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Point de Rupture, 3 : Comme un rêve

« Oui, je le sens aussi. » Il ouvre grand les yeux, subjugué. Il n’a jamais ressenti quelque chose de pareil, quelque chose d’aussi grand. C’est à la fois grisant, et parfaitement terrifiant. Ça le dépasse, ça l’angoisse et lui donne le vertige. Pourtant, il veut se laisser aller.

 – Chapitre V

— Excuse-moi ?

Elle sursaute et relève à peine la tête, éblouie par le soleil. C’est le jeune homme qui s’était assis non loin d’elle, son livre à la main. Elle est un peu surprise par son aplomb et ne répond pas tout de suite. Il se passe la main dans les cheveux et reprend:

— Désolé si je te dérange, c’est juste que… j’aimerais bien discuter un peu avec toi. Si ça te dit, bien sûr.

Elle cligne plusieurs fois des yeux, confuse. Il a l’air respectueux et elle a du temps devant elle, alors pourquoi pas, mais… elle le connaît, non?

— Désolé, c’est juste que… J’ai trouvé ton livre préféré, alors j’avais envie de t’en parler un peu… Mais je t’embêterai pas, si tu veux pas.

Son livre préféré…?

Il lui montre la première de couverture du livre. Elle la reconnaîtrait entre mille, avec son illustration si particulière aux couleurs chaudes. Déjà l’aube. Il a raison, elle aime énormément ce livre, mais comment l’a-t-il su? Malgré son sourire, elle se tend. Elle ne l’a jamais vu de sa vie, elle en est certaine, alors comment? Il la suit ou quoi…?

— T’as pas l’air de me reconnaître… Je suis Nathan, on avait discuté sur l’appli… Mais bon, vu que je t’ai ghostée, je comprendrais que…

— Nathan ?

Son visage s’illumine alors qu’elle le regarde enfin en face. Les yeux sombres.

Nathan, bien sûr ! Bon sang, comment a-t-elle fait pour ne pas le reconnaître? Ses cheveux coiffés-décoiffés, son style, son bracelet de force au poignet… Il est encore plus beau en vrai, comment est-ce que c’est possible?

— Oui, bien sûr, je me souviens de toi, désolée, je suis lente…

Sous le coup de la surprise, elle se met à bafouiller:

— Oui sinon, tu peux t’asseoir, bien sûr. C’est… surprenant de te croiser. Et de te voir lire ce livre aussi, je dois dire !

Elle rit nerveusement, pas vraiment remise de cette coïncidence.

— Tu me l’avais bien vendu, il faut dire, rétorque-t-il en s’asseyant. J’ai eu de la chance, il était dans la boîte du jardin des plantes tout à l’heure. Enfin, je suis surtout content de tomber sur toi. Je voulais te reparler… j’ai pas assuré… Je suis désolé, je sais pas pourquoi j’ai arrêté de te répondre. On discutait bien et… Enfin, ça se fait pas. J’aurais pas dû faire ça.

— Bah… C’est pas si grave… J’ai pensé que tu avais trouvé quelqu’un et que tu reviendrais plus. Enfin, tu me devais rien…

Elle s’efforce de rester souriante. Pas si grave. Alors qu’elle avait passé plus d’une semaine à attendre un message, un signe, quelque chose, avant de désespérer définitivement et de supprimer son compte. Non, ce n’est pas si grave. Ce sont des choses qui arrivent sur les applications de rencontres, non?

— Non, je maintiens… Ça se fait pas. Je suis désolé.

— Bon et bien… Excuses acceptées, alors.

Elle sourit un peu plus franchement.

— Alors… tu l’as commencé, donc ? T’en penses quoi ?

Avec lui, les minutes défilent comme des secondes. Tout est si facile avec lui, si naturel, les sujets de conversations vont et viennent tout seuls avec fluidité. Cette simplicité, ça lui rappelle leurs échanges sur l’application. Sans filtre, sans peur du jugement.

Nathan a tenu à lui payer un autre verre pour s’excuser de son silence, et ils ont discuté, et discuté encore. Elle lui a parlé d’elle, de son contrat d’alternance signé récemment… Et il a parlé de lui, de son job de barman aux rives de l’Orène. Dire qu’à l’époque où elle l’avait rencontré… D était lui aussi barman. Enfin pour lui, ce n’était qu’un job d’été mais… cela commençait à faire beaucoup de coïncidences. Elle s’était rapidement reprise et avait à nouveau affiché un air joyeux en se cramponnant à sa limonade.

Et bien sûr, ils ont parlé du livre. Nathan vient de le commencer, aussi elle n’ose pas en dire beaucoup de peur de lui révéler des informations importantes, mais il a l’air de bien accrocher. Et plus ils en parlent, plus elle a envie de le relire. Le personnage du garçon… timide, qui n’ose pas s’affirmer et a du mal à faire confiance… Elle se reconnaît en lui, quelque part. Mais ça, elle n’ose pas lui dire. Elle n’a pas envie de montrer ses vulnérabilités directement.

— Est-ce que tu veux reprendre quelque chose ? Ou on va ailleurs ? Ou tu veux peut-être juste… arrêter là et rentrer chez toi ?

Elle avise son verre vide, sans savoir quoi lui répondre.

T’es sûr que t’as encore envie de passer du temps avec moi ?

