Elle n’est plus très loin du but, elle le sent. Pourtant… il reste encore quelques épreuves à traverser. Et il y a cette drôle d’atmosphère dans l’air, comme si une tempête se préparait.
– Chapitre XXXVI
Il a été très occupé ces derniers temps. Entre ses recherches d’appartement, son travail au bar toujours aussi prenant, et Lyla… Lyla. Voilà un mois et demi qu’ils se sont remis ensemble, et il s’en est passé des choses…
Elle a commencé à voir un psychologue qui semble lui convenir. Et lui, il a refait deux séances avec la sienne. Enfin, il a réalisé à quel point il en avait besoin. Il l’a réalisé rien qu’en entrant dans la salle d’attente, dont la décoration avait changé depuis la dernière fois, quand son cœur a accéléré juste parce qu’il a cru reconnaître une toile de sa sœur au mur. Tout ça est loin d’être derrière lui… Mais au moins, il a fait le plus dur, comme dirait Roman. Admettre le problème, chercher une solution. Il n’y a plus qu’à continuer.
Quant à son couple… Même si chacun y met du sien, c’est encore un peu compliqué entre eux. Il a du mal à arrêter de fumer pour l’instant. Il essaie, mais dès qu’il parvient à miraculeusement dépasser la barre des trois jours de sevrage, il devient stressé et irritable. Alors il tente de n’en prendre qu’une… ou deux, ou trois. De préférence quand elle n’est pas là, et elle l’en remercie sincèrement. Mais ça reste difficile.
Il essaie également de ne pas l’oppresser avec ses questions, ses doutes, toutes les fois où il a l’impression qu’elle est fâchée contre lui, qu’il l’a vexée d’une manière ou d’une autre ou pire, qu’elle s’apprête à le quitter pour x ou y raison, une raison qui paraît toujours si futile avec le recul. C’est épuisant, de vivre comme ça. Et comme ses amis et elle le lui ont si bien dit, c’est exactement ce pour quoi il devait retourner en thérapie.
Et Lyla… Lyla, ça va à peu près. Disons qu’elle a mis à plat ses inquiétudes d’une traite. Elle lui a explicitement demandé si elle pouvait lui poser toutes les questions qui la rongeaient, histoire d’être tranquille ensuite.
Est-ce que t’as supprimé Dinter ? Pourquoi est-ce que tu dors toujours avec ton téléphone face contre la table de nuit? Désolée, c’est juste que c’est tellement cliché, dans les films et tout… Est-ce qu’il y a toujours des clients qui te draguent ?
C’était vrai, ça faisait beaucoup d’un coup. Mais elle n’avait pas menti. Une fois les réponses données, elle n’avait plus du tout posé de questions de ce genre, et elle paraissait plus détendue depuis. Oui, il avait supprimé l’application de rencontre. En réalité, il l’avait fait des semaines plus tôt, peu de temps après leur premier baiser. Concernant son téléphone, il possédait une fonctionnalité qui le mettait automatiquement en silencieux dès qu’il se trouvait posé l’écran contre une surface plane, ce qui était bien pratique pour dormir en paix. Et pour les clients, si c’était déjà rare lorsqu’il n’était encore qu’un barman inexpérimenté, cela l’est encore plus aujourd’hui. Il n’a jamais accepté les avances d’aucun d’entre eux, et les habitués le savent. Alors il a la paix depuis longtemps.
Ces questions auraient peut-être paru pénibles aux yeux de beaucoup de gens, mais pas pour Nathan. Cela l’avait même soulagé, en réalité. C’était la preuve que Lyla et lui parvenaient enfin à communiquer leurs craintes, leurs doutes… C’était, pour lui, le signe que leur relation allait enfin avancer dans le bon sens.
— J’aurais tellement dû te demander tout ça plus tôt… Surtout que c’est tout con, surtout pour le téléphone… Enfin, merci… Nath.
Et sur ces mots, elle l’avait embrassé. Un vrai baiser, pas comme ceux qu’elle se forçait à lui rendre quand l’odeur de la cigarette la gênait et qu’elle ne parvenait ni à le lui dire, ni à se l’avouer à elle-même.
Elle était rassurée, donc. Mais il s’était demandé s’il ne devait pas aller encore plus loin, et avait même posé la question à Roman :
— Tu crois pas que je devrais indiquer que je suis en couple sur mon compte Instar ? Elle a peut-être peur que je me fasse draguer là-dessus aussi… En fait, je devrais peut-être juste lui donner mon code de déverrouillage, comme ça elle pourrait être sûre qu’elle peut me faire confiance, non ?
Roman avait levé un sourcil, circonspect :
— C’est bon, n’en fais pas trop… T’as répondu à toutes ses questions, elle retrouve confiance en toi et tout… Le reste, c’est plus de ton ressort, mec. Surtout que désolé, mais je trouve ça un peu intrusif pour le téléphone. Enfin, les gens font comme ils veulent, mais bon… T’as quand même le droit de pas tout lui dire de ta vie. Imagine si un de nous t’envoyait un message super perso, ce serait pas cool qu’elle puisse tomber dessus.
Finalement, Nathan était d’accord avec lui. Il ne devait pas aller trop loin. Surtout que Lyla ne lui avait même pas demandé de faire tout ça. Enfin, leur relation repart sur de bien meilleures bases, et…
Vibreur, message de Lyla. Il a immédiatement le sourire :
— Bon courage, je pense fort à toi.
