Il va devoir faire confiance à ce vendeur de lanternes, car c’est tout ce qu’il a. Il la soupèse et la scrute, sceptique. Aura-t-il assez d’huile pour traverser la forêt entière ? Il ne peut que l’espérer.
– Chapitre XVI
Comme un rêve.
Ce premier rencard s’était déroulé comme un rêve. Ce hasard qui avait fait qu’elle était tombée sur Nathan, ou plutôt, qu’il était tombé sur elle. Leurs discussions qui venaient facilement, tous leurs points communs, le naturel entre eux…
Puis, la soirée danse… Quelle soirée ça avait été. C’était parfait, tout simplement parfait.
Bon… à part son léger mensonge, mais… elle verrait cela plus tard.
Le lendemain, Lyla avait ressenti un besoin irrépressible de se confier à quelqu’un. Rafael était au travail, Jenny allait lui exploser les tympans à la moindre déclaration, et elle ne se voyait pas raconter cela seulement au petit ami de cette dernière. Quant à son cousin… Non, pas à lui. Il était la dernière personne à laquelle elle avait envie de parler du moindre homme dans sa vie.
Alors ne restait que Noémie, en qui elle accorde une confiance toute particulière. Elle lui avait donc donné rendez-vous dans un de leurs cafés préférés un après-midi.
Et Noémie l’a écoutée avec attention, sans l’interrompre. Puis, lorsque Lyla a terminé son récit, elle lui demande à voir une photo, curieuse de savoir à quoi ressemblait ce prince charmant sorti tout droit d’une application de rencontre. Alors qu’elle va sur le profil de son rencard sur le réseau social qu’il utilise le plus, Lyla ne peut retenir une moue surprise en voyant le nombre de photos de lui-même qu’il y poste. Ça, elle ne s’y attendait pas.
Mais bon, elle n’est pas là pour le juger. Et… elle doit bien admettre qu’elle aime ce qu’elle voit. Elle en sélectionne une sur laquelle on voit bien son visage et tend son téléphone à son amie. Noémie laisse échapper un rire :
— Tiens tiens… Je le connais, lui. Nathan Villière, hun hun. Tiens, il a abrégé son nom.
Lyla écarquille les yeux.
— Sérieux ? Tu le connais d’où ?
— Du lycée, j’ai été dans sa classe en première et en terminale.
Pour la énième fois, Lyla songe que Cahen est vraiment une petite ville.
— Wow… La coïncidence. Mais pourquoi tu dis qu’il a abrégé son nom ? Il s’appelle… Nathanaël, ou un truc du genre ?
— Non, non, je parle de son nom de famille. C’est pas Villière normalement, c’est de La Villière. Faut croire qu’il assume pas sa particule.
Lyla est plutôt étonnée. Un nom à particule… Il ne doit pas venir de n’importe quelle famille. Mais peu importe. Elle reprend :
— Ah… Je savais pas. Mais sinon, tu l’aimais bien ?
— Nathan ? Tout le monde l’aimait. C’était le genre de mec que tout le monde aimait. Tu sais, les extravertis, dix-sept de moyenne dans toutes les matières, comportement exemplaire en classe, sportif, toujours élu délégué, beau gosse…
Sur ces deux derniers mots, Noémie ne peut retenir un sourire narquois.
— Quoi ?
— Rien, rien. C’est juste qu’il se la jouait un peu. Genre, je suis beau gosse et je le sais, tu vois ? Mais franchement… il était loin d’être méchant. Pas du genre à harceler les autres, plutôt le contraire, il m’a aidée quand des meufs de ma classe s’en prenaient à moi. Donc, un cliché… Mais un cliché sympa.
Lyla rayonnait. Un cliché sympa… Ça lui ressemblait bien. C’était vrai, il avait ce côté peut-être un peu… narcissique, sur son physique du moins. Mais… ça faisait partie du personnage. Et malgré elle, elle trouvait cela attachant. Malgré le fait qu’elle ait ressenti exactement la même chose pour D, et pour les mêmes raisons.
— Ah et, est-ce qu’il fait toujours le mec… super observateur, qui regarde partout et enregistre tous les détails ? Ça me faisait rire, ça aussi.
— Ouais, il regardait la déco au resto, puis dans le bar…
— Ça m’étonne pas !
Noémie rend son téléphone à Lyla, souriante.
— En tout cas, c’est marrant que tu sois tombée sur lui… Je l’aimais bien, moi, ce petit Nath. Au début j’avais des a priori sur lui à cause de sa sœur, mais en fait il est cool.
— Sa… quoi ?
Lyla reste interdite un moment, perplexe. Une sœur…?
— Ouais, sa grande sœur… Je l’ai pas beaucoup vue parce qu’elle avait deux ans de plus que nous, mais… elle a un peu fait parler d’elle dans la presse, à l’époque. Et même quand elle a eu son bac et qu’elle avait quitté le lycée, elle revenait juste pour mettre des pubs partout pour ses réseaux, elle arrêtait pas de parler tout haut de ses vernissages ultra selects… Franchement, on aurait dit qu’elle avait inventé la roue. J’ai jamais vu une meuf qui se la pétait autant.
Lyla est toujours silencieuse, le regard dans le vague.
— J’ai dit un truc qu’il fallait pas ? s’enquiert Noémie, un sourcil arqué. Tu sais, je la critique, mais on s’en fout, c’est lui qui compte, et…
— Il m’a dit qu’il était fils unique.