C’est tout ce qu’elle a envie de lui demander, là tout de suite. Il a vraiment tout pour lui plaire. Physiquement déjà, mais aussi dans ses qualités. Son naturel, sa nonchalance, ses regards et ses sourires charmeurs… Être le centre de l’attention d’un garçon comme lui, des heures durant… Une part d’elle voudrait y croire. Elle voudrait se dire qu’elle mérite cette rencontre après tout ce qu’elle a enduré, se laisser aller et foncer tête baissée en espérant que tout cela se transforme en une belle relation qui durera très, très longtemps. L’autre part… L’autre part lui ordonne de se méfier. Elle lui rappelle que tout ça, cette attitude séductrice, ce sentiment d’être la personne la plus exceptionnelle du monde, cette impression que tout ira bien dès la première rencontre, c’est exactement ce qu’elle a ressenti avec D. Et Nathan l’a ignorée pendant des semaines sur l’application. Qu’est-ce qu’elle devrait faire…?

— C’est comme tu veux, reprend précipitamment Nathan devant son air indécis. C’est juste que… À l’Ouest-Express, il y a une soirée danse ce soir… Et comme tu prends des cours de danse et que t’as l’air de bien aimer ça, je me suis dit que ça t’intéresserait peut-être. Mais si tu veux juste rentrer chez toi, je peux te raccompagner…

Des cours de danse. Elle sourit d’un air crispé et acquiesce. Évidemment, il fallait que le sujet soit amené dès leur premier… rendez-vous ? Rencontre ? Rencard? Non, pas rencard… C’est trop bizarre.

Elle hoche la tête, les yeux dans le vague.

— Ouais, ouais. Ça pourrait être cool. OK, je te suis. Mais…

— On devrait manger avant, c’est ça ?

— Tu lis dans mes pensées.

— On est d’accord. On devrait pouvoir se trouver un endroit sympa… Dans l’idéal, pas trop loin du bar.

Aussitôt, ils se mettent à lister tous les petits restaurants à proximité de leur destination, et ils tombent d’accord à chaque fois: celui-ci est trop gras, celui-là trop cher, un autre trop bruyant… Lyla s’amuse de ce genre de détails. C’est rare, qu’elle rencontre une personne avec laquelle elle est exactement sur la même longueur d’onde, et ce sur autant d’aspects. Ça y est, elle recommence à se détendre.

— OK alors, va pour le Sa su, conclut Nathan.

— C’est parfait.

Elle l’aime bien, ce petit restaurant vietnamien. Mais comme il est un peu éloigné de chez elle, elle n’y va pas souvent. Mais l’Express est à cinq minutes de cet établissement, c’est l’occasion idéale. Alors qu’elle se lève, elle le regarde d’un air attendri déposer délicatement le livre au fond de son sac, faisant attention à ne pas abîmer le moindre coin de page. Soigneux, en plus de ça…

Ils s’éloignent du café tout en recommençant à discuter. Le bar est à moins de quinze minutes à pied et Lyla, qui n’aime pas trop les transports en commun, espère que Nathaniel n’aura pas envie de prendre le tram pour si peu. Il la devance:

— Dis, ça t’embête de marcher ? Les trams et tout ça c’est bien, mais pour des distances aussi courtes…

— Je me disais exactement la même chose… Je crois qu’on est connectés.

Connectés… Comme les deux protagonistes du livre, peut-être? Elle retient un soupir. Non, il ne faut pas s’emballer comme ça.

Alors qu’ils attendent pour traverser une rue sans mot dire, une autre question vient à Lyla:

— Au fait, t’as des frères et sœurs?

— Non, répond-il après une seconde de silence. Je suis fils unique. Et toi?

— Pareil. Mais j’ai été élevée avec mon cousin Morgan par ma tante, alors il est comme un grand frère pour moi.

— Oh, tes parents sont…?

Elle secoue la tête, le feu passe au vert.

— Non, non… Mais je leur ai jamais parlé de ma vie. Ils étaient pas ce qu’on peut appeler des bons parents, et ma tante m’a adoptée quand elle s’est rendu compte qu’ils me négligeaient. Ils ont même pas protesté pour signer la décharge parentale, donc c’est te dire… Mais c’est pas grave. J’ai aucun souvenir de ça, j’avais même pas un an. Puis elle s’est très bien occupée de moi.

— Ça devait pas être simple, une mère célibataire avec deux enfants à charge…

— Non, c’est sûr. En plus, elle a un métier très prenant. Elle est cardiologue. Heureusement, nos grands-parents l’ont beaucoup aidée, ils nous gardaient quand elle finissait le travail tard, et on passait certains week-ends et vacances chez eux pour qu’elle se repose un peu.

— Oh, OK… C’est bien qu’elle ait eu de l’aide, alors. Et l’essentiel, c’est que t’ailles bien.

— Oui oui, ça va.

Ou du moins si quelque chose ne va pas, ce n’est probablement pas à cause de ça.

Alors qu’ils attendent leur plat, installés dans le restaurant, Lyla remarque quelque chose qui l’amuse chez Nathan. Partout où il va, il se met toujours à scruter son environnement, comme s’il cherchait à en retenir les moindres détails. Et alors qu’il repose enfin son regard sur la table, il commence à faire des origamis avec sa serviette. Toujours en train de s’occuper.