C’est vrai, la période des fêtes de fin d’année… Noël, quand on n’a pas de famille à voir, ce n’est pas la même chose. C’est la cinquième année consécutive qu’il restera seul à l’appartement. Ses amis, à part Setsuo qui se rend toujours dans son pays d’origine, lui ont pourtant déjà proposé de le célébrer avec eux dans leur famille, mais il n’a jamais accepté. Il a peur de ne pas s’y sentir à sa place et, de toute façon, il s’est habitué à cette solitude. Le bar ferme sur ces deux jours et il peut juste rester chez lui, en survêtement, à s’abrutir de séries et de films d’horreur avec des pop-corns et des pizzas faites maison. La belle vie, finalement, contrairement à ce qu’ont l’air de penser ses proches. C’est infiniment mieux que ces dîners de famille pompeux avec ses cousins et cousines aussi détestables que sa sœur, à recevoir bien moins de cadeaux qu’elle, sous l’œil méprisant de ses parents qui se targuaient toujours d’un « tu n’avais qu’à remonter tes notes ».
Non, il est définitivement mieux seul. Puis ce n’est jamais que deux petits jours par an.
— Merci, mais t’inquiète pas pour moi. Profite bien, toi. Et merci encore pour le cadeau !
Juste avant de partir chez sa tante, Lyla lui a offert un magnifique carnet à aquarelles. Elle avait remarqué qu’il était bientôt au bout du sien et avait opté pour un cadeau utile, ne connaissant pas encore assez bien ses goûts en dehors de la peinture. Mais tout est parfait, bien évidemment. Le carnet est magnifique et de très bonne qualité : solide, un papier de bonne facture… Noire, la couverture est parcourue de gravures dorées qui tracent la forme d’un panda roux endormi sur une branche au milieu des feuilles. Il avait juste mentionné l’ailuridé lorsqu’ils avaient parlé des animaux qu’ils trouvaient les plus beaux, quelques semaines plus tôt. Cette information ne s’était visiblement pas perdue en route… Et elle ne s’est vraiment pas moquée de lui. Et ce, alors qu’il ne lui avait même pas encore montré ses peintures, trop honteux encore pour franchir le pas.
Et en plus de cela, lui… il n’a pas encore de cadeau pour elle. Ayant perdu l’habitude de fêter Noël, il n’achète jamais rien à personne pendant cette période et a demandé explicitement à ses amis de ne rien lui offrir non plus, préférant les anniversaires pour cela. Bon, Setsuo ne peut jamais s’empêcher de lui ramener un énorme sac de friandises japonaises, mais c’est l’exception. Alors il s’était retrouvé démuni devant son cadeau, et s’était juré d’écumer les magasins entre les fêtes pour lui dégoter quelque chose.
Il le faut, il faut qu’il lui prouve qu’il tient à elle. Il ne sait pas s’il peut déjà prononcer le mot « amoureux », mais il n’a jamais autant tenu à un ou une petite amie. Cette fille… elle est formidable. Elle a affronté ses démons pour lui, elle n’a pas frémi à l’idée de déclencher une grosse embrouille avec son cousin pour lui…
Alors tant pis, s’il le faut, j’irai. Je traverserai cette eau glaciale, à la nage dans le mistral, cette forêt entière, pieds nus et sans lumière. J’irai jusqu’au bout pour toi, toute la nuit s’il le faut. Jusqu’à l’aube.
⁂
Ça y est, il a trouvé un cadeau. La période de Noël est vraiment la pire pour faire des achats, sans surprise. Et dire qu’en plus de ça, il a attendu le dernier jour de l’année pour faire ses emplettes… C’était un vrai cauchemar. Mais au moins, c’est terminé.
Et ce qu’il a déniché devrait lui plaire. L’auteur de Déjà l’aube a sorti un nouveau roman, son deuxième, il y a seulement dix jours de cela. Il ne pense pas que Lyla soit au courant. Comme le premier est paru il y a des années déjà et que l’auteur ne semblait pas décidé à écrire quoi que ce soit d’autre, elle n’a pas pensé à chercher sur Internet ni à écumer les librairies. Alors il l’a acheté, et il réfléchit déjà au petit mot qu’il va écrire pour elle tout au début, ou… tout à la fin, pour la surprendre.
Et il a pris un autre livre… Un livre de recettes. Ça, c’est plus pour lui faire une blague, pour lui offrir juste avant le roman. La connaissant, elle devrait bien le prendre. Après… si ça peut l’inspirer pour de bon et la sortir de sa zone de confort pâtes-riz-surgelés, c’est encore mieux.
Tout en songeant à cela, il jette un œil à l’intérieur de son tote bag, un léger sourire flottant sur ses lèvres. Il espère que cela lui fera plaisir… Il le saura très bientôt. Elle est rentrée de chez sa tante pour le Nouvel An, qu’ils vont fêter ce soir avec leurs amis dans l’appartement de Setsuo. Il va bien réussir à s’isoler un peu avec elle pour lui offrir ses cadeaux.
Il sort de la librairie et fourre son ticket de caisse dans sa poche. Plus qu’à rentrer, les emballer et se préparer pour la soirée.