Noémie a un léger sursaut, puis s’empare de son propre téléphone.
— Attends…
Puis, quelques secondes plus tard, elle le repose, perplexe.
— Ouais, non. Je me suis dit qu’elle était peut-être… morte, et que c’était un sujet sensible pour lui, mais… non, j’ai trouvé son compte Instar et elle poste toujours des photos… C’est bizarre…
Lyla a la gorge nouée. Elle repose la cuillère de son café liégeois.
— Pourquoi il m’a menti…?
— Je sais pas… Peut-être qu’il avait pas envie de te parler d’elle ? Peut-être qu’ils s’entendent pas ?
— Mais même dans ce cas… c’est bizarre, non ?
Noémie n’ajoute rien. Elle connaît bien son amie. Et elle sait que là, tout de suite, rien de ce qu’elle pourra dire ne la rassurera.
⁂
C’était un anniversaire comme un autre. Lyla célébrait ses vingt-et-un-ans, entourée de son groupe d’amis. C’était une soirée simple, sans prétention : un petit pique-nique sur la plage dans un village côtier aux abords de Cahen.
Noémie, Rafael, et bien sûr, l’inséparable couple, Jenny et Logan.
Quelques bières vides jonchaient les serviettes étalées au sol autour de la bande, l’ambiance était détendue. On parlait de tout et de rien, on observait le ciel et les nuages pour leur trouver une forme précise. Lyla se sentait bien. Parfaitement détendue, elle remuait ses pieds pour les enterrer sous le sable, le regard rivé sur la mer qui descendait lentement.
— D’ailleurs, avait lancé Logan avec un air savant, le fait de trouver des formes dans les nuages c’est de la…
— Paréidolie ! avait crié Jenny.
— Pas seulement, ma bichette, ça c’est pour tous les objets. Pour les nuages très précisément, il y a un mot beaucoup moins connu qui est la néphélococcygie.
— C’est vrai ou ça sort de ton cerveau tordu, ça ? avait rigolé Noémie.
— Mon cerveau tordu t’emmerde.
— T’entends comment ton mec me parle ?
Lyla ne participait pas à la conversation mais l’échange la faisait sourire. Pour elle, ça, c’était l’anniversaire rêvé. Une très belle soirée, ses plus proches amis, une température douce et de la bonne boisson. À ce sujet… il ne restait plus qu’un petit fond de jägermeister. De quoi faire un seul jägerbomb.
— Qui veut le dernier jägerbomb ? demanda-t-elle, espérant ne recevoir que des réponses négatives.
— Bah prends-le, c’est ton anniv’, lança nonchalamment Jenny.
Les autres haussèrent les épaules. Au grand soulagement de Lyla, qui se servit la mixture dans son fidèle gobelet de festival. Armée de son cocktail, elle annonça qu’elle partait faire un petit tour.
L’anniversaire de Lyla tombait en même temps que la fête de la musique. Alors, comme souvent quand elle avait l’occasion de le fêter le jour même, elle tomba sur un petit groupe en pleine performance. Ils jouaient sur un parking, non loin de l’endroit où elle et ses amis s’étaient installés. Les bars et restaurants autour avaient tous gardé leur terrasse ouverte plus tard que prévu, et il faisait doux. L’ambiance était à la fête. Lydia, légèrement pompette, souriait bêtement à tout ce qu’elle voyait. La musique lui donnait envie de danser…
— Aïe !
La première chose qu’elle réalisa, c’était que son jägerbomb était complètement renversé. La deuxième chose, c’était qu’il s’était renversé sur elle. Et la troisième, c’était que tout ça, c’était entièrement la faute du garçon qui venait de lui rentrer dedans.
— Merde, tu peux pas faire attention où tu vas ?
Furieuse, elle regardait son gobelet vide, son débardeur détrempé, puis elle releva la tête et croisa son regard. Ses yeux…
— Je suis vraiment, vraiment désolé !
Il y avait un truc dans son regard…
— J’espère que tu buvais pas un truc bon…
— Si, c’était le dernier jägerbomb, soupira-t-elle d’un ton agacé.
— Alors là, c’est un crime impardonnable.
— Je te le fais pas dire.
Elle avait beau faire la moue, elle s’était légèrement adoucie.
— Bon, et si je te promets de t’en refaire un encore meilleur ? Avec par exemple… une pointe de caramel…?
— Je déteste le caramel.
Elle s’en voulut aussitôt d’être aussi froide, et reprit plus doucement, l’air un peu moqueur :
— Tu te balades avec des bouteilles d’alcool ?
— Presque ! répondit-il en riant. Je bosse au bar à côté, là. Enfin, j’ai fini, mais je peux bien y revenir deux minutes. Donc, je peux te refaire un jägerbomb encore meilleur – sans caramel – et gratuit. T’en dis quoi ?
— C’est tentant. Et tu peux me refaire un débardeur, aussi ?
— S’il le faut, pour me faire pardonner, j’apprendrai à coudre !
Il avait l’air tellement solennel en disant cela qu’à son tour, Lyla éclata de rire.
— Bon OK. Mais dis-moi, sacrée méthode pour aborder une fille, tu renverses son cocktail et tu lui en refais un…
— C’est vrai que ça pourrait ressembler à une de mes techniques de séducteur invétéré mais… je te jure que je t’avais pas vue.