La serveuse dépose leurs bô-buns sur la table et s’éloigne. Alors que Lyla se saisit de ses baguettes avec impatience, Nathan lui pose une question, l’air soucieux :

— Au fait, me réponds pas si t’as pas envie, mais… Je me demandais, par rapport à ton cousin. T’as toujours su que t’étais adoptée et que c’était pas vraiment ton frère, ou tu l’as su plus tard ?

— Oh, euh… Ben, je pensais que c’était mon frère et qu’elle était ma mère, oui. Elle nous a dit la vérité un peu avant mes quatorze ans, parce qu’avant elle savait pas comment s’y prendre. Le problème c’est que pendant longtemps, elle avait tellement peur que je sente une différence entre Morgan et moi qu’elle me donnait souvent plus d’attention qu’à lui. Mais tellement que ça a fini par le rendre jaloux, donc elle a tout avoué. Ça a calmé les choses. Depuis, tout va bien entre nous trois.

Nathan acquiesce silencieusement, les yeux rivés sur son bol.

— Désolée, j’ai donné trop de détails…?

Il retrouve son air souriant habituel en moins d’une seconde :

— Ah, non, non. Je réfléchissais, c’est tout. Tant mieux si ça va mieux maintenant. C’est tout ce qui compte… Et désolé, j’ai beaucoup trop faim pour continuer à discuter. Bon appétit !

Lyla hausse les épaules et enfonce ses baguettes dans son plat pour prendre une première bouchée, elle aussi.

— À toi aussi !

Le repas se déroule dans une ambiance plus légère. Lyla et Nathan abordent des sujets de conversation moins sensibles et comme à chaque fois, la nourriture est excellente.

Ce matin, elle n’aurait jamais pensé que cette journée tournerait d’une aussi belle façon. Elle était dans son lit, à essayer de trouver la force de se lever, une boule dans la gorge et des souvenirs encombrants dans la tête. Et ce soir elle est là, en tête-à-tête avec un garçon charmant qui l’avait fait rêver quelques semaines plus tôt. Quelle drôle de tournure pouvaient prendre les événements…

Leur repas terminé, ils se dépêchent d’aller à la caisse. La soirée va bientôt commencer et s’ils veulent éviter une longue file d’attente, mieux vaut y aller au plus tôt. Alors que Lyla vient de payer sa part, son téléphone se met à vibrer. Jenny…?

Elle s’empresse de dire au revoir à la serveuse et trottine vers la sortie.

— Je t’attends dehors !

Rapidement, elle décroche.

— Hey, Lili ! Enfin tu décroches ! Alors, qu’est-ce que tu dirais d’une soirée avec mon chéri et moi pour regarder…

Elle entend la voix de Logan derrière, et des sons étouffés.

— Ouais, je vais pas réussir à le prononcer pour autant mon lapin. Bref, une série polonaise qui a l’air cool…

La jeune femme ne sait pas quoi répondre. Elle sait que son comportement un peu… erratique, a tendance à inquiéter ses proches. Mais de là à lui proposer une soirée exclusivement avec le petit couple ? Elle se sentirait sûrement de trop. Heureusement pour elle, elle a l’excuse parfaite :

— C’est gentil, mais je suis pas dispo…

— Quoi ? Toi, t’es pas dispo ? Toi, t’es sortie de ton appart ?

— Très drôle. Et figure-toi que oui, je suis dehors, je suis retombée sur un mec de Dinter par hasard et…

Elle écarte son téléphone de son oreille en entendant son amie hurler.

— Mon Dieu ! Lili, tu as un rencard ! Oh là là, alors ça ça vaut toutes les excuses du monde ! Un rencard !

— Eh ho, du calme, c’est pas un… Enfin, j’en sais rien…

— Mais c’est clairement un rencard ! Mon poussin, Lili a un rencard ! Tu te rends compte ?

Elle entend vaguement un « J’avais cru comprendre » et manque de rire malgré son exaspération.

— Rah, tu me fatigues Jen, je te raconterai plus tard. Bonne soirée avec votre série !

Sans lui laisser le temps de répondre, elle raccroche, le cœur battant soudainement beaucoup plus vite. Elle ne voulait pas considérer cette soirée comme un rencard. Est-ce que lui, si ? Mais oui, évidemment. Il vient d’une application de rencontre, il l’a abordée, il est allé au restaurant avec elle, ils vont danser… Évidemment que c’est un rencard. Ça fait bien plus sérieux d’un coup…

Elle regarde derrière elle : Nathan est là, pas très loin derrière elle, mais à une distance respectueuse pour la laisser téléphoner. Son sang ne fait qu’un tour : vu comment Jenny hurlait dans l’appareil, il a forcément entendu. Voyant qu’elle a raccroché, il se rapproche avec un sourire rassurant.

— Toi aussi, le mot rencard te stresse ?

— N-non, c’est pas ça, c’est que j’avais pas envisagé ça que… Enfin…

— T’embête pas. Je sais pas comment j’envisage cette soirée avec toi moi non plus. Pour l’instant je sais juste que j’aime bien être avec toi et qu’on a beaucoup de points communs. De toute façon quoi qu’il se passe, je pense qu’on est tous les deux capables de dire et de comprendre le mot non. Allez, ça va commencer, tu viens ?