⁂
Il a sorti son téléphone pour patienter à un feu rouge et le garde en main depuis, pour tout le reste du trajet. Absorbé, il ne relève que brièvement la tête de temps en temps pour ne pas percuter quelque chose ou quelqu’un. Et voilà, il est déjà dans la cour de son immeuble. Plus qu’à sortir ses clés, faire badger la porte, remonter se mettre bien au chaud, et…
— Nathan ?
Il tressaille et écarquille les yeux.
Il n’a pas entendu cette voix depuis si longtemps. Depuis cinq ans et un mois, pour être exact. Pourtant, il la reconnaît immédiatement et aussitôt, son estomac se noue et une boule se forme dans sa gorge, comme s’il retrouvait ses instincts en un claquement de doigts. Il ne se retourne pas, baisse le bras. Ne montre pas que tu trembles.
— Nathan… c’est bien toi ?
La deuxième voix, bien évidemment. Il déglutit difficilement et s’efforce de se retourner, en gardant d’abord les yeux fermés et la tête légèrement baissée. Puis il la redresse, souffle un coup. Il affronte leurs regards. Il n’y avait pas de doute. Mais c’est sûr et certain, maintenant.
C’est étrange. Lui… Il le voyait bien plus grand, dans ses souvenirs. Est-ce qu’il a perdu quelques centimètres en vieillissant, ou bien…?
Non, il m’a toujours paru bien plus grand parce qu’il me terrifiait. C’est juste ça.
Il cligne plusieurs fois des yeux pour se reprendre :
— Qu’est-ce que vous faites là ?
C’est la première chose qui est sortie, mais il a tellement d’autres questions.
Comment vous m’avez retrouvé ? Qu’est-ce que vous voulez ? Pourquoi maintenant ?
C’est elle qui s’avance en premier et alors qu’il la regarde vraiment, il est surpris par son expression. Et lui… il fait la même tête à peu de choses près. Est-ce que c’est… de la colère ? Non… De l’inquiétude, du soulagement ? De la… peine ? Il ne les a jamais vus comme ça, c’est dur à dire.
— On voudrait te parler… Est-ce qu’on peut monter chez toi ?
— Non.
Aucune réflexion, direct. Et il n’a ni envie de se justifier, ni de dire quoi que ce soir d’autre. Il l’a déstabilisée mais lui, ça ne l’arrête pas.
— On peut aller dans un café, alors ?
Un café. Un lieu public… Il serre l’anse du tote bag un peu plus fort.
— Hm. Ouais. Dans un café, OK.
Il ne sait pas pourquoi il a dit ça. Il est tendu à bloc et il n’a qu’une envie, appuyer ce foutu badge contre la porte, monter les quatre étages et se réfugier dans son appartement avec un bon thé, tout en se préparant tranquillement pour sa soirée. Oublier tout ça…
Mais non, il vient de s’engager là-dedans. Il l’impression de ne plus être maître de son corps, de ne rien comprendre à ce qui se passe. Et pourtant, c’est bien lui qui vient de dire « OK ». Comme un con.
— Est-ce que tu en connais un… par ici ? Qui serait tranquille ?
Il la regarde en coin. Elle est nerveuse, peut-être autant que lui… Non, pas autant que lui. Ça, c’est impossible. Il réfléchit à toute vitesse.
— Oui. Vous… vous avez qu’à me suivre.
Il se retourne pour sortir de la cour et se remet à marcher, comme un fantôme. Le ventre qui se tord, le cœur qui bat trop vite. Il pourrait encore tourner les talons, courir, les bousculer ou les contourner, retourner à l’appartement… Mais il ne fait rien de tout ça. Il les guide, dans un silence de mort, jusqu’à un petit café de son quartier non loin de là.
C’est un peu cher, mais les tables sont bien éloignées les unes des autres et il y a peu de circulation autour. À quelques heures du Nouvel An, il ne devrait pas y avoir grand monde.
Les lieux ne sont pas très éclairés et comme il l’avait prédit, c’est quasiment désert. Après tout, ils ferment dans trente minutes. C’est parfait. Tous les trois s’asseyent à une table au fond, eux deux en face de lui sur la banquette. Et soudainement, comme si le fait d’être assis avait changé quoi que ce soit, il réalise où il est. Dans un café. Avec Christelle et Christopher de La putain de Villière, ses parents. Ceux-là mêmes qui ont détruit sa vie.
Ils ne disent rien. Nathan est plus anxieux que jamais et regarde au sol, prenant une éternité pour caler son tote bag à ses pieds, comme si cela avait la moindre importance. Mais ils ne sont pas en reste. Elle tripote nerveusement son sac à main et lui, sa montre suisse et sa bague.
Ils font tout pour retarder le moment où leurs regards devront se croiser.
Ils restent un instant ainsi, dans un lourd silence interrompu par quelques raclements de gorge et frottements de chaises sur le parquet, jusqu’à ce qu’un serveur arrive. Le sauveur. Ils prennent tous deux un café mais quand c’est au tour de Nathan de commander, les mots sont comme bloqués dans sa gorge.
— Monsieur ? Vous voulez que je repasse ?
Il sort de sa transe.
— Non, c’est pas la peine. Je vais… je vais prendre votre cocktail le plus chargé.
L’employé semble surpris un moment mais s’efforce de retrouver son air impassible. Très professionnel. Le léger sursaut de ses parents ne lui a pas échappé non plus.