Il la détailla quelques secondes.
— Et je me demande comment j’ai fait.
Lyla se sentit rougir jusqu’à la racine des cheveux. Toute colère s’était envolée. C’était cliché. Mon Dieu que c’était cliché. Et pourtant… ça l’avait touchée.
Il la guida jusqu’au bar où il travaillait, tandis qu’elle ne pouvait s’empêcher de le regarder en détail. Ces muscles qui saillaient, ce teint hâlé, ses cheveux négligemment attachés et surtout, ses yeux…
— Je te le fais dans ton gobelet, j’imagine ?
Elle ne réagit pas tout de suite, encore subjuguée.
— Le cocktail ? Je te le fais dans ton gobelet ? insista-t-il.
— Oui, oui, bien sûr, désolée. Euh, tiens.
Il disparut dans le bar pour revenir deux minutes plus tard, le gobelet rempli à la main.
— J’espère que ce sera le meilleur jägerbomb que tu auras eu de toute ta vie. Sinon, j’apprends à coudre des débardeurs. Croix de bois, croix de fer.
— Hm, je veux bien croire qu’on peut plus ou moins bien doser un jägerbomb, mais je vois pas comment tu peux le rendre meilleur en dehors de ça…
— Secret de barman. Allez, goûte et tu me diras.
Elle y trempa ses lèvres, sceptique. Puis son visage s’illumina.
— Alors ?
Elle cligna plusieurs fois des yeux, surprise. Il y avait définitivement ajouté quelque chose… mais quoi ? Elle n’avait jamais goûté de jägerbomb similaire. Il n’avait pas menti, il était très bon.
— Qu’est-ce que t’as mis dedans ?
— Secret de barman, j’ai dit, répéta-t-il avec un sourire en coin.
Et alors qu’il s’éloignait, son foutu sourire toujours aux lèvres, Lyla se mit à le suivre en trottinant.
— Eh ! Tu vas vraiment te barrer comme ça ? Et tu vas pas me dire ce que t’as mis dedans, t’es sérieux ?
— Mais non, je dois juste déposer mon sac à ma voiture. T’as qu’à me suivre, si tu veux. Mais pour le cocktail, je garde mon secret !
Et, tout en s’éloignant du bruit du concert et des bars alentours, ils se mirent à discuter.
— Au fait, tu traînes ici toute seule ?
— Oh, euh, non. Je suis avec des amis pour mon anniversaire. On s’est posés sur la plage.
— J’ai donc ruiné ta boisson préférée et ton haut le soir de ton anniversaire ? Alors là, je suis impardonnable !
— Tu pouvais pas savoir ! répliqua-t-elle en riant. Et tu m’en as refait un très bon.
— Tout de même ! Quel goujat je fais. Enfin… bon anniversaire quand même.
— Merci. Quand même.
L’atmosphère se détendait entre eux, et Lyla se surprenait à lui parler avec facilité. Peut-être que l’alcool aidait un peu. Elle le trouvait un peu entreprenant, mais cela ne la dérangeait pas. Au contraire, même. Il était plutôt sympathique et… franchement à son goût.
— Je devrais peut-être retourner voir mes amis, ils vont se demander où je suis passée…
— Je comprends ! Peut-être qu’on pourrait…
— Garder contact ?
Ils échangèrent un sourire complice.
— Au fait, moi c’est Lyla…
— Et moi, c’est Dorian.
⁂
Lyla laissa retomber sa cuillère, les yeux dans le vague. C’était vrai. Nathan et D avaient beaucoup de points communs. Barmans, blonds à la peau mate avec des yeux qui la faisaient craquer, et… menteurs ? Elle eut un frisson et se dandina sur sa chaise. Est-ce que c’était comparable ? D lui avait menti sur toute la ligne. Il avait trahi sa confiance, l’avait bafouée et lui avait brisé le cœur. Nathan… Nathan lui a simplement dit qu’il était fils unique, alors qu’il ne l’est pas. Oui, c’était un mensonge. Mais Noémie avait peut-être raison. Peut-être que lui et sa sœur ne s’entendent pas, et qu’il ne souhaite pas parler d’elle. Peut-être qu’il va lui révéler tout ça très bientôt, et qu’elle pourra enfin se détendre.
Et, après tout… elle lui a menti, elle aussi. Elle lui avait fait croire qu’elle ne boit jamais d’alcool, ce qui est parfaitement stupide et n’a pas le moindre sens. Rien que pour ça… elle peut lui laisser une chance.
⁂
Voilà pourquoi elle l’a invité à la rejoindre, dans ce bar. Parce qu’elle souhaite lui laisser une chance. Et… pour une autre raison, qu’elle n’a pas vraiment envie admettre. En réalité, ce soir-là, elle comptait énormément sur l’avis de ses amis à propos de Nathan. Quand elle leur avait présenté D, Rafael et Noémie l’avaient mise en garde. Ils avaient l’impression qu’il n’était pas sérieux avec elle, et pensaient qu’elle ne se méfiait pas assez de lui. À l’époque, elle ne les avait pas écoutés et avait poursuivi sa relation avec lui, lui accordant une confiance aveugle. Et voilà où ça l’avait menée…
Aujourd’hui, mitigée au sujet de Nathan, elle s’était promis qu’elle ne referait pas cette erreur une seconde fois. Déjà qu’elle trouve qu’elle s’emballe bien trop vite avec lui…
Un beau blond barman avec des yeux et une gueule d’ange, et voilà que tu retombes dans tes travers…
Heureusement pour elle, Nathan était libre, et s’était mis en route pour les rejoindre. Bien trop vite au goût de Lyla, qui, éméchée à cause de ses deux bières pression, avait commencé à paniquer complètement, se souvenant soudainement de ce mensonge idiot. Ce qui avait causé une scène des plus ridicules.