Il recommence à marcher mais elle reste un instant à la traîne. Cette phrase qu’il vient de prononcer… c’est exactement ce qu’elle avait besoin d’entendre. Définitivement, il sait la mettre à l’aise. Elle le rattrape en quelques pas, sur son petit nuage.

— Au fait, l’entrée est payante ? lui demande-t-elle.

— Oh euh, un truc comme cinq euros, et comme on paye à l’entrée je crois qu’on peut donner que du liquide. Mais je peux te l’offrir.

Elle refuse d’un geste. Il lui a déjà payé un verre, elle n’a pas envie de se sentir encore plus redevable. 

— T’inquiète pas, j’ai la monnaie.

Il n’insiste pas. Alors qu’ils arrivent dans la rue du bar, elle regarde en l’air : le ciel se couvre. Bon, au moins, ils sont presque arrivés.

L’entrée de l’Express est devant eux, avec son tapis rouge et sa grande enseigne. Étonnamment, il n’y a pas grand monde devant l’entrée, et Lyla se prend à espérer que l’intérieur ne sera pas blindé.

— J’espère qu’il n’y aura pas trop de monde, soupire Nathan.

Vraiment, il lit dans ses pensées… Alors qu’ils atteignent la porte, il lui fait une révérence exagérée en l’ouvrant, et elle ne peut s’empêcher de rire. OK, le… rencard peut continuer.

Lyla triture la touillette de sa limonade tout en discutant avec Nathan. Installés à l’intérieur depuis un moment, ils ne sont pas encore décidés à bouger. Le début de la soirée est principalement constitué de chansons endiablées sur lesquelles elle ne se sent pas de danser. Nathan lui, préfère l’attendre, ne souhaitant pas la forcer.

— Ces gens sont vraiment doués, soupire-t-elle en regardant la piste. À côté je vais vraiment avoir l’air gourde…

— Pourquoi tu dis ça ? Tu prends des cours depuis des années, non ?

Elle soupire, gênée, et hoche la tête sans le regarder dans les yeux. Ces cours qu’elle a abandonnés sans aucune explication…

— Euh, ouais, mais…

— T’en fais quoi… Allez, une à trois fois par semaine ? Après le travail, ou le samedi, un truc du genre ?

— Ouais… Deux soirs par semaine, sur des jours ouvrés.

Pourquoi est-ce qu’il lui demande tout ça? Et pourquoi est-ce qu’elle lui ment? Parce que je reprendrai les cours bientôt. Et personne saura jamais que j’avais arrêté… N’est-ce pas?

— Ouais, il me semblait bien que ça devait être un truc du genre. Ça doit être assez crevant, tu tiens le coup quand t’es pas en vacances ?

— Ça va…

Il reprend une gorgée de son soda, semblant ignorer son trouble.

— Tant mieux. Ce serait triste que t’aies plus l’énergie de faire ce qui te passionne.

Lyla se fige, muette. Il n’a aucun moyen de savoir à quel point ce qu’il vient de dire l’a atteinte. C’en est presque blessant. Mais il ne sait pas… Il ne peut pas savoir. Et il ne doit pas savoir.

— D’ailleurs, tu sais danser quoi ? reprend-il en la regardant à nouveau.

— Eh bien… Mes cours, c’est de la danse rock, et quand j’étais petite c’était du classique. Je mélange souvent plusieurs genres. Et aussi… quelques chorégraphies, soit connues sur Internet, soit des inventions personnelles. Je me défoule un peu, quoi. Et toi?

— Moi ? Pas grand-chose. C’est surtout moi qui aurai l’air gourde.

Lyla rit nerveusement mais sans le dire à voix haute, elle en doute. Ce gars… elle ne le voit pas du tout se ridiculiser, bien au contraire. Elle est persuadée que quoi qu’il fasse, il ne pourra jamais avoir l’air idiot.

Nathan lève son soda avec elle le termine d’une traite:

— Bon, je vais me chercher une pinte… Est-ce que je t’en paye une?

Sans réfléchir, Lyla bredouille:

— Ah, non, non, c’est gentil mais… je bois pas d’alcool.

Elle ne sait même pas pourquoi elle a dit ça. C’est complètement faux et ça n’a aucun sens. Mais comme il n’a aucune raison de ne pas la croire, Nathan se contente de demander:

— Oh euh, d’accord, mais ça te dérange pas si j’en bois?

— Ah, non, bien sûr, tu fais ce que tu veux!

Elle a terriblement honte. Elle lui ment et lui, il se soucie de savoir si elle est gênée qu’il boive. Elle sourit d’un air crispé, en se demandant comment elle va rattraper ça s’ils sont amenés à se revoir. Quelqu’un avec qui partager mes cocktails… Bien joué, elle vient de rayer un point de sa liste toute seule.

— Je peux te prendre autre chose, sinon… Genre un mocktail.

— Un quoi ?

— C’est censé être le nom des cocktails sans alcool, mais c’est vrai que j’entends pas grand monde le dire. Donc on n’a qu’à dire cocktail soft.

— Ah, je vois… Euh, c’est gentil mais pas tout de suite.

— Ça marche, je reviens. 

Il s’éloigne en direction du bar. Mais alors que Lyla se retrouve seule à la table, se flagellant intérieurement pour son mensonge idiot. Qu’est-ce qui lui a pris, bon sang?