— Très bien. Mais je vous préviens, il est vraiment fort. C’est un shooter qu’on adapte en cocktail, et il est à base de whisky…
— C’est parfait.
Il déteste le whisky.
Il se met à tapoter des doigts sur la table. Qu’est-ce qu’il a envie de griller une cigarette, là tout de suite… Mais ils sont assis à l’intérieur et de toute façon, comme il essaie d’arrêter, il a laissé le paquet à l’appartement. Tant pis.
— Nathan…?
Il a presque un sursaut, comme s’il avait oublié leur présence, et regarde sa mère sans mot dire. Elle continue :
— Comment… comment est-ce que tu vas ?
Il ne dit toujours rien. Il réfléchit. Et il a beau réfléchir, essayer de se souvenir de toutes ses forces, il croit bien que c’est la première fois que l’un d’entre eux lui pose cette question. Alors il n’a même pas envie de répondre. Il attaque :
— Comment vous m’avez retrouvé ?
— On a… On a engagé un détective privé. Ça a été rapide…
Rapide. Rapide, mais ça fait cinq ans qu’il est parti. Alors pourquoi maintenant ?
— Tu es… barman, c’est ça ? Est-ce que… tu t’en sors, financièrement ?
Il la regarde un moment, à la fois étonné et sur la défensive. Il se demande pourquoi elle lui pose cette question, mais il a une petite idée. Quand il est parti, ses parents ne savaient même pas qu’il travaillait déjà. Alors ils se sont probablement targués du fait qu’il allait revenir à la maison tôt ou tard, pour l’argent. Et qu’à ce moment-là, il recevrait la punition de sa vie, pour le vernissage et pour la fugue. Mais ça n’est jamais arrivé et au fond, il ne peut s’empêcher de penser qu’il les a blessés dans leur ego en leur montrant qu’il n’avait pas besoin de leur fortune pour s’en sortir.
— Oui. J’ai pas à me plaindre.
Elle acquiesce et baisse les yeux, l’air presque… c’est quoi ça, encore ? De la… culpabilité ? C’est impossible…
Il n’a pas le temps d’y réfléchir plus longtemps, le serveur revient avec leurs commandes et s’éloigne. Nathan s’occupe les mains en touillant la mixture. Rien qu’à l’odeur, il le croit, quand il dit que c’est fort.
— Nathan, on…
Il ne peut s’empêcher de tressaillir dès que la voix de son père résonne. Et il déteste l’idée qu’il puisse s’en rendre compte. Il ramène son bras gauche sous la table au cas où il se couvrirait de chair de poule et relève les yeux vers lui.
— On voulait te dire qu’on…
Qu’on quoi…? Il est suspendu à ses lèvres et il se déteste pour ça. Mais c’est plus fort que lui. Est-ce qu’il va s’excuser…?
— On est rassurés de t’avoir retrouvé. Et… reconnaissants que tu aies accepté de nous parler.
Il relâche les épaules. À quoi tu t’attendais… Il prend une gorgée de son cocktail et ne peut retenir une brève grimace. Ah oui, ils ne plaisantent pas ici. Chargé, c’est chargé. Puis il s’essuie les lèvres d’un revers de main. Que dire…
— Tu ne la portes plus…
Pendant un instant, il se demande de quoi sa mère parle, avant de s’apercevoir qu’ils ont tous les deux les yeux rivés sur sa main gauche. La chevalière familiale. Celle qu’il a reçue le jour de ses dix-huit ans et qu’il était supposé porter à son auriculaire, sans jamais la retirer. On se fait enterrer avec ou rien.
— Non, lâche-t-il simplement.
— Mais… tu l’as toujours, quelque part ?
Il a envie de dire qu’il l’a jetée. Ou tordue avec une pince, écrasée avec un marteau, n’importe quoi… Il a envie de dire ce qui pourra le plus les blesser. Mais la vérité, c’est que…
— Oui. Dans un tiroir, chez moi.
Sa mère hoche la tête, l’air… soulagé, cette fois ? Décidément, que d’expressions qu’il n’avait encore jamais vues sur leurs visages.
— C’est pas pour autant que j’ai envie de la remettre, ajoute-t-il d’un ton cinglant.
Elle accuse le coup. Elle devait s’y attendre. Il jette un œil à la sienne. En argent pour les membres directs de la famille, à l’annulaire pour l’aîné, l’auriculaire pour les autres. Gravée d’une épée à laquelle est accroché un ruban qui flotte au vent, le tout devant un quartier de lune renversé pointes vers le haut. Tant de détails sur un si petit objet. Et celle de son père. La même, en noire. C’est comme ça, pour les hommes qui rejoignent la famille par le mariage. Noire pour les hommes, blanche pour les femmes. Esthétiquement, il ne peut pas dire qu’il ne l’aime pas. Pour tout ce qu’elle représente, en revanche…
Bon, cette fois, c’est fini de reporter. Il veut en finir avec cette discussion.
— Pourquoi maintenant ?
Sa mère triture sa tasse, et son père prend une gorgée de la sienne. Est-ce qu’ils seraient en train de fuir sa question ? C’est finalement elle qui prend la parole :
— C’est ta sœur… Elle va se marier.
Il ne peut s’empêcher de lâcher un rire.
— Quoi ? Mais… quel rapport ?
Il cligne plusieurs fois des yeux. C’est bon. Relax. C’est un rêve. C’est pas réel. Puis il reprend une grande gorgée de son verre et manque presque de s’étouffer.
