots, la gorge nouée.

Il se passe la main dans les cheveux et reprend, les yeux humides:

— Heureusement… Quentin m’a trouvé à temps. Il a eu les bons gestes et il m’a sauvé la vie. Quand je suis sorti de l’hôpital, je pouvais évidemment plus nier qu’il y avait un problème, alors je lui ai tout raconté. Puis plus tard, à Setsuo, à Roman et mon pote Léo encore un peu plus tard… Et finalement, je me suis rendu compte à quel point c’était idiot de ne se confier à personne, de tout garder…

Il se tourne vers elle et a un sursaut :

— Pardon, j’ai pas du tout voulu dire ça par rapport à toi!

Elle n’y avait même pas pensé. Elle s’empresse de le rassurer:

— Non, non, t’inquiète, et… de toute façon, c’est vrai.

Il sourit faiblement et frissonne. Et, exactement comme il l’a fait pour elle un peu plus tôt, elle réajuste son plaid sur ses épaules. Il sourit, et comme si c’était ce qu’il lui fallait, il retrouve la force de continuer:

— Et donc… j’ai commencé à parler à un psy. En fait, j’en ai testé plusieurs. Pour ces choses-là, il faut écouter son instinct alors quand j’arrivais pas à me sentir complètement à l’aise, je laissais tomber. Finalement celle qui m’a convenu, c’était la femme d’un collègue des parents de Setsuo. Elle est plutôt réputée, en plus. Et elle m’a vraiment bien aidé. À coup de médocs aussi mais… je crois que des fois, on n’a pas vraiment le choix.

— C’est sûr, si c’était impossible de vivre sans…

Il acquiesce et remet son bracelet sans un mot.

— Heureusement que je l’ai eue, et que j’ai eu les gars… J’aurais jamais tenu sans eux.

Lyla se rapproche de lui pour poser sa tête sur son épaule, le cœur gros. Son histoire était tellement difficile à écouter, et elle avait l’air encore plus difficile à raconter.

— Et… du coup, aujourd’hui, ça va quand même mieux?

— Ouais. Comme tu vois, j’ai… j’ai toujours du mal à prendre confiance en moi. J’ai souvent l’impression que les gens me prennent de haut ou sont en colère contre moi pour rien. Des fois, quand j’entends un bruit brusque, j’ai encore l’impression d’être dans la salle à manger, quand mon père tapait du poing sur la table et que les verres tremblaient… Ça et quand j’entends un homme élever la voix pas loin de moi, j’ai presque l’impression de me… liquéfier. C’est tellement angoissant, et frustrant, c’est comme si j’avais pas avancé… J’ai vingt-quatre ans et pourtant des fois, j’ai encore l’impression d’être ce gosse qui va se faire hurler dessus par ses parents…

Lyla baisse la tête, peinée.

— J’imagine… Et c’est aussi pour ça que tu m’as pas parlé de tes peintures.

Il soupire, l’air encore plus triste.

— Je… j’ai vraiment du mal. J’ai toujours l’impression qu’on va me dire que j’ai aucun talent, que je devrais abandonner, que je suis pathétique là, à essayer de copier ma sœur… J’ai l’impression d’être condamné à rester ce gamin dont personne ne sera jamais fier.

Lyla pose sa main sur son bras, compatissante. Cet air éteint, cette conviction avec laquelle il l’a dit…

— Nathan… t’es tellement, tellement plus que ça…

— J’essaie…

— Non, vraiment, t’es… t’es un mec bien.

Un mec bien, comme ils te le disent tous depuis le début.

— Merci… Lyla, je… je suis tellement content que tu sois revenue.

Elle se rapproche et il la serre fort dans ses bras, le menton posé sur sa tête. Elle soupire de soulagement et ferme les yeux.

— Je suis contente de l’avoir fait…

C’est bon, c’est réparé.

Sans rien ajouter, elle se colle à lui dans le canapé, chacun sous son plaid. Elle n’est peut-être pas douée pour analyser les expressions faciales, mais là, elle a compris ce dont il avait besoin. Un peu de silence et surtout, un très long câlin. Puis… il lui faut bien ça, à elle aussi.

Elle n’avait pas ouvert ce placard depuis un sacré bout de temps.

Cela fait un moment que lorsqu’elle rentrait chez elle, elle se contentait de suspendre son manteau ou sa veste au portemanteau près de l’entrée, de déposer ses chaussures à côté sans les ranger. Mais ce placard était resté fermé tout ce temps. Et elle sait très bien pourquoi: il contient tous les cadeaux, toutes les affaires qui sont reliées de près à D. Et même si elle essayait de se convaincre du contraire, il n’était pas encore vraiment sorti de sa vie. Jusqu’à… jusqu’à N. Nathan, le seul qui mérite d’être nommé en entier.