Mais quelques notes familières la tirent de ses pensées, et elle se redresse d’un coup. Cette chanson-là, elle ne peut pas la rater. Elle la connaît par cœur, à la parole et à la note près. Elle ne peut pas rester à sa place à bouger ses pieds en rythme et attendre qu’elle se termine. Son manque de confiance en elle s’évanouit immédiatement, et elle se lance. Elle trouve une place sur la piste, à côté de plusieurs couples.

Elle prend une grande inspiration, ferme les yeux. Et un pas après l’autre, elle se laisse aller.

Une voix désormais familière la tire de sa transe une ou deux minutes plus tard:

— Je viens vraiment de rater le début de cette chanson?

Lyla se retourne, découvrant un Nathan dépité. Elle lui sourit d’un air encourageant, l’invitant à la rejoindre:

— Rejoins-moi, il reste un refrain!

Il semble hésiter, mais il finit par prendre la main qu’elle lui tend. Pensant qu’elle doit le guider, elle s’apprête à lui montrer les mouvements. Mais là encore, il la surprend : il connaît cette chorégraphie au moins aussi bien qu’elle.

Elle en était certaine. Il ne peut pas se ridiculiser.

La chanson se termine mais Lyla ne retourne pas à sa place, et Nathan non plus. Elle ne connaît pas les chansons qui suivent mais elle improvise avec lui, se moquant complètement du regard des autres. À deux, ils créent un ensemble harmonieux, dynamique, presque parfait. Cela faisait une éternité qu’elle n’avait pas ressenti quelque chose d’aussi pur et agréable.

Il bouge au même rythme qu’elle, sans qu’ils ne se heurtent une seule fois, sans aucun accroc, comme s’il prédisait chacun de ses mouvements. À moins que ce soit elle qui prédise instinctivement les siens, sans même y penser? Elle se laisse aller. Pas besoin de réfléchir, pas besoin de se prendre la tête. Tout est parfait.

Est-ce que c’est vraiment un rencard…?

Après plus de deux heures à enchaîner les chansons en prenant seulement de courtes pauses de temps en temps, ils décident tous les deux de reprendre un verre et de s’arrêter pour un plus long moment. Lyla rayonne et Nathan est complètement essoufflé. Il rit après une gorgée de bière, visiblement impressionné.

— Je sais pas comment tu fais, t’es une vraie pile électrique.

— Mon secret, c’est de rien faire quatre-vingt-quinze pourcents du temps, et de me dépenser une heure ou deux de temps en temps. Comme ça, j’ai forcément de l’énergie à revendre.

C’est drôle, quand elle y pense. Parce que ce n’est pas comme si c’était très différent de la réalité. 

— C’est pas con, mais je peux difficilement faire pareil. Travailler au bar, c’est assez physique en soi.

— Oui, j’imagine bien…

— En tout cas, reprend-il en se penchant vers elle et en parlant plus bas, je suis content de voir que tu as retrouvé ton assurance. J’ai cru que le regard des autres te… te paralysait, si on peut dire.

— Ouais, c’est le cas des fois… Et d’autres fois, j’arrive à surpasser ça. Je pense que l’alcool doit aider.

— J’imagine… Enfin pour tout te dire, j’ai pas l’impression que les gens te trouvent ridicule dans cette pièce. Je crois même que… tu t’es fait remarquer.

Lyla s’étrangle dans son virgin mojito, surprise. Nathan désigne discrètement d’autres tables de la tête. Dès qu’elle y pose les yeux, elle aperçoit deux ou trois hommes qui s’empressent de détourner le regard. Il a raison. Elle baisse les yeux, embarrassée. Nathan se justifie, parlant à toute vitesse :

— Je… Désolé, je voulais pas que tu te sentes mal à l’aise. Tu sais, j’ai tendance à toujours tout regarder autour de moi, et j’ai pas pu m’empêcher de remarquer ça… Mais j’aurais pas dû.

— Je… OK, c’est pas grave. De toute façon, je suis avec toi ce soir.

— Eh ben… Ravi de te l’entendre dire. Enfin, en tout cas, ça se voit que tu prends des cours. T’es tellement à l’aise, et tu bouges super bien !

Ce sont des compliments, mais elle ne peut s’empêcher de se sentir mal à l’aise. Les cours, encore et toujours le sujet des cours. Elle n’aurait jamais dû laisser Jenny écrire ça sur sa bio, elle aurait dû lui dire de mettre un simple « j’aime la danse », et basta. Qu’est-ce qui lui a pris de la laisser construire presque tout son profil à sa place, de toute façon ? Maintenant, ce pour quoi Nathan semble le plus l’admirer est basé sur un mensonge. Encore un…

Le début d’une chanson qu’elle affectionne particulièrement retentit, mettant fin à ses interrogations. Elle finit son verre d’une traite et se relève, regardant Nathan dans les yeux avec un sourire chaleureux :

— C’est reparti ! On peut faire les refrains en duo sur celle-là, si ça te dit ?

— OK !

Nathan la suit, enjoué. Elle est ravie du naturel qu’il y a entre eux, de cette complicité qui s’est si vite installée. Avec lui, elle ne fait pas semblant.