Ah non, c’est pas un rêve.
— C’est juste que… ça nous a fait réfléchir. Elle veut faire des enfants avec son fiancé, alors… La famille va bientôt s’agrandir, et…
Cette boule dans sa gorge se transforme en boule de rage. Sa sœur. Encore et toujours sa sœur. Même quand elle n’est pas là, même quand il ne l’a pas vue depuis cinq ans, elle arrive encore à prendre toute la place.
— Et quoi ? Et vous vous êtes soudainement rappelés que vous aviez un fils ? Oh, au fait, il est passé où l’autre raté pas désiré, là ? Il est pas mort ? Oh, non, on aurait été prévenus, et on aurait quand même fait le déplacement pour lâcher une petite fleur sur son cercueil ! C’est la moindre des choses, pas vrai ?
La violence dans sa voix et ses propos les fait reculer dans leur siège et en voyant leurs yeux s’écarquiller, il jubile presque. Ils ne s’attendaient pas à ça.
— Mais non, Nathan, enfin…
La voix de sa mère a faibli, et son père lui prend la main sur la table. Il fixe leurs mains un moment sans mot dire, confus. En y réfléchissant bien, c’est aussi la première fois qu’ils ont ce genre de geste devant lui. Devant lui, il n’y avait pas d’amour… et encore moins pour lui.
Son père est nerveux, et se passe la main dans les cheveux. Il sait de qui il tient ça, maintenant. Splendide. Mais les siens… ils ont grisonné, depuis.
— Écoute, Nathan… Ta mère et moi, on sait qu’on a été… On a été un peu durs avec toi, à l’époque.
C’est comme si une tonne s’abattait brusquement sur ses épaules. Il bat des paupières pour empêcher les larmes de monter et d’une voix tremblante malgré lui, il répond, incrédule :
— Un peu… Un peu durs ?
Il ne peut retenir un rire sarcastique.
— Mais vous réalisez pas ce que vous m’avez fait, en fait ?
Tant pis pour la pudeur. Il ne veut pas les ménager.
— OK, un peu durs ? J’ai passé trois ans en dépression dont deux sous médocs. Je suis insomniaque chronique, toujours dépressif par périodes, j’ai encore des crises d’angoisse, j’ai aucune confiance en moi. Vous avez pas la moindre idée du temps qu’il m’a fallu pour m’en sortir, pour passer ne serait-ce qu’une journée sans m’effondrer en larmes !
Un silence plane pendant un long moment. Ils sont blêmes et ont le regard fixe.
— Nathan, on n’a jamais voulu ça…
— J’ai fait une tentative de suicide.
C’est la phrase de trop pour eux. Sa mère porte ses mains à sa bouche, choquée, et son père a une sorte de frisson.
— Alors, vous avez été un peu durs avec moi ? Et moi, je suis trop sensible, c’est ça ?
Il boit une autre gorgée de mon cocktail pour ne pas leur montrer qu’il est déjà au bord des larmes. Finalement, c’est son père qui reprend contenance le plus rapidement. Il soupire et touille son café sans y toucher.
— On n’a jamais voulu ça, vraiment…
— Hm.
Qu’est-ce qu’il peut dire ? Ils ne vont pas s’excuser, il le sent bien. Et il aurait dû s’y attendre.
— Pourquoi t’as dit que vous étiez rassurés de m’avoir trouvé ?
Sa mère renifle et reprend du café avant de soupirer à son tour :
— On se demandait si… Enfin, ce que tu devenais. Si tu t’en sortais financièrement, quelle vie tu pouvais mener… Et comme tu es parti sans argent, sans rien, on se demandait si tu n’avais pas…
— Si j’avais pas quoi ?
— Vécu sous les ponts, ou quelque chose comme ça…
Il a encore un rire nerveux. C’est bien eux, ça…
— Ah oui, ça aurait fait tache sur le tableau familial des de La Villière, hein ?
Ils ne répondent rien, mais il sent qu’il les a blessés. Chacun son tour, après tout.
— Non, je suis pas parti sans rien. Quand j’ai quitté la maison, j’avais déjà mon job au bar depuis quelques mois, et je venais d’avoir mon premier appart’ en coloc avec Quentin.
Ça a l’air de les étonner mais il le serait sûrement aussi, à leur place. Après tout, il a réussi à trouver un mi-temps à tout juste dix-huit ans, alors qu’il était encore étudiant en droit et surtout, qu’il vivait encore chez eux, le tout sans qu’ils s’aperçoivent de rien. Ils devaient penser que s’il découchait aussi souvent, c’était qu’il devait faire la fête à outrance, ou quelque chose du genre. En réalité, il travaillait d’arrache-pied – encore plus une fois la rentrée venue, et dormait chez des potes de la fac, passant de canapé en canapé, ou rentrait en stop en pleine nuit. Heureusement qu’il avait réussi à avoir cet appartement.
Ils hochent la tête sans rien dire. Et encore une fois, il ne sait comment interpréter leur expression faciale.
— Je comprends pas. Si ça vous inquiétait tant que ça, l’idée que je vive sous les ponts, pourquoi vous m’avez pas cherché plus tôt ?
— Au début on était encore… en colère contre toi, par rapport au vernissage…
Décidément, combien de rires sarcastiques aura-t-il lâchés. Il en avait presque oublié ce détail.