Elle a un sourire en l’ouvrant. Une écharpe qu’il lui avait offerte. Une veste qu’il avait oubliée chez elle mais qu’elle trouvait plutôt confortable, avec ce coté oversize. Des petits mots, des bracelets divers, des babioles… Il est temps de faire le tri.

Et, une demi-heure durant, elle range, elle classe tout. Elle jette les petits mots, conserve les vêtements, met de côté quelques-unes des babioles, se demandant si elles iraient sur son étagère. Peut-être un jour leur trouverait-elle une place. Au moins maintenant, tout est trié.

Elle s’interrompt en sentant son téléphone vibrer dans sa poche. Nathan… Son visage s’illumine en lisant son nom. Depuis qu’ils se sont remis ensemble, ils sont plus proches que jamais. Il la conseille, il l’aide au quotidien, et elle se sent de mieux en mieux avec lui. Alors, bien sûr, ce n’est pas parfait. Ils ont leurs insécurités, tous les deux. Elle a toujours du mal à lui faire pleinement confiance, à se laisser aller pour de bon dans cette relation. Et lui, c’est en lui-même qu’il n’a pas confiance. Quoi de plus normal, avec son passé ? Malheureusement, il semble souvent hésitant, presque anxieux avec elle. Comme s’il avait peur qu’elle le quitte à nouveau au moindre problème, au moindre mot de travers. Et dans ces moments-là, elle le rassure comme elle le peut. Même si elle se demande si cela fonctionne vraiment, au fond…

Elle met ces mauvaises pensées de côté et ouvre son message :

J’ai retrouvé la coupure !

Elle clique sur le message, curieuse. C’est bien l’article dont il lui a parlé, avec son gros titre dans une police presque agressive. Et, en énorme, une photo de Nathan, complètement éméché, en train de boire le champagne au goulot au milieu de ce décor classieux.

« Le frère de l’artiste Laure de La Villière ruine son vernissage!»

Elle le parcourt des yeux avec un sourire en coin. L’article décrit ce qu’il lui a raconté: qu’il avait débarqué au milieu de la soirée sans invitation, avait ruiné l’ambiance en criant et en mangeant n’importe comment au buffet avant d’être sorti de force de la pièce. Puis il se terminait sur quelques interrogations sur la famille de l’artiste : les parents de La Villière négligeaient-ils leur fils comme il le prétendait, pour qu’il en soit arrivé là ? Leur famille n’était peut-être pas aussi parfaite que ce que l’on pouvait croire… Lyla sourit en tapant une réponse à son petit ami. Finalement, il avait fini par avoir son petit moment dans le journal, lui aussi. Et une deuxième fois plus tard, quand il avait embrassé Setsuo devant une foule.

Puis elle s’adosse au mur pour poursuivre la discussion, enchaînant sur quelques nouvelles. Elle lui annonce qu’elle a enfin vidé le fameux placard, il lui propose de venir à une soirée pour rencontrer son ami Léo, celui qu’il a vu l’après-midi avant leurs retrouvailles. Le courant était bien passé avec ses autres amis, alors ça ne peut que bien aller. Nathan s’entoure bien, et… il dit la même chose d’elle.

Nathan la prévient qu’il prend bientôt son service et qu’il va la laisser, mais elle a une dernière chose à lui dire. À toute vitesse, elle tape un mot pour capter son attention:

— Attends

Il répond presque instantanément. Elle soupire de soulagement et s’assoit contre le mur.

— Tu sais, c’est ce soir… Tu peux me souhaiter bon courage?

Il est toujours là…

— Mais oui, tu me l’avais dit en plus. Je suis désolé, j’avais complètement oublié… Je te laisse, mais tu peux m’appeler à minuit quand je finis mon service si tu veux. Courage, ça va le faire.

Il part travailler, mais elle est rassurée. Il pense à elle…

Puis en regardant l’heure sur son téléphone, elle ouvre de grands yeux. Déjà? Elle n’a pas vu le temps passer cet après-midi. Dire qu’ils arrivent dans vingt minutes… Si ce n’était pas chez elle, elle serait en retard à une réunion entre amis, pour la première fois depuis… Depuis toujours?