— Les gars ! avait-elle hurlé, en panique, alors qu’elle empilait précipitamment ses verres vides. Il faut surtout pas lui dire que je bois de l’alcool !
Ses amis s’étaient tournés vers elle, décontenancés. Et Rafael avait parlé le premier, un sourcil arqué, sa clope derrière l’oreille :
— De quoi ? Un barman, il va te juger s’il te voit avec une bière… dans un bar ?
Elle avait secoué la tête, les dents serrées.
— Non, pas du tout… C’est moi… c’est moi qui ai dit ça comme une conne, le soir de notre premier… rencard. Rendez-vous. Date. Je sais pas. Et je sais pas pourquoi j’ai dit ça. Oui, je sais, c’est complètement débile, et je vais m’occuper de ça. Mais pas ce soir. S’il vous plaît, jouez le jeu en attendant !
Noémie avait soupiré en détournant la tête, et Logan avait éclaté de rire.
— OK, si tu veux, motus et bouche cousue. Mais j’espère que tu t’en occuperas vite, parce qu’on connaît ton amour pour la vodka… et tu risques de te dessécher, ma pauvre.
Cette réplique avait presque arraché un sourire à Lyla, qui avait rapporté ses verres au comptoir, commandant tout de suite un soda en espérant que cela effacerait l’odeur de la bière dans son haleine.
Et la suite… Malgré ce départ catastrophique, la soirée s’était bien déroulée. Nathan était venu et, comme elle l’avait espéré, il s’était mêlé aux différentes conversations avec aisance et avait été adorable avec elle. Puis… plus important encore, il avait rapidement sympathisé avec Rafael. Ils avaient discuté un long moment, à l’extérieur, pendant leur pause cigarette. Son ami ne lui avait pas encore dit ce qu’il pensait de Nathan, mais elle se doutait que le sujet viendrait tôt ou tard. Au moins, concernant Noémie, elle savait déjà que celle-ci l’appréciait. Même si elle trouvait qu’il se la jouait beau gosse, elle lui avait dit du bien de lui. Tout allait bien se passer…
Plongée dans ses pensées, elle sursaute en entendant le vibreur de son téléphone. Puis, malgré elle, elle se met à sourire béatement. Message de Nathan…
— Hey, t’es libre en ce moment ?
Il a déjà envie de la revoir… Enjouée, elle répond immédiatement :
— Ouais, tous les soirs, même. Pour faire quoi ? Sortir ?
Il met une minute à répondre :
— Non, pour venir chez moi ce soir. Je sais que je te le dis un peu tard mais bon, je suis en repos. Et j’ai envie de cuisiner et tout, ça te dit ?
Allez chez lui ? Intéressant, surtout si elle peut se présenter formellement à ses deux colocataires…
— Ouais, bien sûr, tes colocs seront là ?
— Non, justement !
Comment ça, justement ? Elle n’a pas plus le temps de s’interroger alors qu’il continue à taper :
— Comme ça c’est aussi l’occasion de faire des cocktails sans devoir transporter tout le matériel chez toi.
Oh, c’est donc pour cela qu’il préfère qu’elle vienne plutôt que l’inverse. Ça se comprend.
— Sans alcool bien sûr, t’inquiète pas.
Elle ferme les yeux et soupire d’exaspération, encore une fois confrontée à son mensonge. Mais elle s’efforce de lui répondre normalement. OK, elle viendra. À quelle heure ? Dix-neuf heures trente. Et qu’est-ce qu’elle doit apporter ? Ce qu’elle veut. C’est bon, tout est fixé.
La conversation se termine peu de temps après, et elle repose son téléphone sur le matelas. Elle fixe le mur devant elle sans bouger, plongée dans ses pensées.
Elle n’a pas pensé à lui demander si elle était supposée dormir chez lui. La première fois qu’elle y est allée, ça s’était fait sur l’instant parce qu’ils n’avaient pas le choix. Elle le connaissait à peine et pourtant elle s’était retrouvée là, à ses côtés… Cette fois-ci, ses deux colocataires ne seront pas là, elle sera complètement seule avec lui. Comme après cette soirée au bar, oui, mais… elle ne sera pas chez elle. Et comme ses amis le savent si bien, ce n’est pas simple pour elle de dormir ailleurs que dans son lit. D’un autre côté, elle ne pourra pas à chaque fois lui demander de la ramener…
Elle prépare sa petite liste mentale de chose à apporter. Si elle reste dormir là-bas, elle va avoir besoin de quelques affaires de plus. Quant au reste… Est-ce qu’elle amène à boire ? Elle ne sait pas si elle en a vraiment envie. D’ordinaire, elle prendrait une bouteille de cidre ou un pack de bières, mais… C’est tellement idiot, ce mensonge. Mais pour l’instant, il va falloir faire avec. Pour la nourriture… Hm, quid des chips triangulaires et de la sauce piquante ? Elle rit intérieurement en pensant à ce que diraient ses amis. Bah, après tout… si elle et Nathan doivent apprendre à se connaître tous les deux, autant qu’il sache à quoi s’attendre, pas vrai ?