— Et ensuite, tu… tu es apparu dans un journal, et on s’est dit que tu devais… aller bien.
Un journal…? Oh, ils parlent sans doute de la fois où il a embrassé Setsuo devant la foule de manifestants. Non, ils ne font définitivement pas référence à son apparition dans la presse spécialisée sur l’art, le jour où il avait ruiné le vernissage de Laure.
— Nathan, est-ce que… tu aimes les hommes ?
Il le regarde dans les yeux, sincèrement étonné. Il se préoccupe vraiment de ça ? Nathan tapote son verre et soupire, las. En effet, il n’a pas perdu le Nord.
— Oui. Mais j’aime les femmes aussi. J’aime les deux.
Durant un bref instant, le visage de Lyla lui vient en tête, et il retrouve un semblant de sourire. Lyla… Quand tout ça sera terminé, il sera avec elle. Ce soir. Tiens bon.
Il relève la tête et perd son sourire en voyant le visage de son père. Bien sûr.
— Quoi, ça te convient pas, ça non plus ? Ça te dégoûte, c’est ça ? Si tu l’avais su à l’époque, tu m’aurais engueulé pour ça aussi ?
— Nathan, s’il te plaît…, tente sa mère.
— Quoi ? J’ai le droit de poser la question, non ? J’ai passé mon enfance, mon adolescence à me faire gueuler dessus pour tout et n’importe quoi. À entendre que je vous faisais honte, que j’étais le fils raté, alors… si j’avais été gay ou bi en prime, j’imagine même pas. Ouais, c’est pas un truc que je peux choisir ni contrôler, mais quelle honte, quand même… Alors, vous auriez fait quoi ? Une petite thérapie de conversion et on n’en parle plus ?
— Nathan, est-ce qu’on peut…
— Et si ça avait été Laure, qui avait été lesbienne ou bi, vous auriez dit quoi ? Qu’elle vous décevait, elle aussi ? Ou si c’est elle, ça va ?
— Ta sœur va se marier avec son fiancé alors ce n’est pas la question, le coupe son père, agacé. Elle n’est pas…
— Oh, vas-y, dis-moi ? Elle est pas quoi ? Déviante, malade ?
Ce sujet tape vraiment sur les nerfs de son père. Mais contre toute attente, Nathan s’amuse de le voir si en colère. Pour la première fois, il a le dessus. Ses parents ne voudront pas faire un scandale ici, alors il va devoir se calmer.
— Nathan, s’il te plaît, on n’est pas là pour parler de ça, soupire ma mère.
— Alors peut-être qu’il fallait pas poser la question.
Ils ne trouvent rien à redire. Il reprend un peu de son cocktail, retenant comme à chaque fois une grimace. Il est tellement chargé qu’il lui fait déjà mal au crâne.
— Écoute, Nathan…
Sa mère a l’air de marcher sur des œufs.
— On est aussi venus pour savoir si tu voulais bien… parler à Laure. Elle voulait te revoir…
Parler à sa sœur, sa chère grande sœur ? Pourquoi faire ?
— Pourquoi, il lui manque un témoin pour son mariage ? demande-t-il d’un ton moqueur.
— Non, on n’en est pas là, on sait bien que ce serait… compliqué.
— Pour elle ou pour moi ?
Ils ne répondent pas. Puis son père soupire :
— Non, c’est juste… Elle voudrait te revoir. À la base, on pensait te trouver à temps pour Noël, mais on a guetté et on ne t’a pas croisé, puis on n’osait pas sonner parce qu’on aurait pu tomber sur ton colocataire. Alors c’était trop tard…
— Hein, de quoi ? Vous pensiez que j’allais faire Noël avec vous, en plus ? Avec les oncles et les tantes, les cousins et tout ? Mais vous croyez quoi ?
— Non, non, pas du tout, répond précipitamment sa mère. On voulait juste faire… un repas tranquille, tous les quatre, c’est tout… Pour te revoir, et…
La voix de sa mère s’éteint sans finir sa phrase. Nathan soupire et termine presque son verre. Décidément, ils n’arriveront jamais à lui parler.
— Et pourquoi elle veut me revoir ? Je pensais qu’elle me détestait depuis le vernissage. Et avant, c’est à peine si elle se souvenait de mon existence.
— Tu sais, ça fait longtemps… De l’eau a coulé sous les ponts, depuis…
— Pas de mon côté.
Il serre les dents. Tout le mal qu’elle lui a fait, cette gosse de riche pourrie gâtée… Sa façon dédaigneuse de lui parler, ses regards moqueurs et méprisants, et bien sûr, les fois où elle l’a accusé à sa place pour s’en sortir lorsqu’elle avait cassé quelque chose. Comme s’il avait la moindre envie de la revoir.
— Nathan, écoute… On sait que c’est beaucoup te demander… Mais est-ce que tu pourrais venir lui parler, même juste une heure…?
Beaucoup lui demander ? C’est un euphémisme, ça.
— Comment ça, venir ? Venir où ?
Sa voix est faible. Il n’aurait jamais imaginé qu’ils le pousseraient à bout aussi rapidement.
— À la maison, pour discuter…
Encore un rire.