Elle s’empresse de se relever et de débarrasser l’entrée. Noémie, Rafael et Jenny. Elle doit les accueillir comme il se doit. Elle a quelque chose d’important à leur dire.

Un lourd silence s’abat sur la pièce lorsque Lyla prononce ses derniers mots d’une voix tremblante avant de s’essuyer les yeux. Puis elle prend une grande inspiration et souffle, fébrile, avant d’affronter le regard de ses amis. Ils ne disent rien, choqués.

Jusqu’à ce que…

— C’est ma faute, Lyla, je suis tellement désolée !

Elle sursaute. Jenny ?

— Non, non, pas du tout, pourquoi tu dis ça?

— Parce que… parce que si on t’avait raccompagnée avec Logan ce soir là, ça serait jamais arrivé, il aurait pas pu… On aurait dû t’attendre…

Elle ne parvient plus à parler et fond en larmes. Rafael se rapproche d’elle pour poser une main sur son épaule, puis il ouvre la bouche. Mais Noémie le devance:

— Non, Jenny, c’est pas ta faute. Ni celle de Logan, et encore moins celle de Lyla. Le seul coupable, c’est ce… cette espèce de raclure.

— Exactement. Jenny, faut pas que tu culpabilises, poursuit Rafael. Vous pouviez pas savoir ce qui allait se passer.

Lyla reste assise en tailleur sur son fauteuil, sans rien dire. Alors… ce que disait Nathan, c’était peut-être vrai… Peut-être qu’elle n’a pas provoqué tout ça, qu’elle ne l’a pas cherché?

— Est-ce que… tu tiens le coup, depuis que tes souvenirs sont remontés?

Elle se tourne vers son ami, hausse les épaules et lâche un bref soupir.

— Ouais, ça peut aller… Disons que… ça m’aide à y voir plus clair.

— Tu veux dire sur… pourquoi t’avais arrêté d’aller à la danse, pourquoi t’avais du mal à laisser Nath t’approcher, tout ça? devine Noémie.

Lyla se contente de hocher la tête. Nath… Heureusement qu’elle a réussi à le récupérer. D’ailleurs, elle ne leur en a même pas encore parlé. Elle devrait…

— Et sinon, ce mec, tu… T’as pas envie de porter plainte contre lui?

Elle regarde Rafael droit dans les yeux, surprise, et a même un léger frisson. Elle n’avait absolument pas anticipé cette question.

— Je…

— Pardon, t’es pas du tout obligée de penser à ça maintenant…

Elle secoue la tête et s’éclaircit la voix:

— Ah non, non, t’as raison de demander en soi, c’est juste que j’y avais pas du tout pensé, mais… franchement, j’en sais rien… Je sais rien de lui à part son prénom, et c’est arrivé il y a des mois, il y a pas de… preuve, ni de témoin… 

— Ouais… vu comme ça…

Lyla n’ajoute rien. À une période, elle avait lu quelques témoignages à ce sujet. Même les victimes qui avaient des preuves avaient traversé un véritable parcours du combattant pour condamner leur agresseur ne serait-ce qu’à quelques mois de prison. Alors, elle… Elle n’a pas envie d’affronter ça, et encore moins avec un dossier aussi vide. Elle sent qu’elle se ferait broyer par la machine judiciaire.

— En tout cas, quoi que tu fasses, on est là pour toi.

— Merci…

Elle touille son thé désormais froid et le termine d’une traite. Puis, alors qu’elle voit que Jenny la fixe avec insistance, elle l’interroge du regard. Celle-ci baisse les yeux et finit par souffler, d’une petite voix:

— Est-ce que tu m’autorises à parler de tout ça à Logan?

Lyla hoche la tête en reposant son mug sur la table basse.

— Oui oui, bien sûr, en fait je comptais sur toi pour le faire. Parce qu’à la fois, j’avais pas envie de raconter ça plusieurs fois, mais pas non plus envie de le raconter à trop de personnes en même temps. Je sais pas si j’en aurais été capable.

— Ah, d’accord… Ça se comprend.

Un long silence s’installe. Elle se doute que Logan va lui aussi culpabiliser de ne pas l’avoir raccompagnée, ce soir-là. Mais d’ailleurs, en y réfléchissant… ça doit être le seul soir où ils ne l’ont pas fait. Réaliser cela lui met un petit coup au cœur, même si elle tente de ne rien laisser paraître. Après tout, elle a autre chose à leur dire.

— Au fait… Quand les souvenirs sont remontés, je suis allée tout raconter à Nathan. Et depuis, on s’est remis ensemble.