Bon… Il est déjà six heures et quart, elle ferait mieux de commencer à réunir ses affaires. En plus, bien qu’elle soit en plein centre-ville, elle n’a étrangement pas beaucoup d’épiceries autour de chez elle. À part une, mais de produits bios, dans laquelle elle ne trouvera de toute évidence ni ses chips, ni sa sauce piquante. Il va falloir qu’elle marche un peu.
⁂
Elle a pris la nourriture, des vêtements de rechange, ses affaires de toilettes, son chargeur de téléphone – Nathan n’a pas le même modèle qu’elle, alors mieux vaut prévoir. Tous les points de sa petite liste mentale sont cochés. Sauf… Elle jette un œil indécis à sa peluche de chat, étalée de tout son long sur sa couette. Est-ce qu’elle la prend ? Que dira Nathan, s’il la voit ? Est-ce qu’il la jugera ? La dernière fois, quand il est venu dormir, elle avait eu le temps de le cacher pendant qu’il passait à la salle de bains. Mais, quand elle ne dort pas avec, elle se sent incomplète. Il lui manque cette présence, cette chaleur contre sa poitrine, ce doux pelage synthétique entre ses doigts…
Sérieux ? T’as encore une peluche à ton âge ?
Elle serre les dents. D n’avait pas fait que la manipuler. Il lui arrivait, par moments, de sortir de genre de phrases idiotes et inutilement blessantes, qu’elle peinait à oublier.
Quoi ? Pourquoi tu me conseilles un roman ? Moi la lecture, ça me fait chier. Par contre, te regarder danser, ça j’aime bien… C’est carrément sexy.
Elle soupire et se met à regarder dans le vague.
— Arrête d’y penser, c’est pas le moment…
Bon. Après tout, c’est comme pour les chips. Si Nathan veut apprendre à la connaître, alors il devra s’adapter à ça aussi. Elle ne peut pas en permanence se plier en quatre de peur de son jugement, pas vrai ? Avec un sourire en coin, elle s’empare du petit chat et le met dans son sac avant de quitter son appartement. Direction chez Nathan.
Tout va bien se passer.
⁂
Sitôt qu’elle franchit la porte d’entrée de l’appartement de Nathan, elle est frappée par l’odeur qui s’échappe de la cuisine. Il est en train de… mijoter un plat ? Elle retire ses chaussures à la hâte et s’avance dans le couloir, surprise. Il est retourné aux fourneaux tout de suite après avoir appuyé sur le bouton de l’interphone, et elle le trouve penché au-dessus d’un wok crépitant, l’air concentré. Il se tourne tout de suite vers elle et s’avance, l’air chaleureux.
— Hey… t’es pile à l’heure, toi.
Elle reste figée sur le seuil de la cuisine, un sourire crispé aux lèvres. La dernière fois qu’ils se sont vus… Elle l’a laissée l’embrasser. Comment est-ce qu’il va lui dire bonjour ? Elle ne sait pas si elle est vraiment prête pour ça. C’est vrai, d’ordinaire, elle prend un peu plus qu’un ou deux dates pour embrasser. Mais Nathan… n’est pas habituel.
Heureusement pour elle, il met fin à ses interrogations en la serrant brièvement dans ses bras avant de presque courir en arrière, sa spatule à la main.
— Désolé, je surveille pour pas que ça crame.
— Pas de souci… D’ailleurs, c’est quoi ?
— Un pad thaï. Végétarien, cette fois. Comme je sais que t’aimes bien manger vietnamien.
Elle jette un œil au contenu du wok. Il y a probablement un tas de légumes qu’elle ne mange jamais, là-dedans… Mais bon, tout va bien. D’habitude, si elle ne les mange pas, c’est parce qu’elle n’aime pas avoir à les toucher pour les préparer. Là, elle n’en pas besoin. Tout va bien se passer.
— Eh ben… je me sens presque mal d’avoir ramené des pointues et de la sauce piquante.
— Hein ? Des quoi ?
Elle secoue la tête.
— Pardon, c’est… tu sais, les chips en triangle, là. Un jour j’avais oublié le nom et je les ai appelées les chips pointues, mes amis se sont moqués de moi et c’est resté. On les appelle toujours comme ça depuis.
Nathan a un petit rire cristallin :
— Ah, je vois ! D’accord. Va pour les pointues alors. Ça me va, j’aime bien ça. Mets ça où tu veux et si t’as du frais tu peux mettre au frigo et bien sûr, tu peux te servir de ce que tu veux… Bref, vraiment, fais comme chez toi. D’ailleurs, j’ai même pas pensé à te demander. T’as des allergies ? Des préférences, des trucs que tu manges pas ? Je peux toujours faire autre chose, t’es pas obligée de manger ça si t’aimes pas ou si t’es allergique, évidemment, enfin voilà !
Il a débité toutes ces paroles à une vitesse hallucinante et elle reste là à le regarder, hébétée. Eh bien… serait-il un peu stressé, lui aussi ? Mine de rien… ça la rassure un peu. Elle n’est pas la seule.