— À la maison ? Vous voulez dire, la maison où je veux plus jamais retourner ? Vous savez que tous les soirs en rentrant, j’avais des montées d’angoisse rien qu’à l’idée de passer devant le salon, parce que je savais que vous alliez me demander de venir pour me reprocher tout et n’importe quoi ? Que je me paralysais de peur à chaque fois que j’entendais vos pas dans les escaliers parce que j’étais sûr que j’allais me faire hurler dessus, même quand j’étais en train de réviser comme un dingue pour vous faire plaisir ? Vous savez que je suis devenu insomniaque quand j’avais huit ans à cause de la fois où vous m’aviez confisqué Bliquette pendant deux semaines ? Ouais, vous savez, la petite peluche de chèvre, là ? La peluche sur laquelle j’ai dû reporter tous mes besoins d’attention et d’affection parce que vous me faisiez jamais de câlins. Ça vous rappelle quelque chose ? Ah oui, et qu’est-ce qu’on devrait dire du fait que l’employée de maison avait l’air bien plus inquiète pour moi que mes propres parents quand je pleurais ? Ouais, vraiment. Que de bons souvenirs, cette maison.
C’est la première fois qu’ils ont l’air honteux. Pas juste un peu. Profondément, sincèrement honteux. Et tant mieux. Sur un ton bien plus hargneux, il termine :
— Et vous voulez que je revienne ?
Ils n’ajoutent rien, la tête basse. Et c’est aussi la première fois qu’il voit sa mère avec les yeux brillants. Mais il est hors de question de les prendre en pitié. Lui aussi, il a envie de pleurer. Il faut qu’il s’en aille.
Il termine son cocktail d’une traite et repose bruyamment son verre sur la table, faisant sursauter son père. Chacun son tour.
Il sort un billet de dix euros de son portefeuille et le pose sur la table. Il ne sait pas combien coûte le cocktail mais il est hors de question d’être redevable de quoi que ce soit à ses parents.
— Soit vous réalisez vraiment pas ce que vous me faites, soit vous en avez rien à foutre. Mais c’est un des deux.
Il remet sa veste sans un regard pour eux et s’éloigne de la table. Mais il se souvient au dernier moment du tote bag. Il ne manquerait plus qu’ils viennent sonner chez lui pour le lui ramener. Il fait demi-tour pour le reprendre.
— Nathan, s’il te plaît, attends…
— Non, c’est bon. J’en ai assez entendu. Je préfère qu’on en reste là.
Il s’éloigne et sort du café après un bref au revoir au serveur. Il se demande ce qu’il a bien pu entendre de cette conversation.
Il marche rapidement jusqu’à chez lui sans se retourner. Peut-être qu’ils le suivent, non ? Il ne peut pas traîner.
Il se sent lamentable. Bourré à même pas dix-huit heures, chancelant en pleine rue, les yeux rouges, de quoi est-ce qu’il a l’air ? Il ne peut pas y penser. La tête lui tourne, il a envie de vomir, mais il doit rentrer.
Une fois dans la cour, ses mains tremblent tellement qu’il doit s’y reprendre à trois fois pour sortir ses clés de sa poche et enfin, appuyer le badge contre son socle. Et c’est seulement une fois la porte refermée, à l’abri dans l’ascenseur, qu’il se permet de souffler un peu, appuyé contre la paroi.
Il a du mal à retrouver ses esprits, et il respire bruyamment. Il ne peut pas concevoir ça. Ils sont revenus après tout ce temps, pour lui dire…
Ta sœur va se marier.
Qu’est-ce qu’ils veulent qu’il en ait à foutre ?
On a été un peu durs avec toi.
Un peu durs ? Un peu ?
De rage, il écrase le bouton du quatrième étage. C’est impossible d’avoir autant de culot.
Tu aimes les hommes, Nathan ?
Vraiment, c’est ça qui l’inquiète ? La réputation de la famille avant tout, pas vrai ? Mais à quoi est-ce qu’il s’attendait, après tout ? Il serre les dents, maugrée pour lui-même :
— J’avais pas coupé les ponts pour rien…
Puis une fois à son étage, il rentre chez lui. Quentin et Nadya ne sont pas là, déjà en route pour leur soirée du Nouvel An avec les amis de Nadya. Tant mieux, ils ne pourront pas poser de question. Il s’enferme dans sa chambre et lâche le tote bag avant de se laisser glisser au sol, contre la porte.
Il devrait se relever. Boire de l’eau, se rafraîchir, emballer les cadeaux de Lyla et se préparer pour la soirée. Mais il n’en fait rien. Il reste là un long moment, le corps tendu à bloc, plus énervé que jamais. Qu’est-ce qu’il pourrait bien dire, ou faire ? Ils sont les dernières personnes qu’il s’attendait à voir aujourd’hui. Ils n’auraient pas pu attendre au moins un peu ? Éviter de ruiner son Nouvel An ?
Il s’est passé d’eux pendant cinq ans. Il aurait pu s’en passer plus longtemps encore.
⁂
Il n’a plus de force. Il s’est relevé, il a réussi à boire un verre d’eau et à se brosser les dents pour se débarrasser du goût du whisky, mais il s’est effondré aussi sec dans son lit sitôt sorti de la salle de bains.
La soirée du Nouvel An a commencé il y a au moins trois heures… peut-être quatre. Setsuo n’habite pas si loin de chez lui, mais il n’a plus aucune force. Ses parents l’ont vidé de son énergie, en vingt minutes de discussion.