Ils ne peuvent retenir un sourire en entendant la nouvelle. C’est vrai, même si Nathan et elle se sont retrouvés il y a presque deux semaines de ça, elle ne l’avait dit à personne. Ce n’est pas parce qu’elle n’était pas sûre que cela dure, mais plutôt… qu’elle avait envie d’être dans sa bulle, seule dans ce bonheur tout juste retrouvé. En revanche, de son côté, il l’a annoncé à son entourage presque immédiatement. Il semblait tellement enthousiaste, c’était trop mignon à voir.

— Et donc… ça va mieux? Il t’a parlé de sa sœur? s’enquit Noémie.

— Oui, c’est réglé tout ça.

— Alors ?

— Ben, je vais pas raconter ça à sa place, je sais pas s’il serait d’accord, mais… il a vraiment une famille de merde, et il leur parle plus depuis des années. C’est pour ça qu’il voulait prendre son temps avant de… de tout me révéler.

— Eh ben… S’ils sont toxiques, il a raison.

— Ouais, confirme Rafael. Moi aussi, j’avais dû couper les ponts avec certains membres de la famille, quand… Enfin, bref, heureusement que c’étaient pas mes parents. Perso, c’est ce que j’en pense : famille ou pas, quand c’est toxique, c’est toxique.

Lyla appuie ses propos d’un hochement de tête. Elle ne peut qu’être d’accord.

Puis elle observe ses amis à tour de rôle. L’atmosphère s’est détendue depuis qu’elle a parlé de sa remise en couple avec Nathan, sauf… pour Jenny. Les yeux humides, elle n’a prononcé pas un mot depuis quelques minutes. Lyla en ressent un mélange d’étonnement, de gêne mais… en réalité, elle n’aurait jamais cru que son récit la mettrait dans un état pareil. Elle est encore plus émotive qu’elle, qui a réussi à tout raconter presque sans flancher. Alors, peut-être que c’est en partie parce qu’elle se sent responsable de ce qui lui est arrivé mais au fond, cela la touche. Sous ses airs de fêtarde et cette carapace joyeuse, Jenny se soucie vraiment fort de ses amis.

Noémie se racle discrètement la gorge :

— Bon, en tout cas… tu sais où nous trouver si t’as besoin d’en parler.

— Merci, mais en fait… Pour en avoir discuté avec Nathan, je pense que je vais essayer de me trouver un psy. Ou une, je sais pas, peut-être que je serais plus à l’aise à discuter de ça avec une femme… Je sais pas du tout. Mais bon, dans tous les cas, je pense que ça pourrait pas me faire de mal d’essayer de traiter ça… Vous en pensez quoi ?

Rafael se penche en avant et acquiesce:

— Vu que j’ai été suivi par une psychiatre pendant des années et le bien que ça m’a fait, je peux que t’encourager à sauter le pas si tu sens que t’en as besoin.

— J’en ai jamais vu, répond ensuite Noémie, mais je pense la même chose. Ça vaut au moins le coup d’essayer.

— Et ça t’aiderait sûrement plus que d’en parler avec nous, ajoute Jenny d’une petite voix.

Lyla lui sourit avec compassion, touchée.

— Tu sais, ça m’a déjà fait du bien de vous le dire… C’est pas négligeable non plus, votre soutien.

Pour la première fois depuis la confession de Lyla, Jenny commence à reprendre des couleurs.

— Tant mieux…

Un ange passe, puis Lyla regarde son téléphone et, comme si le fait de savoir quelle heure il est avait instantanément déclenché sa fatigue, elle se met à bâiller. Ses invités comprennent le signal et commencent à se redresser doucement dans le canapé.

— Je… Désolée, je vais devoir me faire à manger et je vais pas tarder à dormir, j’ai une grosse journée demain…

— Il y a pas de problème, Lili. On va te laisser.

Tous les trois l’aident à ranger les restes de leur goûter puis, une fois les chaussures et les vestes remises, ils restent encore quelques minutes à discuter dans l’entrée, à planifier leur prochaine soirée et leur prochaine bouffe en ville. Jenny semble toujours un peu éteinte, et c’est avec un dernier regard chargé de regrets, muette, qu’elle quitte l’appartement.

Lyla referme la porte derrière elle, le cœur lourd. Elle n’a plus qu’à espérer que Logan ne le prendra pas aussi mal…

Tout en sortant ce dont elle a besoin pour cuisiner – très peu de choses en réalité, elle dicte quelques messages à son téléphone pour résumer la conversation à Nathan. Il les verra en sortant de son service, mais elle n’aura clairement pas le courage d’attendre minuit pour l’appeler, tant pis. Elle conclut sur ses inquiétudes sur l’état de Jenny, et sur la réaction potentielle de Logan, puis envoie le message.