— Ça va, j’ai pas d’allergie. T’en fais pas, ça sent trop bon, je suis sûre que ça va aller.
Il retrouve son sourire et recommence à s’occuper de son plat tandis qu’elle sort ses affaires de son sac, un peu plus à l’aise.
Ça va bien se passer, Nath n’est pas D.
⁂
Bien calée dans le canapé et les jambes sur le repose-pied, Lyla se détend, son grand verre à la main. Nathan lui a préparé un cocktail sans alcool et, même si elle culpabilise toujours un peu pour ce mensonge, elle le trouve divin. Il faudrait lui dire la vérité, mais… plus tard. Alors, entre ça et sa cuisine qui était délicieuse, cette soirée se déroule plutôt bien. Et en plus, il apprécie les chips pointues et leur petite sauce. Vous êtes faits l’un pour l’autre, aurait dit Logan.
Côte à côte sous une lumière tamisée, ils discutent de leurs goûts musicaux tout en sirotant leurs boissons, alternant l’un et l’autre pour choisir la prochaine chanson à passer. Nathan sélectionne beaucoup de morceaux que lui et ses collègues ont mis dans leur playlist de l’Aquariel, et elle, principalement des découvertes mises par ses amis en soirée.
— Bon… je reviens, je vais fumer sur le balcon. Reste au chaud, si tu veux. J’en ai pas pour longtemps.
Il aura suffi d’une phrase pour qu’elle perde son sourire. Fumer… Il a toutes les qualités, alors pourquoi faut-il qu’il fume ? Elle acquiesce néanmoins et le regarde partir, déçue. Quand il va revenir dans la pièce, il ramènera cette odeur de cigarette avec lui… Elle s’en serait bien passée.
En l’attendant, elle sort son téléphone et lit les dernières frasques de ses amis pour se changer les idées. Elle a le temps d’envoyer quelques messages avant qu’il ne revienne, toujours aussi souriant, pour se réinstaller à côté d’elle.
— C’est bon…
Son mouvement de recul ne lui échappe pas et il en sursaute presque, confus.
— Oh, euh… T’aimes pas l’odeur de la cigarette ? Bon, OK, question con, il y a pas beaucoup de non-fumeurs qui aiment.
Elle hoche la tête et se tend légèrement malgré elle, tout en s’éloignant encore un peu.
— Désolée, ouais, c’est juste… je savais pas que tu fumais, en plus. À notre premier… rendez-vous, t’es pas du tout parti le faire.
— Ouais, je m’en souviens. J’avais pas… ressenti le besoin, ce soir-là. Mais ouais, ça m’arrive… Occasionnellement. Surtout en soirée, et en pause au travail. J’essaie d’arrêter mais pour l’instant, j’y arrive pas.
Elle hoche de nouveau la tête, pensive. Il essaie d’arrêter, vraiment ? Beaucoup disent ça. Mais bon, peut-être que lui, il y arrivera ? Ce serait tellement bien…
— Tu veux… faire quoi ?
Avant même de pouvoir répondre, elle se met à bâiller à s’en décrocher la mâchoire. Ça y est, encore un de ces coups de barre monumentaux… Elle s’en serait bien passée, de ça aussi. Mais c’est souvent comme ça, depuis sa rupture avec D. Elle peut passer des heures à s’activer, en pleine forme, pour être complètement épuisée dix minutes plus tard, sans prévenir. Noémie disait que ça pouvait être un symptôme de la dépression…
— Ouh là, tu fatigues… Tu veux aller dormir ?
— Euh… Ouais, ici ? Enfin, dans ta chambre, je veux dire ?
— Ben… Ouais, pourquoi, tu voulais rentrer chez toi ?
— J’imagine qu’il est un peu trop tard pour ça…
Elle se remet à bâiller et seulement là, elle se rend compte que ça pouvait être blessant, dit comme ça. Et en effet, Nathan fuit son regard, la tête baissée. Ça, ce n’était pas très malin.
— Non, mais, t’inquiète pas, il y a pas de souci, je reste, c’est juste que… je suis très habituée à mon lit. Je dors moins bien, quand je suis pas chez moi.
— Oh, OK. Je comprends.
Elle n’arrive pas à savoir si cela a suffi à rattraper sa bourde, mais elle ne voit pas ce qu’elle peut dire de plus.
Après un rapide passage à la salle de bains, ils vont tous les deux dans la chambre de Nathan. Et la première chose qu’elle remarque est la présence de Déjà l’aube, posé en évidence sur son bureau. En suivant son regard, Nathan a un rire nerveux :
— Ouais, je l’ai fini… Je vais aller le remettre dans la boîte à livres. Mais à regret, j’avoue. Faudrait que je me trouve un exemplaire aussi.
— Ah oui, t’as aimé à ce point ?
— Ouais, j’ai trouvé ça… très éclairant, en fait. Je comprends pourquoi t’as autant accroché, c’est passionnant, et je…
Elle le regarde quelques instants, attendant qu’il termine, mais il secoue la tête et lui désigne son lit.
— Oh, vas-y, je veux pas t’empêcher de dormir. On parlera de ça une autre fois.
— Ouais, OK…
Nathan s’assied sur son fauteuil de bureau, les jambes croisées, toujours habillé et son téléphone à la main. Il a l’air en pleine forme, lui. Tout en bâillant, elle se met à sortir son short en tissu et le t-shirt dans lequel elle dort. La petite tête de Sinicat sort de son sac, avant qu’elle ne le rentre précipitamment dedans. C’est encore trop tôt, pour ça, non…?