Il ressasse. Frustré, en colère, et horriblement triste à la fois.
Longtemps, il avait imaginé ce qu’il se passerait s’il retombait sur eux un jour. Comment il exploserait de colère. Comment il leur énumérerait tout ce qu’ils lui avaient fait et comment il en souffrait encore, chaque jour, comment il serait satisfait de les voir se décomposer, le supplier de leur pardonner leurs fautes…
Rien de tout cela.
Oui, ça avait été satisfaisant… quelques secondes, quelques minutes peut-être. Ça avait été satisfaisant de les voir honteux, quand il leur avait balancé leurs quatre vérités. Mais tout ce qui en reste à présent, c’est cette incommensurable tristesse. À quoi est-ce qu’il s’attendait ? Même s’il a enfin eu l’occasion de s’énerver contre eux, le mal n’est pas réparé. Et il ne le sera jamais.
Il fixe le plafond. Il ne sait même pas quelle heure il est…
Allez, Nathan, tu vas quand même pas rester comme ça… jusqu’à l’aube.
Il se redresse. Lyla, il doit voir Lyla. Peu importe ce qui s’est passé aujourd’hui, il doit la voir, parce qu’elle lui fait toujours énormément de bien, parce qu’elle est l’une des raisons pour lesquelles il se lève chaque matin. Il a besoin d’elle, elle a besoin de lui. Il ne peut pas la laisser là-bas à cette fête, sans lui. Elle a probablement bombardé son téléphone d’appels, de SMS… Et ses autres amis aussi. Il n’en sait rien, il l’a laissé dans la poche de sa veste, à l’entrée de l’appartement.
Qu’est-ce qu’il fabrique ? Il ne peut pas rester là, à attendre que le temps passe !
Il tire sur son t-shirt pour le défroisser, passe la première chemise qu’il trouve dans son placard, réajuste son bracelet et s’apprête à quitter la chambre. Le tote bag… Il n’a pas emballé les livres, il s’est à peine coiffé et même pas douché, il a les yeux rouges, il n’a rien cuisiné, mais ça n’a aucune importance. Elle l’attend.
⁂
— Nath ? Nath c’est toi ? Mec, il est… il est tard ! Tu foutais quoi ?
La voix de Setsuo semble à la fois étonnée et soulagée depuis l’interphone.
— Ouais, c’est moi. Désolé pour le retard. Lyla est là ?
— Ouais, elle est là… Je t’ouvre.
Il monte les escaliers en quatrième vitesse et est accueilli par un tas de regards curieux. La musique résonne fort dans ses oreilles, et les lumières tamisées n’aident pas. Setsuo, Léo, Noémie, Rafael… Où est Lyla ?
— Mec, ça va ? T’étais où ? Il est quasiment…
— Je vous expliquerai… Elle est où ?
Setsuo secoue la tête et capitule.
— Tu nous as fait peur, sérieux… Elle est sur le balcon.
— Merci. Désolé. Je vous expliquerai tout.
Il avance rapidement dans l’appartement. Lyla. Elle est là, dos à lui, et dès qu’il l’aperçoit, il sent la tension redescendre dans son corps. Elle est appuyée contre la rambarde, son téléphone dans la main, ouvert sur une longue discussion sans réponse. Son cœur se serre. Elle doit être terriblement inquiète.
Il ouvre la porte, sans dire un mot. Elle se retourne et ses yeux s’écarquillent. Et rien qu’en la voyant ici, devant lui, il se sent infiniment mieux. Elle a arrangé ses boucles brunes en une coiffure soignée et a maquillé ses yeux en noir, avec quelques paillettes. Elle est habillée très simplement. Pantalon noir, t-shirt à strass et chemise à carreaux verte et noire par-dessus. Elle est tellement belle.
C’est auprès d’elle qu’il aurait dû se réfugier, dès le début.
— Nathan !
Il referme la porte et s’avance vers elle. Elle reste là, un bras sur la rambarde, décontenancée.
— J’ai un cadeau, je… J’ai pas eu le temps de l’emballer, je suis désolé, j’ai…
— Mais Nath, t’étais où ? Il va être…
— Je suis désolé. Il s’est passé… Je… Et puis sérieux, de quoi j’ai l’air à côté de toi, t’es magnifique…
Sa voix se casse dans sa gorge alors qu’ils se regardent toujours dans les yeux.
— Nath… ça va pas ?
Il tremble, et c’est à peine s’il entend les cloches de l’église sonner, au loin.
— Lyla, je…
Il ferme les yeux, lâche le tote bag et s’avance vers elle. Des fois, il ne faut pas réfléchir.
Il prend son visage entre ses mains et l’embrasse. Elle se suspend à son cou et le serre contre elle de toutes ses forces, soulagée. Enfin, il est là.
— Je t’aime.
Le passage est ses parents était vraiment dur à lire, pauvre Nathan (j’ai failli écrire un autre nom, oopsie)
C’est sûr, c’est pas le meilleur passage pour lui…
Je vois de quoi tu parles hunhun
Merci d’être passée commenter ♥
J’adore Christelle et Christopher de la putain de Villière! Quels affreux ces deux-là. Mais l’année commence plutôt bien….
Ça leur fait une particule en plus, c’est parfait 😉
Oui c’est sûr, c’était mal barré pourtant…
Merci d’être passée ! 😀