Mais, à sa grande surprise, alors qu’elle surveille distraitement la cuisson de ses lardons sans sa poêle, elle entend déjà son téléphone vibrer. Nathan… Elle retrouve immédiatement son sourire.

— Coucou, je profite de ma pause pour te répondre. Déjà, je suis très fier de toi, c’est super que tu aies réussi à leur en parler, ça peut que te faire du bien. Et c’est super pour toi qu’ils te soutiennent, même si j’en étais sûr. Tu t’entoures bien, je te l’avais dit !

Il continue à taper tandis qu’elle verse sa dose de pâtes dans la casserole, tout en gardant un œil sur son écran. Eh bien, il en met du temps à envoyer ce message…

 Par contre, j’aimerais juste te dire un truc par rapport à Jenny, et éventuellement son copain. Ben c’est pas à toi de gérer ça. Même s’ils encaissent mal la nouvelle, t’as pas à prendre soin d’eux ni à les consoler. Ils ont la chance d’être là l’un pour l’autre pour ça. Là tout de suite, le plus important c’est toi et le chemin que t’as à faire pour aller mieux. Crois-moi, parce que je suis passé par là. Je sais ce que ça fait de se sentir coupable parce qu’un ami est triste pour toi, mais t’y peux rien, c’est pas toi qui as choisi de vivre ce que t’as vécu. Je vais pas tarder à y retourner, mais essaie de réfléchir à tout ça, OK ? Et merci de m’avoir tout raconté. On se voit très bientôt, j’espère.

Il conclut avec un cœur et elle en renvoie un tout de suite, sans y réfléchir. Elle lit et relit son message, impressionnée par sa capacité à trouver les mots justes aussi spontanément. Mais… s’il est passé par là, ça explique des choses.

Elle répondra mieux que ça plus tard. Elle est fatiguée, et une nouvelle semaine l’attend.

La vie devait bien reprendre son cours.

— Salut, est-ce qu’on peut s’appeler ?

Elle jette un regard en coin à son téléphone de temps en temps, attendant qu’il réponde. Pendant ce temps, elle organise ses cours, réécrit de vraies phrases à la place de ses notes brouillonnes du jour. Et sur son deuxième écran, qu’elle s’est procuré récemment sous les conseils de Nathan, elle regarde une vidéo qui détaille quelques astuces sur le logiciel de dessins et graphismes qu’elle utilise le plus souvent en cours.

Enfin, une réponse apparaît.

— Ouais bien sûr, je viens de finir le taf. Pourquoi? C’est grave?

Elle manque de répondre «T’as qu’à m’appeler et tu le sauras» mais se retient. Oui, elle est agacée rien qu’en repensant à tout ça, mais elle doit garder son sang-froid. Alors elle se contente de l’appeler sans répondre au SMS. Elle prend une grande inspiration.

— Hey, ça va ? C’est grave?

Il ne perd pas de temps, Morgan. Il a décroché presque tout de suite.

Elle souffle :

— Je voulais te dire quelque chose avant qu’on se revoie chez tata aux fêtes de fin d’année.

— OK, d’accord…

— Parce que j’ai pas envie de causer de dispute là-bas, donc je veux régler ça maintenant.

— Euh, tu me fais peur, qu’est-ce que…

Elle le coupe :

— Je suis toujours avec Nathan. On a eu des hauts et des bas, c’est vrai, mais on est en couple. C’est quelqu’un de bien, qui me convient et qui m’aide beaucoup au quotidien.

— Attends, je…

— Laisse-moi finir. Quand on l’a croisé la dernière fois, j’étais en pleine période de doutes avec lui, et j’ai pas su réagir. Je m’en veux encore aujourd’hui… Mais je te permettrai plus jamais de lui parler comme tu l’as fait.

Elle essaie de ne pas laisser transparaître de colère dans sa voix, mais son ton est ferme et décidé. Elle n’a jamais parlé comme ça à son cousin, même quand il leur arrivait de se disputer, enfants. Ce qui doit expliquer le blanc de quelques secondes qui s’ensuit.

Elle en profite pour poursuivre :

— Tu savais rien de lui et tu l’as jugé sur une impression. C’était gratuit, et je vais pas te cacher que tu l’as beaucoup blessé. Je sais que j’ai jamais très bien choisi mes fréquentations avant lui, ou que je suis mal tombée, mais…

Elle a un frisson. Ethan. Morgan ne sait rien de cette histoire.