— Oh, tu veux pas le ressortir, le p’tit chat ?
Elle relève la tête, surprise. Il a déjà vu, c’est trop tard.
— Euh, je sais pas…
— Tu peux dormir avec, si tu veux.
Elle sourit discrètement et le ressort pour le poser sur le lit. Nathan se met à le regarder sans s’en approcher et lui sourit en retour.
— Il est mignon… Pourquoi tu voulais pas le sortir ? T’avais peur que je me moque ?
— Hum, c’est un peu ça… Mon… mon ex, c’est ce qu’il faisait.
Nathan baisse la tête et soupire.
— Je comprends… On a tous eu des ex un peu cons, j’imagine.
Elle le regarde un moment, surprise. Alors, lui aussi…? Elle s’installe du même côté que la dernière fois sous la couette, et bâille de plus belle sitôt sa tête posée sur l’oreiller.
— Bon, je vais te laisser dormir, j’ai l’impression que t’es vraiment fatiguée.
— Euh… pas toi ?
Il hausse les épaules mais retire sa chemise et ses chaussettes.
— Pas vraiment, comme je suis habitué à avoir un rythme de nuit.
— Ah oui, forcément…
— Mais je vais rester avec toi et avec un peu de chance, je ferai une longue nuit.
Une fois en t-shirt et boxer, il s’allonge à côté d’elle et baisse l’intensité de sa lampe de chevet. Elle se recale dans son lit, pensive. Travailler si tard… elle aurait du mal à s’y adapter. Surtout avec ces foutus coups de fatigue. Il finit par verrouiller son téléphone et le reposer face contre la table de nuit avant de se mettre à bâiller lui aussi. Finalement, peut-être qu’il a plus besoin de dormir que ce qu’il dit.
Elle se rapproche instinctivement de lui sous la couette. Décidément, elle adore son parfum… quand il n’est pas noyé par des effluves de tabac.
— T’as… passé une bonne soirée ?
— Oui, super, merci. Tu cuisines vraiment bien.
— Oh, c’est facile à faire… Mais si t’as envie, je pourrai t’apprendre.
Et toucher elle-même à tous ces légumes ? Remarque… il serait peut-être temps d’essayer.
— Pourquoi pas…
— On verra ça une autre fois, t’es crevée… Bonne nuit.
— Oui, à toi aussi.
Il se penche pour l’embrasser, mais au moment même où leurs lèvres entrent en contact, elle la sent à nouveau. La cigarette. Il a eu beau se brosser les dents, c’est encore trop récent pour ne plus sentir. Et soudain, elle ressent comme une espèce de décharge dans son corps alors qu’il pose la main sur sa joue.
Recule-toi, bordel, je déteste cette odeur !
Elle lui rend tout de même son baiser avant qu’il ne la lâche, et elle n’ose pas affronter son regard.
Mais qu’est-ce qui t’arrive, encore ?
— Ça va ?
— Oui, oui, je… je m’y attendais pas, c’est tout.
— Je… désolé, j’aurais vraiment dû te prévenir. Ou te demander, même.
Elle fait semblant de s’affairer à remettre la couette, replacer son oreiller et sa peluche, encore un peu patraque. Dans son champ de vision, elle le voit se passer la main dans les cheveux, le regard fixe.
— C’est rien, vraiment. T’inquiète pas, je suis juste crevée.
— OK, euh… Dors bien, alors.
Elle se retourne pour se mettre dos à lui et se met à souffler, perdue. C’est étrange. Et c’est viscéral, cette aversion. Quand elle était petite, elle faisait souvent des crises d’asthme. La faute à ses parents qui fumaient dans la même pièce qu’elle, selon sa tante. Alors elle ne supportait pas les fumeurs, ni même l’odeur à froid sur leurs vêtements. Mais… les crises s’étaient espacées, le traitement avait bien fonctionné. Malgré tout, ce genre de choses laisse sûrement des traces. Quand Rafael vient chez elle, elle lui interdit strictement de fumer ailleurs que sur son balcon, et il a intérêt à garder la porte fermée tout du long.
Tandis que Nathan éteint la lumière, elle ferme les yeux et serre fort son petit chat contre elle. Elle ne devrait pas tarder à s’endormir, même si elle n’est pas chez elle, et même après ce qui vient de se passer. Au moins, l’odeur de ses draps…
Elle est tellement agréable.
⁂
Elle se réveille dans un lit vide, son chat à quelques centimètres de sa main gauche, près du mur. Elle bâille en le reprenant contre elle, bien reposée. Puis elle se déplace pour reprendre son téléphone, sur la table de nuit. Quelle heure… quoi, déjà dix heures ?
Elle ouvre grand les yeux et se lève immédiatement. Nathan… depuis quand est-il debout ? Elle s’habille à la hâte, remet son chat en peluche dans son sac et sort de la chambre. Où est-ce qu’il est…? Elle entend des bribes de conversation qui proviennent de la cuisine et s’avance doucement. Il n’est pas seul…? Ou alors, il est au téléphone ?
— Mais pourquoi vous rentrez ce matin ? C’était pas demain soir ?
— T’as dû mal comprendre, répond une voix féminine. On avait un truc hier soir et un autre aujourd’hui, donc là on revient se poser un peu et prendre des affaires.