Au fil des mesures, ils arrivent à s’accorder l’un avec l’autre, à danser en rythme. Ensemble, ils atteignent une belle harmonie, un ensemble à la fois doux et énergique.

Avec un peu d’expérience, ils seront… seraient parfaits.

Ils se rassoient ensemble une autre heure plus tard, épuisés. Il commence à se faire vraiment tard. Elle ne voit pas le temps passer avec lui, entre les chansons, les pauses, les verres… Et on ne peut pas dire qu’elle soit habituée à se dépenser autant, d’ordinaire. Elle se met à bâiller, peu habituée à veiller tard. Nathan le remarque immédiatement:

— Tu veux rentrer ?

Elle allume l’écran de son téléphone: bientôt deux heures du matin. De toute façon, le bar ne va pas tarder à fermer et ils ont probablement déjà arrêté de servir au comptoir. 

— Ouais, je crois que je commence à… fatiguer, répond-elle entre deux bâillements.

— OK, tu habites dans quel coin, que je te raccompagne?

Alors qu’elle allait lui répondre, une voix annonce que la dernière chanson va se lancer. Un slow, pour conclure la soirée. Lyla ne danse jamais de slow, mais…

— Oh ! s’écrie Nathan. Celle-là, je l’adore, ça te dit qu’on la fasse avant de partir?

Mais c’est parce qu’elle n’a jamais de partenaire pour le faire. Il lui sourit d’un air rassurant:

— Promis après, je te raccompagne.

— D’accord.

Elle acquiesce, prend la main qu’il lui tend. Il l’emmène sur la piste pour la dernière fois – du moins la dernière de la soirée, espère-t-elle. Elle a mené toute la soirée avec ces chorégraphies, les mouvements qu’il mimait – remarquablement bien, d’ailleurs. Maintenant, elle a juste envie de se laisser guider.

Il lui prend une main et pose l’autre sur sa taille, celle de Lyla sur son épaule. Tout autour d’eux, les duos font la même chose, mais elle ne les voit plus. Parce qu’à ce moment précis, plus rien d’autre qu’eux d’eux n’existe. Elle laisse aller sa tête contre lui et se surprend à sourire. Bon sang, même son odeur la fait craquer…

Elle refoule sa fatigue pour quelques minutes encore. Si seulement les moments comme celui-là pouvaient durer une éternité de plus… Ou deux.

Nathan la guide pour le premier refrain, la fait tourner et revenir dans ses bras. Elle repose sa tête sur son épaule, s’imprègne de son parfum. À ce moment-là, plus rien n’existe. Même pas D.

À la fin de la chanson, le bar se vide lentement, chaque couple de danse sortant de sa torpeur à son rythme. Nathan tient toujours Lyla par la main et d’une voix douce, il lui dit:

— T’as été… parfaite.

Il a un tel regard, un sourire bienveillant et chaleureux. Sous les lumières orangées et tamisées du bar, elle le trouve encore plus craquant. Elle rougit et, incapable de prononcer un mot, elle se contente de répondre à son sourire. Puis elle réalise qu’après avoir tant tourné dans ses bras, elle le tient toujours par la main. Elle la lâche d’un geste précipité, comme si elle la brûlait. Son regard est si… C’est bien trop tôt pour ça.

T’emballe pas. Souviens-toi de D.

— M-merci, bafouille-t-elle.

Ils retournent à leur table mais cette fois-ci, c’est pour reprendre leurs affaires. Le bar est en train de fermer. Jamais Lyla n’aurait cru que sa petite sortie du milieu d’après-midi s’éterniserait autant. Même si elle a adoré chaque instant, elle n’a qu’une hâte : être bien au chaud dans son lit et dormir au moins dix heures.

Mais il y en a pour un quart d’heure à pied. D’habitude elle ne trouve pas cela beaucoup, mais avec son état de fatigue actuel… Puis elle n’a pas envie de parcourir toute cette route à pied toute seule, en pleine nuit. Elle espère qu’il la raccompagnera, mais elle n’a aucune idée d’où il peut bien habiter, et elle s’en voudrait de se faire raccompagner s’il devait marcher une heure pour rentrer ensuite. Bien sûr, elle pourrait l’inviter à dormir sur son canapé-lit, mais elle le connaît à peine…

— Alors, t’habites par où ?

— Près de la tour Laurey.

— D’accord, je te raccompagne.

— Ah, euh… J’espère que ça te dérange pas de…

— Non, il y a pas de souci, vraiment.

Voilà qui est acté. Elle ne va pas s’en plaindre. Mais une fois dehors, elle retient une grimace. Si le ciel se couvrait au moment où ils étaient entrés dans le bâtiment, il a viré à la grosse pluie entre temps. Pas le genre de pluie douce et silencieuse sous laquelle il est agréable de se balader, mais une grosse averse torrentielle. Nathan sort à son tour pour constater la même chose.

— Ah, euh… Je le sens beaucoup moins, d’un coup…

— Ouais, pareil… Et j’ai pas envie de te demander de marcher autant sous cette pluie, je…

Mais en même temps, elle ne se voit pas rentrer seule à une heure pareille… Coincée, elle est coincée.

— Bon… J’habite à même pas cinq minutes d’ici. Deux ou trois, si on court. Ça te va?