Elle se reprend :

— Mais c’est pas une raison pour le cataloguer aussi vite. Il est pas comme D.

Il y a encore quelques secondes de flottement. Puis Morgan soupire:

— C’est vrai, j’ai été con. J’ai mal agi avec lui, Félix était pas du tout d’accord avec moi quand je lui ai raconté en rentrant à Éreinnes. Il m’a dit que je devrais t’en reparler, et je comptais le faire quand on se reverrait… Mais t’as raison de m’appeler, c’est mieux de régler ça avant. Maman a pas à subir ça…

Elle ne s’y attendait pas, à celle-là. Elle n’aurait jamais cru qu’il admettrait aussi vite.

— Je te l’ai pas dit mais ce week-end-là, j’étais super mal luné. On venait d’avoir une grosse embrouille dans notre groupe de potes avec Félix. Je sais que c’est pas une raison ni une excuse, mais je crois que tout ça a fini par retomber sur ton… ton copain. Ça aurait pas dû arriver, je suis désolé.

Bon, eh bien…

— OK, je te remercie de le reconnaître. Mais il y a pas qu’à moi que tu dois des excuses…

— Ouais, bien sûr. Écoute, je… je sais pas du tout quand je le recroiserai, mais en attendant, tu peux lui transmettre pour moi?

— D’accord…

Elle s’adoucit. Il a changé, on dirait…

— Dis-lui que je suis désolé de lui avoir dit ça et que notre première impression l’un de l’autre soit aussi pourrie à cause de moi. Et aussi, que j’espère qu’on pourra repartir sur de meilleures bases quand je le reverrai.

Elle hoche la tête comme s’il pouvait le voir. Ça, elle lui transmettra, il peut compter sur elle.

— Lyla, tu sais… J’ai tendance à trop m’inquiéter pour toi, à vouloir te protéger pour pas que tu… que tu sombres encore une fois. Ça me donne pas tous les droits, je le sais… Alors, si t’es bien avec ce Nathan et qu’il prend soin de toi… ben, je suis content pour toi. Et ça me soulage aussi…

Elle retrouve le sourire :

— T’as pas à t’en faire. Ça va mieux, maintenant.

Bien sûr, si on exclut le problème E… Mais elle n’est pas encore prête à en parler.

Les deux cousins concluent la conversation et Lyla raccroche, soulagée. Ça, il fallait vraiment qu’elle le fasse. Maintenant, elle n’a plus qu’à écrire à Nathan.

Tu vois ? Tu gères.

Ça y est, elle a trouvé un psychologue. Elle n’a fait que deux séances avec lui, mais il lui a été recommandé par une amie de Logan et pour l’instant, Lyla le sent bien. Il est jeune, très empathique et il lui est de bon conseil. C’est drôle, il lui rappelle un peu Roman l’ami de Nathan, aussi bien physiquement que dans l’allure, la façon de parler… En plus, Nathan lui avait bien dit que Roman avait étudié la psychologie à la fac. La coïncidence l’amuse.

Enfin, bien sûr, en deux séances, elle ne lui a pas encore discuté de beaucoup de choses. Elle s’est présentée, elle lui a parlé de sa famille, de son cercle proche d’amis, de son alternance et de son incapacité à mettre le travail de côté lorsqu’elle rentre chez elle…

Elle ne lui a pas encore parlé de E. Elle n’a pas encore le courage. Par contre, qu’est-ce qu’elle peut raconter de choses sur Nathan… Sur leurs débuts difficiles, ses manques de confiance à cause de D, puis elle a enchaîné sur le passé de son petit ami, avec son accord.

Et elle est encore là, aujourd’hui, à parler de lui, assise sur le fauteuil en face de lui dans son cabinet. Il est très lumineux, cet endroit. Elle s’y sent à l’aise. Il a un bureau en bois massif, sur lequel sont posées des tas de figurines en verre qui la fascinent. Il y a aussi un divan couleur crème au fond de la pièce, pour les séances d’hypnothérapie. Mais ce qui captive le plus le regard de Lyla à chaque fois qu’elle vient, c’est son immense bibliothèque murale. Il n’y a pas que des bouquins de psychologie. Il y a des romans, des bandes dessinées… Rien n’a été choisi au hasard. Il lui a expliqué qu’il ne sélectionnait que des histoires dans lesquels la psychologie des personnages était au cœur de l’histoire, et dans lesquels ils traversaient des épreuves réalistes auxquelles le lecteur pouvait s’identifier. Et que des fois, il lui arrivait de prêter une œuvre à un de ses patients, s’il jugeait qu’elle pouvait l’aider. Un moment, alors qu’il préparait sa facture pour la séance, Lyla avait distraitement parcouru du regard l’étage du bas et reconnu la tranche de Déjà l’aube. Définitivement, ce psychologue était fait pour elle.