— Pourquoi tu dis ça ? T’es pas seul ?
Elle reconnaît la voix de son colocataire. Quentin, c’est bien ça…? Le médecin.
— Oh, c’est bien ça… Il y a Lyla, c’est ça ? Et tu voulais pas qu’on tombe sur elle.
Elle préfère rester en retrait encore un peu. Qu’est-ce qu’il va répondre…?
— C’est bon Quentin, c’est pas aussi simple.
Alors… c’est vrai ? Il ne voulait pas qu’elle les voie ?
— T’as peur de quoi ? C’est juste nous, Nath. C’est pas tes parents.
— Bah encore heureux, et ils risquent pas de la voir, eux !
Elle recule de deux pas, blessée. Pourquoi est-ce qu’il dit ça ? Sûrement pour la même raison qui l’a poussé à lui dire qu’il était fils unique alors qu’il a une grande sœur. Le mensonge, encore… Qu’est-ce qu’il y a ? Elle n’est pas assez bien pour leur être présentée, c’est ça ?
— Oh, Lyla, salut !
Elle sursaute en apercevant la petite amie de Quentin, qui vient de sortir de la cuisine.
— Euh, salut !
Nathan sort immédiatement après, l’air gêné. Il doit se demander ce qu’elle a bien pu entendre. Tout, Nathan, absolument tout…
— Tu… tu viens de te réveiller ?
Quentin apparaît à son tour pour la saluer.
— Bon, ben… puisqu’on est tous là, on n’a qu’à prendre le petit déjeuner ensemble ? En plus, on a ramené des viennoiseries.
Nathan hausse les épaules, l’air maussade.
— Lyla, tu veux rester ? Sinon, je peux te raccompagner…
Elle se renfrogne. Alors, il ne veut vraiment pas d’elle dans la même pièce qu’eux, ou quoi ?
— Non, non, je reste.
Nathan capitule et hoche la tête avant de retourner en cuisine pour préparer du café et du thé. Bon, au moins… il ne l’a pas virée d’ici. Quentin et Nadya s’installent au salon avec un plateau pour leurs viennoiseries, et elle commence à discuter avec eux.
⁂
Honnêtement, elle les apprécie. Quentin et Nadya ont l’air de deux personnes qui savent ce qu’elles veulent. Un couple solide, avec les mêmes envies, les mêmes aspirations… En plus, ils sont étrangement assortis. Bien habillés, la tête haute, et même si Quentin est particulièrement grand, Nadya lui arrive presque aux épaules avec ses petits talons.
Ils ont de l’allure. Voilà le mot qu’elle cherchait.
C’est exactement le genre de couple sur lequel elle se serait retournée, si elle les avait croisés dans la rue. Elle ne les connaît pas encore mais… elle les envie presque, en réalité. Et en jetant de petits regards en coin vers Nathan, de temps en temps, elle se demandait si cela pourrait leur arriver à tous les deux, de devenir ce genre de couple solide et harmonieux, sur lequel les gens se retournent dans la rue… Bon, ce dernier point n’est peut-être pas un objectif en soi, cela dit. Mais tout de même…
En plus, ils l’ont mise à l’aise. Même si Nathan semblait un peu nerveux pendant leur discussion, ils ont été adorables, ne l’ont pas forcée à faire la bise, ni rien. Discuter avec eux était simple, spontané et fluide.
Puis à la fin, Nathan l’a raccompagnée jusque dans la rue de sa salle de sport, et elle est rentrée chez elle. Enfin, elle peut souffler un peu, faire le point.
OK.
C’était une belle soirée, une bonne matinée, mais… Quelque chose la gêne. En vérité, elle ne sait pas quoi penser de Nathan, ni de la relation qu’elle commence tout juste à esquisser avec lui. D’un côté… il la fait complètement craquer. Il est drôle, il a de la conversation, et… il est charmant. Tout en lui lui plaît. Son style vestimentaire, ses cheveux faussement négligés, ses yeux sombres, sa voix, son odeur…
Mais de l’autre côté… Justement. Est-ce que ce n’est pas un peu trop, tout ça ? Est-ce que c’est juste une façade, est-ce qu’il se moque d’elle ? Est-ce qu’il est toujours inscrit sur l’application de rencontre, à attendre son prochain match ? Si non, pourquoi est-ce qu’il semblait réticent à l’idée qu’elle rencontre ses amis ? Est-ce qu’il laisserait son téléphone face contre la table de nuit, s’il n’avait rien à cacher ? Et… cette remarque sur ses parents, ce mensonge concernant sa sœur…
Arrête de te prendre la tête, Lili.
Il n’est pas comme D. Non. Nathan, lui, il s’intéresse à ce qu’elle fait, à ce qu’elle lit, il l’écoute vraiment quand elle lui parle. Puis, Noémie et Rafael le sentent bien. Ce n’est pas D.
Pourtant… elle n’arrive pas à se sentir complètement à l’aise avec lui. Ce n’est pas seulement à cause de son mensonge et de cette discussion qu’elle a surprise entre lui et ses colocs, ni du fait qu’elle ne sait pas s’il est sérieux avec elle. Ça va au-delà de ça. Au fond d’elle, elle n’arrête pas de se poser la même question.
Est-ce que je vais pas un peu trop vite, avec lui ?