Elle hoche la tête, à court d’idées. Elle qui n’aime pas dormir ailleurs que dans son lit, la voilà qu’elle vient de s’engager à aller dormir chez un homme qu’elle ne connaît que depuis quelques heures…

Mais de toute façon, a-t-elle vraiment le choix?

— Quand tu es prête, milady.

Son expression la fait rire doucement, tandis qu’il déploie sa veste au-dessus d’eux et semble attendre sa confirmation.

— OK, je suis prête.

— OK. À droite, et à gauche au bout de la rue. C’est parti !

Et voilà comment se conclut cette soirée. Collée à ce Nathan, à courir aussi vite qu’elle le peut sous un parapluie de fortune en direction un appartement inconnu. Cela pourrait presque la faire rire, si ce n’était pas aussi précipité.

Mais Nathan n’habite vraiment pas loin, et ils se mettent à ralentir alors qu’ils atteignent une petite rue. Il sort ses clés de sa poche et se tourne vers Lyla. Sous la lueur du lampadaire, avec ses cheveux blonds décoiffés, rabattus par la pluie… Elle reste quelques instants en suspens, à l’observer en rougissant, avant qu’il pousse une exclamation de victoire:

— C’est bon, on est sauvés ! On va pouvoir se sécher tranquillement. Oh, mais… C’est Quentin! Eh, Quentin !

Lyla s’ébroue et tourne la tête, surprise. Il y a un jeune homme qui est en train d’ouvrir la porte de l’immeuble vers lequel ils se dirigent. Il se retourne et semble étonné, mais leur tient la porte le temps qu’ils passent. D’où est-ce que Nathan le connaît…?

— Salut, Quentin, et merci. Tiens, je te présente Lyla.

— Salut, t’as l’air d’avoir passé une bonne soirée!

Quentin lui donne une tape amicale sur l’épaule. Lyla l’observe, perplexe. Pourquoi est-ce qu’il sourit comme ça? C’est un voisin, un ami?

— Lyla, je manque à tous mes devoirs. Je te présente Quentin, mon coloc et ami de très longue date.

— Enchanté.

Quentin lui sourit d’un air bienveillant, et Lyla s’efforce de répondre normalement. Mais l’inquiétude a repris le dessus, chassant la fatigue.

Un colocataire. Elle n’avait même pas pensé à ça. Voilà qu’elle s’est engagée à dormir dans un appartement avec deux hommes: un qu’elle connaît depuis quelques heures et l’autre… depuis quelques secondes. Parfait.

— Bon, on va pas rester dans le hall à chuchoter, coupe Quentin. Venez, on va prendre l’ascenseur. Hors de question que je me tape les quatre étages à pied après toutes ces heures de boulot.

— T’as bien raison. Puis Lyla et moi, je crois qu’on en a bien besoin aussi.

Nathan l’entraîne à sa suite dans l’ascenseur et elle se laisse mollement faire. Deux inconnus… Parfait, vraiment parfait. Une fois dans l’ascenseur, elle en profite pour observer Quentin. À en juger par sa tenue, il rentre probablement du travail, et ça doit avoir un rapport avec le domaine médical. Donc… c’est probablement quelqu’un de bien, non ?

L’ascenseur s’arrête et ses clés en main, Quentin ouvre doucement la porte. Lyla les entend murmurer quelque chose sur quelqu’un qu’il ne faut pas réveiller. Une troisième personne, donc. De mieux en mieux, dis-moi. T’as fait fort.

Elle les suit à l’intérieur, sur la réserve.

Quentin s’engouffre presque immédiatement dans une autre pièce en murmurant un bonne nuit, laissant Nathan et Lyla sur le palier. Elle retire ses chaussures et tente de discerner ce qui se trouve autour d’elle, mais la pièce est plongée dans la pénombre. Nathan la prend doucement par le bras et souffle:

— Viens, ma chambre est par là.

Elle se laisse guider, à l’aveugle. Ils traversent ce qui semble être un salon avant qu’il n’ouvre une porte. Enfin, il peut allumer.

Sa chambre est plutôt grande, plus que la sienne en tout cas. Les murs sont parsemés d’étagères pleines de livres, de jaquettes de jeux vidéos et d’albums dont elle n’essaie pas de lire les titres, trop épuisée pour se fatiguer les yeux à ça. Il y a également un placard à portes coulissantes tout le long d’un mur, un large bureau muni d’un PC fixe, et quelques appareils de musculation et haltères au fond de la pièce. Alors qu’elle observe la pièce, il range rapidement quelques documents ainsi qu’un carnet dans un tiroir. Puis il se retourne vers elle:

— Bon, je vais aller me changer, puis je te laisse mon lit et je prends le canapé du salon. Je préfère te laisser ma chambre parce que la copine de Quentin risque de se lever tôt et qu’on n’aura déjà pas beaucoup dormi.

Elle est désarçonnée. Elle ne s’attendait pas du tout à ça. Et la troisième personne est donc une fille. La copine du coloc, qui plus est. Ce détail est… plutôt rassurant.

— Sa… sa copine, c’est elle, la troisième personne qui vit avec vous?

Nathan dépose son sac sur son fauteuil bureau et en sort immédiatement le livre.

— Ouf, il a rien… Et oui, c’est ça. Elle s’appelle Nadya. Elle se lève tôt parce qu’elle gère une boutique de vêtements qu’elle crée elle-même, et elle aime bien passer une heure dans son atelier avant l’ouverture.