Elle termine son monologue, incapable de s’arrêter ne serait-ce qu’une seconde de bouger les mains, les bras, ou de laisser son regard divaguer à gauche à droite.

— Avec tout ça, il a plein de problèmes de confiance en lui… Des fois, il me dit qu’il a l’impression que je vais le quitter à la moindre contrariété, et ça a l’air tellement pesant… Il sait sûrement que je vais pas vraiment le faire, mais il peut pas s’empêcher d’y penser. Ça me rend un peu triste pour lui… J’essaie de le rassurer, mais je sais pas si ça fonctionne vraiment. En plus, je me doute bien qu’il y a plein de moments où il doit le penser sans me le dire, pour pas me… saouler, ou je sais pas comment le dire, avec ça. Et ça m’inquiète encore plus.

Le psychologue repose son stylo et le rebouche, comme à chaque fois qu’il s’apprête à prendre la parole.

— Hm.

Ça, c’est le signe d’une tirade…

— OK, il faut que j’intervienne, déclare-t-il avec un sourire en coin.

Elle a un rire nerveux. Qu’est-ce qu’il va bien pouvoir lui dire ?

— Vous n’êtes pas la psychologue de votre petit ami.

Elle s’apprête à protester, mais déjà il enchaîne :

— Il a ses insécurités, c’est évident, et c’est tout à fait normal avec le vécu que vous me décrivez. Mais ce n’est pas à vous de le guérir. C’est très bien que vous communiquiez. Ça avait pas l’air d’être le cas, avant, de ce que vous m’avez dit.

— Ça, c’est sûr…

— Donc il y a du progrès. Vous vous parlez de vos craintes, de vos doutes, et c’est déjà plus sain que de ne rien dire. Mais vous ne pouvez pas vous guérir l’un et l’autre. C’est un travail que vous devez faire chacun de votre côté. Vous, vous le faites en partie avec moi, et de votre côté en dehors des séances. Vous le faites en vous confiant à vos proches, en réfléchissant de votre côté… Mais lui, il ne doit pas le faire exclusivement avec vous.

— Ben, oui, mais en même temps je peux pas non plus rester les bras croisés, répond-elle, sur la défensive. Surtout que lui, il fait toujours tout pour me rassurer, me remonter le moral, alors… ce serait pas juste de le regarder souffrir sans rien faire.

— Bien sûr, je ne vous dis pas de ne plus rien faire. Vous êtes sa petite amie, c’est normal de le soutenir, de vouloir l’aider… Mais concernant ses angoisses, sa peur de ne pas être assez bien pour vous, de se faire plaquer à tout moment, c’est bien plus profond. Ça relève de plusieurs traumatismes qu’il a vécus durant son enfance et son adolescence. Alors… tant qu’il ne fera pas un vrai travail en profondeur là-dessus, tout ce que vous pourrez faire, c’est le rassurer sur du très court terme. Vous allez lui dire que vous ne voulez pas le quitter, et l’heure d’après… vous allez mettre plus de temps que d’habitude à répondre à un message, ou alors, vous allez mettre un peu moins d’enthousiasme dedans, pour une raison ou une autre. Et qu’est-ce qu’il va faire? Il va recommencer à cogiter immédiatement. Il va peut-être oser vous en parler, peut-être pas. Mais dans tous les cas, ça sera là, dans sa tête. Et vous ne pouvez pas vous permettre de consacrer toute votre énergie à ça. Vous comprenez ce que je veux dire ?

Lyla reste muette. En effet, vu comme ça…

— Dans le meilleur des cas… Non, attendez, il n’y a pas de meilleur des cas. Dans le pire des cas, il s’habituera à ce que vous le rassuriez et se reposera en permanence sur vous. Dans l’autre pire de cas, il se rendra compte que ça vous pèse et culpabilisera tellement qu’il arrêtera de se confier. Donc, soit vous serez complètement épuisée, soit il sera en permanence angoissé dans votre relation. Et je ne vous le souhaite pas…

Elle baisse les yeux, méditant ses paroles.

— Alors… je dois faire quoi?

— Eh bien, je pense que vous devriez l’encourager à travailler sur tout ça sans vous.

— Ça… il devrait le comprendre. Il voyait une psychiatre, avant. Et il m’a déjà dit qu’il avait envie de recommencer les séances. Elle l’aidait bien, apparemment… Mais il a arrêté de la voir trop tôt, quand ça commençait tout juste à aller mieux.

— Oui, je vois… L’erreur que beaucoup de gens font. Il y en a pour qui ça fonctionne à peu près, et d’autres qui finissent par replonger dans leur dépression ou leurs angoisses. Mais en effet, s’il en a déjà vu une, et qu’il se rend bien compte qu’il… retombe dans ses travers, si on peut dire, il devrait sauter le pas de lui-même. Même si bien sûr, vous pouvez aborder le sujet avec lui en douceur et voir si ça l’aide à se décider.

Lyla acquiesce. Si elle l’encourage elle aussi à revoir sa psychiatre, comme le font déjà ses amis, elle ne doute pas qu’il l’écoutera et y retournera pour de bon.

— Je vois… Mais j’aimerais quand même faire quelque chose d’autre pour lui. Sans y mettre toute mon énergie, juste… pour lui témoigner mon soutien. Un cadeau, peut-être… Je sais pas trop…

Elle ne sait pas trop encore, mais pourtant, alors qu’elle prononce ces mots, une idée commence tout juste à germer dans son esprit. Il faut la laisser mûrir.

— Ce serait tout à votre honneur. Si jamais vous trouvez quelque chose, vous m’en parlerez?

— Oui, bien sûr.

Il sourit et note encore quelques phrases. Puis, alors qu’un silence s’installe, Lyla se demande s’il n’est pas temps d’aborder le sujet… E.

— Bon, on va s’arrêter là pour aujourd’hui, c’est l’heure…

Déjà ? Elle n’a pas du tout vu le temps passer. Mais bon, ce n’est peut-être pas plus mal. Est-ce qu’elle était vraiment prête à en parler, là maintenant?

— Vous souhaitez toujours poursuivre les séances avec moi?

— Oui oui, bien sûr, on peut reprendre un rendez-vous… Attendez, j’ai mon planning sur mon téléphone.

Alors qu’elle s’apprête à le sortir, il l’interrompt:

— Écoutez, dans ce cas… J’aimerais bien que vous fassiez quelque chose, à notre prochaine séance.

Elle relève la tête, curieuse.

— C’est-à-dire ?

— J’aimerais que vous me parliez un peu moins de lui, et un peu plus de vous.

Encore ce petit sourire en coin. Elle a le même rire nerveux que tout à l’heure. Il a bien compris qu’elle cherchait à retarder une confession importante, en déblatérant sans cesse sur les problèmes de Nathan. Il ne fait pas ce métier pour rien, après tout.

— Je vais essayer…

— Je suis sûr que vous pouvez le faire.

Il prend une dernière note et comme à chaque fois, il pousse son dossier sur le côté sans le fermer pour laisser l’encre sécher. Puis elle règle la séance tandis qu’il accorde leurs deux emplois du temps pour un futur rendez-vous, et elle quitte son cabinet après une poignée de main chaleureuse.

Une fois à l’air libre, elle frissonne et referme précipitamment sa veste. La tête lui tourne. C’est lourd, tout ça. Se mettre à nu, parler de sa vie à un parfait inconnu… Même s’il est de bon conseil, et même s’il arrive toujours à trouver les mots pour l’apaiser ou l’éclairer dans ses questionnements, c’est… assez difficile. Sans doute parce que cela l’oblige à se confronter à beaucoup de choses, des choses qu’elle planquait dans un coin de sa tête. De la poussière sous le tapis, comme dirait Nathan.

Elle sourit, la tête basse, tout en évitant de marcher sur les lignes au sol pour se rendre au tramway.

Nathan…

C’est lui qui a déclenché tout ça. C’est grâce à lui qu’elle s’est rendu compte de tout ce qu’elle refoulait, grâce à lui qu’elle a compris l’origine de ces angoisses qu’elle croyait irrationnelles et infondées. Il y avait bien quelque chose, depuis le début. Et c’est difficile de s’y confronter, c’est vrai, mais au fond…

Elle relève soudainement la tête pour admirer les bâtiments en face d’elle, magnifiquement éclairés par les derniers rayons de soleil de cette journée de fin d’automne. Déjà le crépuscule…

Elle sourit, puis recommence à marcher, pressant un peu plus le pas.

Au fond, elle sait que ça vaut le coup.

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