Elle hoche la tête. Ça doit être chouette, de vivre de la vente de ses créations.

— Tu sais, je veux pas te virer de ta chambre…

— Oh, ça me dérange pas. Je comprendrais totalement que tu sois pas à l’aise à l’idée de dormir avec un mec que tu connais à peine.

Paradoxalement, le fait qu’il lui propose de dormir seule dans sa chambre lui donne envie de lui dire de rester. Mais… peut-être que ce n’est pas si paradoxal que ça. Peut-être que c’est justement parce qu’il prend la peine de lui demander son avis qu’elle se sent plus en confiance.

Et sincèrement, cette après-midi et cette soirée avec lui étaient parfaites. Exactement ce qu’il lui fallait. Et le voir prendre aussi soin du livre, en parler avec autant de passion… Mine de rien, ça l’a touchée.

— Non, non, tu peux rester.

— T’es sûre ? Choisis ton côté, alors.

Elle hoche la tête puis après avoir posé son sac près de la porte, elle s’approche du lit. Elle retire sa veste, ses chaussettes, puis son jean après un instant d’hésitation. Elle jette un œil à Nathan: il est tourné vers son bureau, en train d’enlever sa veste lui aussi. Elle culpabilise presque en constatant à quel point ses vêtements sont trempés. Elle n’avait pas réalisé que tout à l’heure, alors qu’ils couraient sous la pluie, il l’avait bien plus protégée que lui-même.

Il se dirige ensuite vers son placard et lorsqu’il l’ouvre, elle écarquille les yeux en voyant à quel point il est rempli. Mais combien a-t-il de vestes, de chemises, de pantalons…? Bien plus qu’elle, ça c’est sûr. Alors ça, elle ne s’y attendait pas. Il choisit un t-shirt ample et alors qu’il est toujours dos à elle, elle en profite pour se glisser sous la couverture et poser sa tête sur l’un des oreillers, près du mur. Elle ferme les yeux, s’imprégnant de cette odeur. Des draps qui sentent comme lui…

Il revient vers elle, toujours aussi souriant.

— Toi aussi, tu dors en t-shirt ?

Elle se sent instantanément idiote de ne rien avoir trouvé de mieux comme sujet de conversation. Mais sans faire de remarque, il répond:

— Disons que ça dépend la température… Je trouve pas qu’il fasse très froid ce soir mais vu qu’on se connaît à peine… T’aurais peut-être trouvé ça trop tôt.

Il pense vraiment à tout. Elle sourit, comme pour confirmer qu’il a bien fait. Puis il allume sa lampe lave rouge sur la table de nuit, éteint la lumière et la rejoint. Cette fois ça y est… ils vont dormir ensemble alors qu’elle le connaît depuis quelques heures. Elle espère sincèrement qu’elle ne se trompe pas sur lui.

— J’aurais jamais cru que cette journée se terminerait comme ça, lance-t-il d’un ton amusé.

— Moi non plus, merci pour tout, c’était… C’était super, et ça m’a changé les idées.

— Oh, t’en avais besoin ?

Elle regrette immédiatement ces mots. Ne pas faire allusion à ta foutue dépression au premier rencard, c’est si difficile que ça?

— Non, non, enfin si, je veux dire… J’étais malade la semaine dernière, je faisais rien de mes journées, c’était déprimant.

— Oh, je comprends.

Après tout, elle ne ment pas vraiment. Elle l’observe à la dérobée. Il est en train de regarder le plafond, l’air pensif. Sous cette lumière rouge, elle se surprend à le trouver encore plus mignon. Et ça y est, elle est encore en train de s’emballer…

Puis elle jette un œil à son poignet, surprise de voir qu’il a gardé son bracelet de cuir.

— Ça doit pas être super confortable de dormir avec ça, non ?

Il suit son regard et secoue la tête.

— Ouais, t’as raison. Je vais l’enlever.

Il le retire et le pose sur la table de nuit et malgré le peu de lumière qu’il y a, elle se rend compte qu’il y a une vraie démarcation de bronzage en dessous, même si sa peau est déjà mate de base. Il a l’air de beaucoup y tenir, à ce bracelet. Peut-être un cadeau…

— Dis…

— Hm ?

Elle reporte son attention vers lui, surprise. Il semble hésitant.

— Qu’est-ce qu’il y a ?

— Je me demandais juste si je pouvais… te prendre dans mes bras. Après toutes ces heures passées près de toi et ce slow, j’ai eu envie mais je voulais pas te mettre mal à l’aise…

Il prend tellement de précautions… Avec un sourire et sans aucune hésitation, elle se rapproche de lui. Comprenant que c’est un oui, il l’entoure de ses bras. Elle se retrouve blottie contre lui, la tête juste sous la sienne.

Elle s’imprègne de son odeur sans bouger tandis qu’il lui caresse le dos. Bercée par cette étreinte, elle en est maintenant persuadée : tout ne peut qu’aller bien avec lui.

Cette nuit-là enfin, elle va bien dormir. Cette nuit-là et pour la première fois depuis longtemps, tout le stress et toute l’angoisse n’existent plus.

En fait… pour la première fois depuis longtemps, D n’existe plus.

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